L’observation active dans le BDSM ou dans les cordes
Note 1 : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique, ils ont à la fois la valeur d’un féminin et d’un masculin.
Note 2 : Dans cet article, je vais essayer de vous parler de l’observation active dans le BDSM ou dans les cordes selon mon point de vue.
Pour évoluer dans son BDSM ou dans sa corde, pour avoir plus de maîtrise, plus d’expertise, il faut appréhender le BDSM ou la corde dans sa globalité. Pour saisir ce que pense l’autre, ce qu’il fait, ce qu’il dit et surtout, ce qu’il ne dit pas, il faut avoir recours à des méthodes qui ont recours à l’observation : les focus scènes sont extrêmement puissants pour tout ce qui est prospective, anticipation, pour construire de nouvelles approches. Mais ces focus présentent une très faible capacité à remonter des discours fiables de la part des participants qui n’ont bien souvent aucune mémoire de leur comportement, attitude. On est plus dans le registre de ce qui se vit intérieurement et moins dans celui de ce qui se dit. Il faut donc utiliser des méthodes qui autorisent une “immersion” profonde.
Le verbe “observer” vient du latin “observare” , il est composé du préfixe “ob” et de “servare”. Le préfixe “ob” veut dire “vers, devant, pour”. Quant à “servare” il vient du latin “servus, servo, servar”. “Observer” veut donc dire : Accomplir, suivre ce qui est prescrit par une loi, par une règle / Regarder avec attention ; surveiller ; épier / Considérer avec application, en vue d’une étude, les choses physiques ou morales / Remarquer, en parlant de ce qui attire l’attention.
On a donc “vers, devant, pour” avec la notion de “servir”, “d’être au service de” :
- Pour la personne dominante -> d’être au service de la relation ;
- Pour la personne encordeuse -> d’être au service de la corde ;
- Pour la personne soumise -> d’être au service de son Maître ;
- Pour la personne encordée -> d’être au service de l’encordeur (je précise que je fais des cordes dans mon BDSM et non comme une activité hors BDSM, à part entière).
Dans l’observation, il y a la notion de regarder quelque chose en y portant l’attention nécessaire, l’analyser, y déposer un regard approfondi.
Les observations sont pertinentes pour étudier des comportements, des attitudes ou des interactions. L’observation permet d’accéder directement aux faits. Cependant, il ne faut pas s’illusionner : il s’avère que la présence d’un tiers dans une scène BDSM ou de cordes, même discret, même d’un membre habituel, modifie les comportements.
On distingue deux modes d’observation :
- l’observation participante : l’observateur entre dans la scène pour participer totalement à sa vie et ses activités.
- l’observation non-participante : l’observateur n’est pas dans la scène, il garde une certaine distance. Il ne prend pas la parole et ne participe pas aux activités. Il s’agit d’une immersion dans la vie de la scène sans participation, et cela nécessite de grandes capacités de prise de distance, notamment affective. L’objectif est de décrire et comprendre afin de générer une profonde réflexion sur une possible remise en question ou simplement de prendre des idées afin d’évoluer dans son propre BDSM ou sa propre corde, voire simplement dans la maîtrise de son BDSM ou de sa corde. La prise de notes doit être différée.
La méthode d’investigation ne doit pas être participatif, elle doit être non-participante car on n’entre pas dans une scène sans y être invité.
L’observateur cherche à être objectif, ou, pour le moins, à expliciter sa subjectivité. L’immersion a pour but de comprendre (le phénomène, les personnes, etc.) et non de prendre parti.
Il demeure un souci tout de même avec l’observation non-participante, avec l’immersion, il ne faut pas que la personne qui observe se laisse emporter par ce qu’elle observe, le recul est nécessaire afin de ne pas laisser ses neurones miroirs prendre le dessus sur l’observation. C’est-à-dire qu’il ne faut pas avoir une empathie affective ou cognitive, sinon la personne va vivre par empathie la scène BDSM ou de cordes, l’observation en sera faussée !
L’immersion avec une observation non-participante est importante pour évoluer dans sa maîtrise ou dans sa pratique, mais en restant à distance, sans aucune empathie.
Il faut veiller à bien cibler ce que l’on recherche et se demander ce qu’une observation apportera de spécifique par rapport à une autre forme de recueil de données. La présence de l’observateur doit être prise en compte dans l’interprétation de ce qui est vu et entendu, car elle affecte la validité et la représentativité de la séquence observée par rapport à d’autres séquences du même type, mais sans observateur extérieur.
Concrètement et en pratique, les modalités d’immersion sont largement tributaires d’un ensemble d’opportunités à saisir et d’impossibilités avec lesquelles il s’agit de composer sur le moment. Dans certaines circonstances, l’observateur semble littéralement “embarqué” dans une scène dont il ne peut que très partiellement anticiper le déroulement et discerner les implications.
Les problèmes rencontrés ont trait aux questions de la proximité et de la distance mises en jeu par la démarche. Le fait de s’engager dans une observation d’interactions sociales et physiques pour observer une réalité particulière ne va jamais de soi. Cette ambiguïté semble d’autant plus prégnante que la relation de l’observateur à la scène est conflictuelle. En l’occurrence, l’observateur s’est trouvé projeté dans un univers socio-symbolique dont il ne partage pas forcément les fondements, les valeurs, les codes, les protocoles. Quel comportement adopter in situ face à des scènes, des discours et des pratiques incarnant explicitement un positionnement diamétralement opposé à ce qu’il observe ? Si l’observateur se retranche derrière sa position d’observateur “neutre” et “dégagé” , certaines situations semblent inéluctablement le rappeler à l’inévitable dimension empathique de son regard, de sa situation, de sa posture.
Dans l’immersion, il faut lutter contre le processus de subjectivation que l’immersion implique et de la résistance qu’il appelle. Pendant toute la scène, l’enjeu est d’occulter notre processus de subjectivation pour comprendre ce qui s’offre à notre regard.
L’univers de représentations qui donne sens à la réalité sociale observée devra être considéré sous un angle critique. la “critique” (du grec kritikos “capable de discernement“). L’observation critique serait ainsi, pris mot pour mot :
L’immersion dans une scène sous forme d’observation non-participante, en gardant notre capacité de discernement quant à l’observation faite.
L’ensemble des facultés intellectuelles ayant pour point commun la capacité à passer au crible de la raison une assertion soumise à l’examen.
Finalement, l’observation critique s’impose moins comme une visée théorique que comme une nécessité pratique et évolutive. Il apparaît comme un garde-fou permettant de ne pas tomber dans le piège d’une expertise trop arrimée à nos connaissances et expériences, d’éviter cette dimension empathique, d’éviter de reproduire un type de savoir et de pratiques qui ne serait pas adapté à nos scènes, à nos pratiques.
Un des problème aussi dans le BDSM ou dans les cordes, c’est que ce sont les pratiques qui nourrissent les attitudes et les comportements ; ces attitudes et comportements, ainsi nourris et fortifiés, se traduisent plus aisément dans la pratique. Pour l’exprimer plus simplement, c’est en forgeant que l’on devient forgeron ! Vouloir évoluer dans le BDSM ou dans les cordes en se nourrissant de vidéo, d’écrits, de dialogues et d’images sera voué à l’échec ! Il faut avant tout pratiquer et vivre son BDSM ou sa corde pour évoluer, c’est en pratiquant et en vivant notre BDSM ou notre corde que l’observation active prendra son sens ! Dans l’observation active, j’ai déjà expliqué l’observation, et le terme “active” prend son sens dans notre activité, c’est-à-dire dans le fait de pratiquer réellement, en participant réellement et non dans une pratique « seconde », voire une participation « seconde » (Se référant à W. J. Ong et à son ouvrage Orality and Literacy. The technologizing of the word (Londres, New-York, Methuen, 1982) « oralité première » -> transmise de bouche à oreille et « oralité seconde » -> relayée par des médias) !
C’est donc en pratiquant réellement que l’on pourra avoir un maximum d’observation active, l’observation active nourrissant nos pratiques et nos pratiques nourriront à leur tour nos attitudes et nos comportements. L’immersion prend donc plus de sens, dans le fait qu’il faudra s’immerger aussi dans nos pratiques, et là on entre dans l’observation participante !
Que l’on soit Top, Dominant(e), Maître(sse) ou Encordeur/se, que l’on soit bottom, soumis(e), esclave ou encordé(e), il y a cette nécessité d’avoir une observation active afin de faire évoluer notre BDSM ou notre corde, notre immersion par le biais d’une observation participante ou non-participante dépendra de la scène : notre scène ou la scène d’un autre couple.
5 thoughts on “L’observation active dans le BDSM ou dans les cordes”
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Effectivement,c’est en pratiquant que l’on apprend,ainsi qu’en observant.
Absolument 🙂
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Mon ressenti à chaud…
Quand vous parlez de participation active et d’ôter cette notion empathique je dirais que le meilleur serait de pouvoir vivre la scène deux fois car oui il faut garder un recul pour avoir une observation non faussée mais dans chaque acte le but est de créer quelque chose de générer des réactions chez l’encordé(e), le/la soum, l’esclave… A ce moment là c’est bien l’empathie ressenti dans la scène qui peut le faire comprendre au dom, au/à la Maître(sse)…
Car la maîtrise d’un acte si celui-ci n’apporte rien au soum (sauf si c’est un choix à ce moment là) va enlever la notion de partage et cela peut dans certains cas vouer la séance à l’échec…
Ou alors faire une observation double le/la dom avec le recul et le/la soum avec l’empathie ainsi dans les échanges verbaux qui en découleront l’ensemble des éléments de la participation seront joints ^^
On voit bien là toute la difficulté… C’est complexe…