Différence entre erreur et faute dans le BDSM ou dans les cordes
Note 1 : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique; ils ont à la fois valeur d’un féminin et d’un masculin.
Note 2 : Dans cet article, je vais parler de ma vision des fautes et erreurs dans le BDSM. Mon point de vue n’a pas valeur universelle dans le monde BDSM, chacun est libre de penser différemment.
Suite à une conversation dans un munch BDSM hier soir, dans mon élocution, j’ai fauté, j’ai mal employé deux mots: faute et erreur. Grâce à un ami Dom BDSM présent lors de cette soirée, je vais présenter la différence entre ces deux mots dans cet article.
Bien souvent, ces deux mots : faute et erreur, souffrent d’interférence.
On a l’habitude d’opérer la distinction suivante dans le domaine moral : l’erreur est involontaire, alors que la faute est commise en connaissance de cause (conscience plus ou moins claire d’ailleurs) si bien que la faute est plus grave que l’erreur.
Point de vue linguistique
Faisant tous deux référence au sentiment de s’être trompé, erreur et faute sont des mots souvent confondus, d’où l’interférence.
La différence, bien que subtile, n’en est pas moins présente : une faute (altération du latin falsus, faux), c’est un manquement à une règle (morale, scientifique, artistique…), à une norme, alors qu’une erreur (nom emprunté du latin error, errer d’où incertitude, ignorance) n’est rien d’autre qu’une méprise, une action inconsidérée, voire regrettable, un défaut de jugement ou d’appréciation.
Ainsi commettra-t-on une faute de français (c’est-à-dire une faute contre l’ensemble des règles régissant notre langue, comme on le disait à une époque), une faute de goût (manquement à la bienséance) mais une erreur judiciaire.
Certains linguistes ont voulu faire de la conscience de la méprise la distinction entre faute et erreur. Ainsi, Gheorghe Doca rappelle que « les fautes sont liées à la performance » (on en est immédiatement conscient : lorsque l’on attire notre attention sur elles, on a la possibilité de faire soi-même la correction parce qu’on connaît les règles) tandis que « les erreurs sont liées à la compétence » (on les fait de façon inconsciente et involontaire, faute de connaissance suffisante de la règle).
Plus globalement, la distinction repose sur l’idée de responsabilité – pour ne pas dire de culpabilité (à la différence du péché, la faute n’a pas forcément de connotation religieuse… mais force est de constater qu’elle reste le plus souvent moralement connotée dans l’inconscient collectif).
Nous sommes responsables de nos fautes, en ce que nous sommes censés connaître les règles, les lois qui prévalent. En revanche, une erreur est le plus souvent commise de façon involontaire – sans intention délibérée, donc de bonne foi (à la différence d’un mensonge) –, par inattention, par maladresse, par oubli, par ignorance…
Point de vue philosophique
Les notions de faute et d’erreur sont incontestablement distinctes. On parle d’erreur par opposition à la vérité, et lorsqu’il s’agit d’acquérir une connaissance. La notion de faute est quant à elle relative au domaine moral, et est constitutive de la culpabilité du sujet. Néanmoins, ces notions sont liées dans l’usage commun du vocabulaire : on parle de faute d’orthographe et d’erreur médicale pour désigner un type d’erreur liée le plus souvent à l’ignorance de la personne et une faute professionnelle respectivement. De manière générale,
Il ne peut se concevoir de faute ou d’erreur que relativement à ce qu’on aurait dû faire ou savoir. La faute engage la responsabilité de la personne qui les commet, supposant sa capacité d’en prendre conscience. L’erreur engage la responsabilité de l’autre, dans le sens ou l’autre aurait dû anticiper l’erreur en lui faisant savoir ce qu’il doit faire ou ce qu’il doit savoir afin d’éviter l’erreur.
Comment l’erreur peut-elle être liée à la faute ?
Faire une erreur, c’est se tromper soi-même, faute d’attention, de méthode ou de soin tout autant que par ignorance. Comme l’exprime le proverbe latin bien connu – errare humanum est, perseverare diabolicum – l’erreur est le fait de l’homme, ce qui ne signifie pas qu’elle soit excusable, bien au contraire. On peut remarquer en effet que, loin de reconnaître immédiatement dans l’erreur en toute honnêteté et simplicité sa propre faute, on la rejette fréquemment sur un élément extérieur : ce sont nos sens qui nous tromperaient, les apparences qui seraient trompeuses, ou bien l’homme selon Blaise Pascal qui serait victime des « puissances trompeuses » , ou encore lui-même induit en erreur. L’erreur impose qu’on en prenne conscience sans tarder, qu’on se méfie de sa possibilité, et qu’on sache par avance l’éviter.
En ce sens, l’erreur apparaît bien comme la conséquence d’une faute de jugement. C’est toujours le sujet qui se trompe, parce qu’il juge mal, soit par ignorance, soit par mésinterprétation. Une erreur de calcul par exemple est comme une faute d’orthographe : elles n’ont pas lieu d’être. S’il est vrai qu’on apprend de ses erreurs, cela suppose l’état d’esprit de la personne qui serait par avance disposée à reconnaître ses erreurs et se laisser instruire, en d’autres termes qui se sait ignorante, et refuse de s’enferrer dans ses erreurs, par facilité, par mauvaise foi ou par faiblesse d’esprit : « je le savais ! » ; « ce n’est pas ma faute » ; « je ne l’ai pas fait exprès » ; etc.
Par définition même, l’erreur est ce qui est pris à tort pour la vérité, que cette vérité soit de l’ordre de la connaissance, ou pratique. Elle exprime de la sorte la présomption, la suffisance ou la satisfaction précipitée de la personne qui se persuade elle-même imprudemment de détenir la vérité, qu’elle soutient alors contre toute évidence contraire. C’est là incontestablement une faute, que de tenir à sa vérité, au point, parfois, de ne pas se laisser détromper. Ne peut-on jamais faillir en croyant posséder la vérité sans l’avoir en réalité ?
Conclusion : l’erreur peut conduire à la faute, venir masquer la faute, ou même prétendre la justifier.
À l’opposé, comment la faute peut-elle être liée à l’erreur ?
Descartes au début de son Discours de la méthode soutenait que « les plus grandes âmes » sont tout autant « capables des plus grands vices » que « des plus grandes vertus » , et que, pour éviter l’erreur, « ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon » , encore convient-il de bien l’appliquer, c’est-à-dire prudemment et avec méthode. L’erreur, affirmait-il, est ordinairement le fait de la précipitation et de la prévention, lesquelles sont des fautes, s’expliquant par la disproportion entre notre entendement, par nature fini, et notre volonté, quant à elle proprement infinie – nous pouvons toujours juger dans n’importe quelles circonstances –. Nous nous trompons parce que nous ne prenons pas suffisamment le temps d’examiner l’objet de notre jugement avec les plus grandes précautions, nous jugeons trop vite, sans réfléchir, ou encore sans vraiment comprendre ce dont nous prétendons juger.
C’est pourquoi le travail de la science en particulier exigera toujours l’humilité du savant et le plus grand soin apporté dans la démarche suivie. Là où l’ignorant ne doute pas de lui-même, mais plutôt du savoir qu’on lui présente, « le douteur est le vrai savant » , affirmait Claude Bernard, dans l’Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, celui qui doute toujours de lui-même, mais « croit à la science » – toujours possible et heuristiquement féconde –, comme Louis Pasteur soutenait qu’il ne fallait conclure la recherche que lorsqu’on ne peut faire autrement. Il s’agira toujours d’éviter l’erreur autant que faire se peut.
La faute peut conduire à l’erreur, tout comme l’erreur peut être à l’origine de la faute. Gaston Bachelard le disait bien : il ne conçoit pas de vérités premières, mais seulement des « erreurs premières » . À cela fait écho la phrase d’Alain : « Quiconque pense commence toujours par se tromper. » (Vigiles de l’esprit) En effet, combien l’enthousiasme irréfléchi, la soif de découverte, les passions des hommes, l’expérience première, c’est-à-dire collective, commune et immédiate par laquelle on s’imagine à tort suffisamment connaître ce qu’on observe depuis toujours, l’esprit de système, les théories antérieures, les schèmes de pensée hérités, les mots mêmes de la langue qu’on parle, tout cela peut-il induire les meilleurs esprits à des erreurs nécessaires. Ce sont ces erreurs qui seront plus tard aperçues et finalement redressées, conduisant l’esprit scientifique à se repentir presque en permanence de ses anciennes fautes.
Conclusion : Les fautes que nous commettons sont bien souvent à l’origine de nos erreurs.
Comment ces deux notions peuvent-elles être distinguées l’une de l’autre ?
De manière générale, la responsabilité de celui qui agit paraît plus évidente à saisir que celle de celui qui semble subir un état de fait dont il ne se considère aucunement seul coupable. C’est ainsi que l’auteur d’une faute commise pourra être personnellement mis en cause – l’auteur d’un homicide, d’un vol, d’un mensonge, celui qui se sera rendu coupable d’un défaut de surveillance ou de précaution, ou bien le responsable légal défaillant par exemple – alors que l’erreur entraînera souvent une dilution des responsabilités, entre l’auteur et d’autres acteurs, qui peuvent être par exemple l’autorité de tutelle, l’assureur, le fournisseur, le technicien, etc. Tout se passe comme si l’erreur pouvait être relativisée et était toujours de moindre gravité que la faute, alors même que l’analyse des différents types d’erreurs montre à l’évidence que ce n’est pas le cas.
Une distinction essentielle est à faire entre l’erreur, qui relève de la connaissance, et la faute, quant à elle en rapport avec l’action, effectivement effectuée ou qu’on aurait dû faire. Dans le domaine de la connaissance, il nous est toujours possible de suspendre notre jugement, de nous réfugier dans le scepticisme, ou bien encore de faire l’aveu de notre ignorance, à condition de vouloir remédier à celle-ci. L’action en revanche exige la capacité à prendre des décisions, parfois dans l’urgence, à faire preuve de résolution. On ne saurait se satisfaire, comme le prônait Descartes, d’une morale par provision, laquelle serait aussi relative et dérisoire que les mœurs ayant cours parmi nos contemporains.
Finalement, ce serait ici la morale admise qui accentuerait la distinction à faire entre la faute et l’erreur, en mettant en avant la liberté du sujet moral. Si chacun est reconnu comme maître de ses choix, et en particulier de ses valeurs, cela signifierait que la responsabilité serait plus stricte à l’égard des décisions prises en connaissance de cause que de celles dont on pouvait ignorer les conséquences. La faute désignée, en tant qu’elle engendre la culpabilité, est plus pesante pour la conscience du sujet, en mettant directement en accusation sa volonté, que l’erreur, qu’on serait tenté d’excuser, ou même de pardonner. Il est d’ailleurs à remarquer que l’usage du mot « erreur » en français le fait souvent apparaître comme un euphémisme venant masquer la faute commise.
Conclusion : La faute est ordinairement présentée comme étant plus grave que l’erreur commise, ce qui ne signifie pas qu’elle le soit en vérité. L’erreur est aussi souvent une faute.
Faute et erreur dans le BDSM
On s’est aperçu que l’erreur pouvait être liée à la faute, réciproquement, ce qui liait la faute à l’erreur et comment celle-ci pouvait être évitée, Puis qu’il y a une responsabilité plus grande du sujet dans le cas de la faute que dans celui de l’erreur.
La personne soumise comme la personne dominante peuvent faire des fautes, tout comme l’une ou l’autre peut faire des erreurs, d’où la nécessité, l’importance d’être dans la sincérité dans le non-mensonge ! Dans le vanille, une erreur ou une faute n’aura pas forcement de graves conséquences et/ou effets sur la sécurité de l’un ou de l’autre, alors que dans le BDSM, lorsque l’on va dans le SM, c’est-à-dire que l’on met de l’intensité dans la relation, la faute ou l’erreur peuvent avoir de graves, de lourdes conséquences et/ou sur le physique ou le mental de la personne soumise, tout comme elle peuvent avoir de lourdes conséquences et/ou effets sur le mental de la personne dominante.
Gaming : faute et erreur
Les gamers, tant qu’ils restent sur des scènes incluant du SM « light » (léger), tant qu’ils ne vont pas dans le Edge Play (les pratiques à risque), les conséquences et/ou les effets de leurs fautes ou erreurs restent minimes. Du fait que les gamers ne s’appuient pas sur la D/s, c’est-à-dire sur les règles, codes, protocoles, valeurs BDSM, ils induisent les autres à faire des fautes ou en erreur (sous forme de désobéissances, provocations, de jeux, d’amusements…) Si ils vont sur des SM « hard » (dur), alors là ils deviennent dangereux pour eux-mêmes et pour les autres.
Playing : faute et erreur (voir ici et là)
Le player, lui il aura pris appui sur la D/s, c’est-à-dire sur les règles, codes, protocoles, valeurs BDSM, il amènera la personne soumise dans le playing, avant d’aller dans une scène. Toutes ses scènes prendront alors appui sur leur D/s. Leur D/s leur permettra de limiter les fautes et d’anticiper les erreurs, tout en gardant à l’esprit, tout en ayant conscience que la faute ou l’erreur sont omniprésente dans une scène. Nous ne sommes jamais à l’abri d’une faute ou d’une erreur.
Conclusion personnelle
Chez la personne soumise, la faute ou l’erreur est due à un manque d’éducation BDSM. Toute personne ayant eu une bonne éducation BDSM aura toutes les armes pour diminuer les fautes ou erreurs qu’elle pourrait commettre.
Chez la personne dominante, la faute ou l’erreur est due à un manque de connaissances BDSM, je conseille fortement aux personnes dominantes novices d’aller dans le mentorat, de prendre un mentor, c’est la manière la plus fiable de limiter les risques de fautes ou d’erreurs qu’il pourrait commettre ou faire commettre à sa personne soumise.
Je reprendrais dans ma conclusion les citations ci-dessus :
- Gaston Bachelard : il ne conçoit pas de vérités premières, mais seulement des « erreurs premières » ;
- Alain : « Quiconque pense commence toujours par se tromper. » (Vigiles de l’esprit)
Et oui, en effet, combien l’enthousiasme irréfléchi, la soif de découverte, les passions des BDSMistes, l’expérience première, c’est-à-dire collective, commune et immédiate par laquelle on s’imagine à tort suffisamment connaître ce qu’on observe depuis toujours, l’esprit de système, les théories antérieures, les schèmes de pensée hérités, les mots mêmes de la langue qu’on parle, tout cela peut-il induire les meilleurs esprits à des erreurs ou à des fautes.
Suite à cet article, une publication sur l’importance et la raison des codes, protocoles, etc… ici.
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