La confiance dans le BDSM ou dans les cordes
Note 1 : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique; ils ont à la fois valeur d’un féminin et d’un masculin.
Note 2 : Dans cet article, je vais parler de ma vision de la confiance, de son exhibition, des engagements, de la croyance, de l’imputation, de la promesse, de la trahison et du pardon dans les cordes ou dans le BDSM.
Les recherches sur la confiance connaissent deux pics historiques qui se manifestent par une forte croissance des publications sur le thème : les années 1973-1976 et 2007-2010. Le fait que ces deux périodes correspondent à des moments de crise ne relève pas du hasard : on s’intéresse à la confiance quand on constate qu’elle fait défaut, quand il y a urgence à trouver les moyens de la réactiver. En somme, les bouffées de méfiance et de défiance forcent alors les sociétés à s’interroger sur ce qu’est la confiance, avec l’ambition de la restaurer.
Ce premier paradoxe, qui n’est qu’apparent, en appelle un autre, tout aussi intéressant. L’exhibition de la confiance, son institutionnalisation sous des formes diverses, notamment celle du contrat, sont le signe que le sentiment de confiance s’est évaporé.
Il y a aujourd’hui un désenchantement de la confiance qui force les BDSMistes, les encordeurs et les encordées, à rendre des comptes, à contractualiser toute relation de façon à tenter d’éteindre la méfiance des individus. Ce constat conduit à bien différencier d’un côté la régulation des engagements, d’un autre côté le sentiment de confiance ressenti au niveau interpersonnel. Plus la confiance ressenti au niveau interpersonnel fait défaut, et plus les personnes chercheront à réguler les engagements. On peut en déduire que la confiance n’est sincère et véritable que lorsqu’elle n’a pas besoin de s’exhiber. Son affichage systématique témoigne en tout cas d’une crise et, paradoxalement, nourrit la méfiance.
La confiance d’un point de vue anthropologique
La confiance est un mécanisme essentiel sans lequel nous ne pourrions ni agir ni interagir et qui se trouve à “la jointure de l’inné et de l’acquis.” Sur quoi repose-t-elle, et qu’est-ce qui peut l’engendrer ?
La confiance est intimement tressée au concept de capacité et de croyance en notre pouvoir-faire. Pour P. Ricoeur, ces deux notions s’appellent mutuellement : la capacité à avoir confiance en quelqu’un dépendra de la croyance en sa fiabilité. Mais, inversement, la croyance en notre pouvoir actualisera également notre capacité à faire confiance.
“Croire que je peux, c’est déjà être capable.” P. Ricoeur
La confiance est donc liée au respect des engagements et à la croyance qu’il peut le faire. Croyance est confiance se rejoignent donc.
La croyance est un acte de l’esprit (acte de croire), le moment où s’établit le rapport de l’esprit à la vérité (objet de la croyance), soit “une attitude mentale d’acceptation ou d’assentiment, un sentiment de persuasion, de conviction intime” (P. Ricoeur).
la confiance, si elle se construit sur la base d’une certaine règle d’inférence (les assurances du passé induisent la possibilité de prévoir les actions futures), se détache sur l’arrière-fond de l’incertitude et du doute. Elle est une ouverture à l’autre par le rapport de soi à soi-même.
Il ne faut pas confondre conviction et confiance. La confiance n’est-elle pas issue directement de la croyance ou de la conviction, pas plus qu’elle n’est à l’origine de leur naissance, selon un schéma linéaire de cause à effet.
« La confiance résulte plutôt d’un milieu propice, d’une atmosphère, où croyance et conviction peuvent se combiner à des doses subtiles pour produire un écosystème favorable au développement de rapports de confiance. » P.Ricoeur
La confiance ne dépend donc pas d’une théorie, elle se place au coeur d’une théorie de l’action. Si la confiance n’est pas en soi observable, les actes et les paroles, eux, le sont.
Malheureusement aujourd’hui, on développe davantage la notion du soupçon, que la notion de confiance. La confiance est et sera toujours teintée d’incertitude, d’imprévisibilité, car la possibilité du mal moral est inscrite en l’Homme. Le mal n’est pas qu’une faille en l’homme mais il s’étend à tous les pouvoirs du soi. En conséquence, l’ensemble des capacités n’est jamais assuré.
La confiance est donc un pari sur le comportement futur de l’autre. On ne peut dissocier la confiance de la capacité, de la faillibilité.
Jean-Luc Amalric a appelé la “foi agissante”, l’écart entre les attentes de notre liberté, la déception du monde, et le désir de toujours faire confiance malgré les démentis du monde. Ainsi, le doute est-il toujours sur le chemin du soi vers lui-même, soupçon et confiance sont les deux facettes de la capacité du soi.
La confiance n’est pas l’émerveillement que nous vivons dans le meilleur des mondes. Le consentement à l’autre ne peut jamais être total. Nul ne peut aller jusqu’au fond du consentement.
On ne peut aussi dissocier la confiance de l’espérance. L’espérance est la confiance en un futur qui sera différent du présent. L’espérance s’articule autour d’un vouloir vivre ensemble. L’espérance nous montre aussi que la confiance dépend de nous.
La confiance est un concept éthico-moral
Selon P. Ricoeur, la confiance appartient à un théologie de la vie bonne (le domaine de l’éthique) qu’elle ressort d’une déontologie et d’une obligation (domaine de la morale).
On peut voir ainsi qu’il y a une nécessité d’une déontologie dans le BDSM ou dans les cordes pour que ces arts puissent avoir de l’éthique, et qu’il est nécessaire de s’appuyer sur la morale pour engendrer de la confiance, d’où l’importance et la raison des codes et protocoles dans le BDSM ou dans les cordes. Le gaming ne s’appuie pas sur la déontologie, sur l’éthique, le gaming s’appuie uniquement sur la morale, il n’apportera quasiment aucune confiance, donc il sera difficile de lâcher-prise.
La confiance est un concept mixte, qui induit une notion d’obligation normative, limitée, de respect des engagements, mais aussi l’ouverture, illimitée, à ce qui la transcende.
Faire confiance, c’est s’en remettre à un être ou une entité qui nous paraît être fiable, c’est chercher des garanties en s’efforçant de proportionner le risque encouru au gain espéré. Parce que la relation de confiance implique une forme plus ou moins accentuée de dépendance, la confiance a besoin d’assurances pour être confiée à quelqu’un ou quelque chose. La notion d’imputabilité dont parle Paul Ricoeur offre un cadre juridico-moral de réparation à la confiance trahie.
L’imputabilité est le pouvoir de se reconnaître responsable de ses actes. L’individu est comptable de ses actes envers soi-même et autrui.
De cette imputabilité découle la notion de promesse. Dans la promesse, l’individu s’engage, engage sa confiance. Promettre, c’est s’engager par la parole à dire ce que l’on fera demain ce qui est dit aujourd’hui. La notion de promesse relève d’une part du langage, de l’autre de la morale.
« En caractérisant la promesse comme acte de discours, nous n’avons pas encore posé le problème moral, à savoir la raison pour laquelle il faut tenir ses promesses. Promettre est une chose, être obligé de tenir ses promesses en est une autre. » P. Ricoeur
La confiance comme la promesse, induit la possibilité d’une trahison. La promesse est un avatar de la confiance. Le contrat de confiance est un contrat d’ordre éthique. Face à la confiance trahie, les seules ressources sont l’indignation, la protestation morale et la vigilance. La notion de confiance suppose donc une délégation de pouvoir sur fond d’incomplétude ou de fragilité.
Que faire lorsque la confiance est bafouée ?
Pour qu’il y ait excuse ou pardon, il faut qu’il y ait eu faute, transgression d’un pacte de confiance avec pour conséquence du mal fait à autrui. Le pardon intervient en aval de la faute, une fois qu’elle est accomplie. Le pardon rend possible la réparation : alors que la promesse lie, le pardon délie.
Loin de consacrer l’oubli ou l’effacement de la faute, il suppose toujours la mémoire, pour pardonner il faut se souvenir de la confiance qui a été bernée.
La confiance est donc susceptible de trahison, mais aussi de pardon !
Source :
http://kuryo.typepad.com/
https://ricoeur.pitt.edu/
Paul Ricœur, « Parcours de la reconnaissance » (2004), « L’homme faillible » (1960), « Soi-même comme un autre » (1990), « La liberté selon l’espérance »
Jean-Luc Amalric, « Affirmation originaire, attestation, reconnaissance. Le cheminement de l’anthropologie philosophique ricœurienne » Études ricœuriennes (2011)
0 thoughts on “La confiance dans le BDSM ou dans les cordes”
Visitor Rating: 5 Stars
Visitor Rating: 3 Stars