États altérés et éthiques dans le BDSM
Note 1 : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique, ils ont à la fois la valeur d’un féminin et d’un masculin.
Note 2 : Dans cet article, j’aborde les états altérés et éthiques dans le BDSM selon mon point de vue, mon expérience et mes recherches.
Pour mieux comprendre la psychodynamique de la réalité altérée dans le BDSM, il faut définir les fondations psychologiques et neurobiologiques nécessaires à la compréhension des états de conscience altérés dans le BDSM.
1. Un cadre clinique pour les expériences dissociatives
Quelle est la terminologie psychiatrique reconnue ? Car elle fournit une base objective et claire pour comprendre la déréalisation et la dépersonnalisation avant d’explorer leurs manifestations spécifiques dans le contexte du BDSM.
Définir la déréalisation et la dépersonnalisation selon le DSM-5
Le Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux, cinquième édition (DSM-5) classifie le « Trouble de dépersonnalisation/déréalisation » au sein des troubles dissociatifs.1 Ce trouble est caractérisé par des expériences persistantes ou récurrentes de détachement de soi-même (dépersonnalisation) et/ou de son environnement (déréalisation).2 Ces deux phénomènes, bien que distincts, sont souvent comorbides et partagent des déclencheurs communs.4
La dépersonnalisation se manifeste par un sentiment de détachement ou d’étrangeté par rapport à son propre corps, son esprit, ses pensées ou ses sensations.2 Les individus décrivent souvent une expérience d’observateur extérieur de leur propre vie, comme s’ils regardaient un film dont ils seraient le personnage principal sans en avoir le contrôle.4 Cette aliénation peut s’accompagner d’un sentiment d’être un automate ou un « zombie », avec une perception d’engourdissement émotionnel et physique.2 La personne peut avoir l’impression de n’avoir aucun contrôle sur ce qu’elle dit ou fait, ses actions semblant se dérouler de manière mécanique.4
La déréalisation, quant à elle, est une altération de la perception du monde extérieur, qui semble alors irréel, distant ou artificiel.2 L’environnement peut être perçu comme étant sans vie, sans couleur, ou comme si un « voile » ou un « mur de verre » séparait l’individu de son entourage.2 Cette expérience est souvent comparée à la sensation de vivre dans un rêve, un film ou un jeu vidéo.4 Des distorsions perceptuelles subjectives sont fréquentes, et les sons peuvent sembler assourdis ou amplifiés.3 Une distorsion de la perception du temps, qui peut sembler s’écouler trop lentement ou trop rapidement, est également un symptôme courant.4
Contrairement aux troubles psychotiques comme la schizophrénie, où l’individu n’a pas conscience du caractère irréel de ses perceptions, la personne souffrant de dépersonnalisation/déréalisation sait que son expérience subjective d’irréalité n’est pas une réalité objective.1 Cette conscience intacte est ce qui distingue le trouble dissociatif d’un épisode psychotique et constitue une source de détresse importante, les individus craignant souvent de devenir fous.4
Le lien avec le stress, l’anxiété et le traumatisme
Les causes du trouble de dépersonnalisation/déréalisation est multifactorielle, mais elles sont très fortement corrélée à des expériences de stress sévère ou de traumatisme.2 Les facteurs de risque les plus fréquemment identifiés incluent des traumatismes durant l’enfance, tels que la maltraitance affective ou physique, la négligence, ou le fait d’avoir été témoin de violences domestiques.2 D’autres événements traumatiques, comme le décès inattendu d’un proche ou le fait d’avoir un parent gravement malade ou handicapé, sont également des déclencheurs connus.2
Au-delà des traumatismes fondateurs, les épisodes de dépersonnalisation/déréalisation peuvent être déclenchés ou exacerbés par des facteurs de stress aigus, qu’ils soient interpersonnels, financiers ou professionnels.6 Les troubles anxieux, en particulier les attaques de panique, sont étroitement liés à ces expériences, la perte de contrôle de soi étant une manifestation fréquente de l’anxiété.4 De plus, des états physiologiques extrêmes comme la fatigue intense, la privation de sommeil ou la privation sensorielle peuvent provoquer des sensations dissociatives temporaires.2 Enfin, la consommation de substances psychoactives, notamment le cannabis, les hallucinogènes, la kétamine ou l’ecstasy (MDMA), est une cause reconnue de déclenchement de ces états.1
Cette étiologie établit un lien direct et fondamental avec le contexte d’une pratique BDSM. Les scènes BDSM, par leur nature même, peuvent impliquer une stimulation physique et psychologique intense, une douleur contrôlée, une surcharge sensorielle ou au contraire une privation sensorielle, et un stress psychologique lié à l’échange de pouvoir. Ces conditions sont précisément celles que la littérature clinique identifie comme des déclencheurs potentiels d’états dissociatifs.
L’analyse clinique de la dissociation la présente comme un mécanisme de défense psychologique, une stratégie inconsciente permettant à l’esprit de se distancier d’une expérience traumatique ou émotionnellement insupportable pour se protéger.3 En se « déconnectant » de la réalité de l’événement, l’individu peut survivre à une situation qui, autrement, submergerait ses capacités d’adaptation.8 Cette compréhension de la dissociation comme un mécanisme de survie crée une ambiguïté fondamentale lorsqu’elle est appliquée au BDSM. Les pratiques BDSM peuvent intentionnellement induire des états qui, sur le plan phénoménologique, ressemblent à ce mécanisme de défense. Cela soulève une question critique : l’expérience vécue est-elle une exploration contrôlée et désirée de cette capacité psychologique, ou s’agit-il d’une réactivation involontaire et potentiellement néfaste d’une réponse traumatique ?
Cette ambiguïté constitue le risque psychologique central de ces pratiques. Elle implique que, sans un haut degré de conscience de soi, une communication exceptionnellement claire et des protocoles de sécurité robustes, un participant pourrait confondre une réponse traumatique avec une « scène » réussie. Un tel malentendu pourrait non seulement masquer une détresse sous-jacente, mais aussi potentiellement conduire à une retraumatisassions. Cette perspective déplace le débat d’une simple dichotomie « bon contre mauvais » vers une compréhension plus nuancée d’un continuum psychologique, où la frontière entre l’extase recherchée et la dissociation pathologique peut devenir dangereusement mince.
2. La neurobiologie de la douleur, du plaisir et de la transcendance
Démystification des processus biologiques qui rendent possibles les états de conscience altérés dans le BDSM, en expliquant comment la réponse du corps au stress et à la douleur peut être transmutée en plaisir et en euphorie.
La cascade hormonale

L’expérience intense d’une scène BDSM déclenche une cascade complexe de réponses neurochimiques et hormonales qui interagissent pour moduler la perception de la douleur, du plaisir et de la réalité.
- Le Cortisol (l’hormone du stress) : Des études ont montré une augmentation significative des niveaux de cortisol chez les participants en position de soumission lors d’interactions BDSM, ce qui confirme l’activation de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, le principal système de réponse au stress du corps.11 Cependant, le cortisol n’est pas uniquement associé à des expériences négatives. Son niveau peut également augmenter lors d’activités intenses et perçues comme agréables, telles que l’exercice physique de haute intensité.12 Cette double nature suggère que la réponse au stress dans un contexte BDSM est intimement liée au système de récompense du cerveau.12
- Les Endorphines (les opiacés naturels) : Les endorphines, en particulier la bêta-endorphine, sont des neuropeptides opioïdes endogènes qui agissent comme de puissants analgésiques naturels.15 Elles sont libérées par le cerveau en réponse à la douleur, au stress, à un effort physique prolongé ou à des expériences très plaisantes comme l’orgasme.15 En se fixant sur les récepteurs opioïdes, elles bloquent la transmission des signaux de douleur et induisent des sensations d’euphorie, de bien-être et d’apaisement, un état parfois qualifié d’« ivresse du coureur ».11 Ce mécanisme est fondamental pour comprendre la transformation de la douleur en une expérience érotique et transcendante dans les pratiques sadomasochistes.
- Les Endocannabinoïdes (les molécules du bonheur) : La recherche a également mis en évidence une augmentation significative des endocannabinoïdes, tels que le 2-arachidonoylglycérol (2-AG), chez les participants soumis.11 Ces neurotransmetteurs lipidiques, qui peuvent traverser la barrière hémato-encéphalique, jouent un rôle crucial dans la régulation du système de récompense, de la douleur et de l’humeur.13 L’augmentation des endocannabinoïdes est fortement corrélée à celle du cortisol, ce qui suggère que le système de récompense est activement engagé pour moduler la réponse au stress et la recadrer comme une expérience positive et gratifiante.11
- L’Ocytocine et la Vasopressine (les hormones de l’attachement) : L’ocytocine, souvent surnommée « l’hormone de l’amour » ou « de l’attachement », est sécrétée en grande quantité lors de l’orgasme et des interactions sociales positives.13 Elle joue un rôle clé dans la création de liens de confiance, d’empathie et d’attachement entre les partenaires.13 Dans le contexte BDSM, sa libération favorise un sentiment de proximité et d’intimité, ce qui est essentiel pour encadrer l’échange de pouvoir dans un climat de sécurité émotionnelle.11 La vasopressine, quant à elle, est également impliquée dans les comportements sociaux, mais elle est davantage associée à l’agressivité et à la motivation sexuelle, ce qui pourrait jouer un rôle dans les dynamiques de domination.11 Ce que je nomme le « Bad DomSpace ».
Activité cérébrale et corrélats neuronaux
Les études d’Imagerie par Résonance Magnétique Fonctionnelle (IRMf) et autres techniques de neuro-imagerie commencent à cartographier les régions cérébrales impliquées dans l’expérience BDSM, révélant un réseau complexe qui intègre la douleur, le plaisir et l’interaction sociale.11
- Système de plaisir et de récompense : L’activité dans l’opercule pariétal et le striatum ventral est observée, des zones clés du circuit de la récompense du cerveau, confirmant que l’expérience est traitée comme gratifiante.11
- Perception de la Douleur : Les cortex somatosensoriels primaire et secondaire, responsables du traitement des informations sensorielles, y compris la douleur, sont également activés. Cela indique que la douleur est bien perçue, mais son interprétation est modulée par d’autres systèmes.11
- Interaction Sociale et Empathie : Des régions associées à l’empathie et à l’interaction sociale, comme l’insula antérieure, le cortex cingulaire antérieur et le cortex préfrontal, montrent une activité accrue. Cela suggère que le cerveau traite l’interaction non pas comme une simple agression, mais comme un échange social complexe et chargé d’émotions.11
L’ensemble de ces données neurobiologiques suggère que le BDSM consensuel peut être compris comme une forme sophistiquée et ritualisée de « piratage » du système nerveux autonome. La pratique déclenche intentionnellement une réponse de stress de type « combat ou fuite » (libération de cortisol et d’adrénaline) mais le fait dans un contexte de sécurité, de confiance et d’affection (stimulant la libération d’ocytocine). Cette combinaison unique semble créer une condition neurochimique où le cerveau réinterprète les signaux de menace non pas comme un danger, mais comme un catalyseur pour l’activation de puissants systèmes de récompense endogènes (endorphines, endocannabinoïdes). Ce processus submerge l’affect négatif normalement associé à la douleur et au stress, le remplaçant par un état profond d’euphorie et de conscience altérée. Il ne s’agit donc pas simplement d’« aimer la douleur », mais d’un processus complexe et souvent appris de conditionnement psychophysiologique, qui exploite les mécanismes de survie les plus primitifs du corps pour produire un état de transcendance.
3. Le « Subspace » — une exploration phénoménologique

Cette section déplace l’analyse du domaine clinique et biologique vers l’expérience subjective, en définissant le concept de « subspace » du point de vue des pratiquants.
Définir le subspace
Au sein de la communauté BDSM, le terme « subspace » est utilisé pour décrire un état de conscience altéré spécifique, souvent recherché par les personnes soumises (bottom).20 Il est défini comme un état de transe, méditatif et onirique, qui peut être atteint pendant une scène BDSM intense.16 Ce phénomène est également connu sous le nom d’« extase masochiste » dans la littérature plus ancienne.23
Les descriptions subjectives de cet état sont remarquablement cohérentes, bien que personnelles. Les praticiens le décrivent comme une sensation de légèreté, de flottement.16 C’est une expérience de détachement par rapport au corps et à l’environnement immédiat, souvent comparée à la sensation de flotter dans l’eau.20 Il ne s’agit pas d’un vide, mais d’un état de plénitude, de paix profonde, de libération et de connexion à une version idéalisée de soi-même, un « moi supérieur ».20 Dans cet état, la colère et les angoisses du quotidien semblent se dissoudre, laissant place à un sentiment d’amour et de connexion pure.20
Le rôle du subspace dans l’expérience BDSM
Pour de nombreux pratiquants, atteindre le subspace est l’un des objectifs principaux, voire l’objectif ultime, d’une scène BDSM.22
L’expérience de s’abandonner complètement à un partenaire de confiance et d’en sortir indemne, voire grandi, peut renforcer de manière significative les liens d’intimité et aider à surmonter des problèmes de confiance.22 C’est une expérience transformatrice qui peut augmenter le sentiment de résilience personnelle.22
Induction et transition
L’entrée en subspace n’est généralement pas instantanée. Elle est le résultat d’une combinaison de facteurs physiques et psychologiques qui s’accumulent au cours d’une scène. Les déclencheurs peuvent inclure une stimulation sensorielle intense (comme la douleur issue de la flagellation), une privation sensorielle (un bandeau sur les yeux, des bouchons d’oreilles), des contraintes physiques (bondage) et, de manière cruciale, une dynamique psychologique de confiance, d’abandon et d’échange de pouvoir.21 La méditation et la concentration sur l’univers fantasmatique de la scène sont souvent des préludes nécessaires pour atteindre cet état.23
La sortie du subspace est une phase tout aussi importante et délicate. L’individu peut se sentir extrêmement vulnérable, désorienté et émotionnellement à nu.23 C’est un moment où le besoin d’affection, de réconfort et de protection physique est particulièrement aigu.23 Cette vulnérabilité post-scène souligne l’importance cruciale d’une pratique de transition structurée, connue dans la communauté sous le nom d’« aftercare », qui sera détaillée plus loin.
4. Le Continuum subspace-dissociation
Reconnaître les Similitudes
Il est impératif de reconnaître que, sur le plan phénoménologique, le subspace et la dissociation partagent des caractéristiques frappantes. Les deux sont décrits comme des expériences de « sortie du corps » (out-of-body experiences (OBE)) impliquant un sentiment de déconnexion de la réalité immédiate.16 D’un point de vue extérieur, les réponses physiologiques peuvent également paraître identiques : yeux fermés, absence de réponse verbale, apparence onirique ou distante.22 Cette superposition est la source de nombreuses confusions et controverses, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la communauté BDSM.
Établir la distinction : intentionnalité et valence émotionnelle
Malgré ces similitudes, les praticiens et les thérapeutes familiers avec le BDSM tracent une distinction cruciale basée sur deux critères principaux : l’intentionnalité et la valence émotionnelle.

Le subspace est un état activement recherché ; c’est un objectif consensuel de l’activité.22 Il est vécu comme une expérience à valence émotionnelle positive : une montée euphorique, un sentiment de paix, de transcendance et de plaisir intense.16 C’est une déconnexion vers quelque chose de désirable.
À l’inverse, la dissociation clinique est typiquement un mécanisme de défense involontaire et non désiré, déclenché par un traumatisme ou un stress perçu comme insurmontable.7 Sa valence émotionnelle est souvent neutre (un engourdissement qui coupe de toute sensation, y compris le plaisir) ou négative (une expérience effrayante de perte de contrôle).4 C’est une déconnexion loin de quelque chose d’insupportable.
Il faut de beaucoup d’expérience et d’attention pour décrypter l’intentionnalité de la personne soumise (bottom), et pour évaluer (positivement, négativement ou neutrement) la valeur émotionnelle qui va découler de la scène à venir, afin de conduire la personne vers un subspace et non vers une dissociation clinique. Si elle se dirige vers une dissociation clinique, je vous suggère fortement de refuser de pratiquer avec elle.
La question critique du consentement
Cette distinction a une implication capitale en matière de sécurité et d’éthique. Un point non négociable est que le consentement ne peut être ni donné, ni négocié, ni renégocié lorsqu’une personne est en subspace.16 Cet état de conscience altéré altère le jugement, la capacité de communication et les limites habituelles.16 La personne soumise (bottom) devient hautement suggestible et peut accepter ou même demander des choses qui sortent de son cadre de consentement lorsqu’il est dans un état de conscience ordinaire.16
Cette incapacité à consentir de manière éclairée pendant le subspace rend les limites pré-négociées avant la scène et la responsabilité du partenaire Dominant (Top) absolument primordiales. Le rôle du Dominant (Top) n’est plus seulement d’exécuter la scène, mais de surveiller activement l’état de la personne soumise (bottom), en étant capable de faire la différence entre l’euphorie du subspace et la détresse d’une dissociation traumatique, afin de garantir que la scène reste à tout moment dans le cadre du consentement initial.22
La quête du subspace engendre ainsi un paradoxe fondamental : l’objectif de la scène est que la personne soumise atteigne un état de conscience où il ne peut plus consentir activement, ce qui, par conséquent, transfère l’entière charge éthique du maintien du cadre consensuel sur le Dominant (Top). Cette dynamique élève le rôle du Dominant (Top) de celui de simple « joueur » à celui de gardien éthique, dont la compétence principale doit être sa capacité à discerner avec précision l’état psychologique subtil de la personne soumise (bottom). Le succès même de la scène – l’atteinte du subspace – invalide l’outil principal du consentement continu du soumis (la communication verbale, l’usage du safeword). Le Dominant (Top) doit alors passer d’une dépendance à la communication active de la personne soumise (bottom) à une interprétation fine des signaux non verbaux et à une adhésion stricte aux limites pré-négociées. Il devient, pour la durée de l’état altéré, le seul agent actif du consentement. Un échec à reconnaître ce transfert de responsabilité, ou une incapacité à distinguer le subspace de la détresse, est la voie directe qui mène du BDSM consensuel à l’abus. Cette réalité explique pourquoi la confiance, l’expérience et la communication pré-scène sont si fortement valorisées dans l’éthique de la communauté.
Tableau 1 : Analyse Comparative du Subspace et de la Dissociation Clinique
| Caractéristique | Subspace (état altéré consensuel) | Dissociation clinique (réponse traumatique) |
| Intentionnalité | Activement recherché, un objectif de l’activité. | Involontaire, un mécanisme de protection. |
| Valence Émotionnelle | Typiquement euphorique, paisible, transcendant, agréable. | Typiquement neutre (engourdissement), effrayante ou angoissante. |
| Contexte | Se produit dans un cadre pré-négocié, sûr et basé sur la confiance. | Déclenchée par une menace perçue, un traumatisme ou un stress accablant. |
| Mémoire | Les souvenirs de l’événement sont généralement conservés et souvent valorisés. | Peut conduire à une amnésie (amnésie dissociative) ou à des lacunes mémorielles. |
| Sens de Soi | Souvent décrit comme une connexion à un soi « supérieur » ou « plus vrai ». | Sentiment d’aliénation de soi, perte d’identité. Dégoût de soi. |
| Contrôle | Perçu comme un abandon consensuel du contrôle à un partenaire de confiance. | Vécu comme une perte totale de contrôle. |
| Épreuve de la Réalité | La conscience que l’état est une expérience subjective est maintenue avant et après, mais peut être floue pendant. | La conscience que l’état est une expérience subjective est maintenue, mais elle est très angoissante. |
| Résultat/Conséquences | Conduit à des sentiments d’intimité, de libération et de bien-être, mais peut être suivi d’un « sub-drop » si mal géré. | Conduit à la confusion, l’anxiété, la détresse et peut interférer avec le fonctionnement quotidien. |
5. Atténuation des risques et sécurité psychologique
Définir le « sub-drop » et le « Dom-drop »
Le « drop » est un phénomène psychophysiologique bien connu dans la communauté BDSM. Il décrit l’effondrement émotionnel et physique qui peut survenir après une scène, lorsque le cocktail intense d’endorphines, de dopamine et d’adrénaline qui inondait le système nerveux se dissipe.22 Le corps et l’esprit, après avoir atteint un pic d’excitation et de stimulation, retournent brusquement à leur état de base, ce qui peut provoquer un choc.14
Les symptômes du « drop » peuvent varier considérablement en intensité, allant d’un simple sentiment de mélancolie ou d’apathie à des états plus sévères de dépression, d’anxiété, de vulnérabilité émotionnelle, voire de sentiments de honte ou de regret post-scène.14 Il est crucial de noter que ce phénomène n’est pas exclusif à la personne en position de soumission. Le « sub-drop » affecte la personne soumise (bottom), mais le « dom-drop » est une expérience tout aussi réelle pour le Dominant (Top), qui peut être assailli par des sentiments de culpabilité, douter de la moralité de ses actions, ou se sentir vidé après avoir porté une telle charge de responsabilité et d’intensité.27
L’aftercare comme pratique essentielle
Pour gérer ces risques, la communauté BDSM a développé et institutionnalisé la pratique de l’« aftercare ». L’aftercare est défini comme la période de transition et de récupération qui suit immédiatement une scène, conçue pour aider tous les participants à revenir en douceur à leur état de conscience et à leur état d’esprit normaux.27 Son objectif principal est d’atténuer ou d’apaiser les symptômes du « drop », de réaffirmer la confiance et de prendre soin les uns des autres en dehors du cadre de l’échange de pouvoir.26 C’est une pratique considérée comme non négociable et vitale pour la santé mentale et le bien-être des personnes soumises comme des personnes Dominantes (Tops).
L’aftercare : l’étape finale
L’aftercare transcende la simple fonction de « premiers soins » psychologiques. Il s’agit d’un rituel essentiel qui remplit deux fonctions critiques : la réintégration des identités et la ratification du consentement. Une scène BDSM crée une réalité alternative temporaire, une sorte de « cercle magique » avec ses propres règles, rôles (« Dom », « sub ») et dynamiques de pouvoir.29 Le phénomène du « drop » peut être interprété comme la difficulté psychologique de la transition entre cette réalité alternative et la réalité de base du quotidien.26 L’aftercare appartiennent au script relationnel de la réalité de base, et non au script de l’échange de pouvoir de la scène.27
En accomplissant l’aftercare, les pratiquants ferment activement et rituellement la scène. Le « Dom » cesse d’être le « Dom » pour redevenir le partenaire attentionné ; le « sub » cesse d’être le « sub » pour être réaffirmé en tant que partenaire égal. De plus, le processus de débriefing26 sert de vérification finale du consentement. Il permet une confirmation rétrospective que tout ce qui s’est passé dans l’état altéré était, après réflexion, toujours dans les limites de ce qui était désiré et convenu. Cela fait de l’aftercare l’étape finale, et sans doute l’une des plus importantes, du processus de consentement dans le BDSM.
6. Conclusion
Cette exploration des états altérés au sein des pratiques BDSM nous conduit bien au-delà des notions superficielles de plaisir et de douleur. Elle nous plonge au cœur d’une ambiguïté fondamentale : la frontière ténue entre un état de transcendance recherché, le « subspace », et un mécanisme de défense potentiellement dommageable, la dissociation clinique.
La distinction cruciale entre ces deux états ne réside pas dans leurs manifestations extérieures, qui peuvent être étrangement similaires, mais dans l‘intentionnalité et la valence émotionnelle positive de l’expérience. C’est sur ce critère que repose tout l’édifice éthique de la pratique. L’atteinte du subspace engendre un paradoxe : le but de la scène est d’amener la personne soumise à un état où elle ne peut plus consentir de manière active et éclairée.
Cette réalité transfère l’intégralité de la charge éthique sur le partenaire Dominant (Top), qui devient le gardien vigilant des limites pré-négociées. Les phénomènes de « drop » et la pratique institutionnalisée de l’aftercare ne sont alors plus des options, mais des composantes essentielles et non négociables du processus. L’aftercare agit comme un rituel de clôture, permettant de réintégrer les identités et de ratifier rétrospectivement le consentement, assurant ainsi la sécurité psychologique de tous les participants.Finalement, le BDSM, loin d’être une pratique chaotique, exige une connaissance approfondie de la psyché humaine, une communication sans faille et un cadre éthique des plus rigoureux. Il s’agit d’un voyage contrôlé aux frontières de la conscience, où les plus grands risques appellent les plus hauts niveaux de confiance, de responsabilité et de soin.
Sources des citations :
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- Trouble de dépersonnalisation/déréalisation – Troubles mentaux …, https://www.msdmanuals.com/fr/accueil/troubles-mentaux/troubles-dissociatifs/trouble-de-d%C3%A9personnalisation-d%C3%A9r%C3%A9alisation
- Trouble de la dépersonnalisation – Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Trouble_de_la_d%C3%A9personnalisation
- Dépersonnalisation et déréalisation : causes, symptômes et traitements, https://www.la-clinique-e-sante.com/blog/traumatismes/depersonnalisation-derealisation
- Trouble de dépersonnalisation/déréalisation – Troubles mentaux – Manuels Merck pour le grand public, https://www.merckmanuals.com/fr-ca/accueil/troubles-mentaux/troubles-dissociatifs/trouble-de-d%C3%A9personnalisation-d%C3%A9r%C3%A9alisation
- Trouble de dépersonnalisation/déréalisation – Troubles psychiatriques – Édition professionnelle du Manuel MSD, https://www.msdmanuals.com/fr/professional/troubles-psychiatriques/troubles-dissociatifs/trouble-de-d%C3%A9personnalisation-d%C3%A9r%C3%A9alisation
- Qu’est-ce que la dissociation et comment se manifeste-t-elle ? – Psychologue.net, https://www.psychologue.net/articles/quest-ce-que-la-dissociation-et-comment-se-manifeste-t-elle
- La dissociation : un mécanisme de défense complexe et puissant | Blog, https://hypnosetherapie14.com/blog/articles/la-dissociation-un-mecanisme-de-defense-complexe-et-puissant
- Qu’est ce que la dissociation symptômes et traitement ? – Corine Fiorenti, https://corinefiorenti.com/traumatisme/dissociation-symptomes-traitement/
- Psychotraumatisme et dissociation – Sandrine GRIMBERT Psychologue clinicienne, https://sandrinegrimbertpsychologue.fr/psychotraumatisme-et-dissociation/
- The biology of BDSM: a systematic review – ResearchGate, https://www.researchgate.net/publication/355912503_The_biology_of_BDSM_a_systematic_review
- The Biological Context of BDSM – ISSM, https://www.issm.info/sexual-health-headlines/the-biological-context-of-bdsm
- Biology of BDSM: A Systematic Review | The Journal of Sexual …, https://academic.oup.com/jsm/article/19/1/144/6961196?login=true
- L’influence du BDSM sur votre santé mentale – ANOESES, https://anoeses.com/fr/blogs/blog/bdsm-and-mental-health-explained
- Qu’est-ce que sont les endorphines ? – Aroma-Zone, https://www.aroma-zone.com/page/qu-est-ce-que-sont-les-endorphines
- A BDSM Beginner’s Guide to Subspace: 9 Tips, Tricks, Tools, https://www.healthline.com/health/healthy-sex/subspace-bdsm
- BDSM and the Complexity of Consent: Navigating Inclusion and Exclusion – MDPI, https://www.mdpi.com/2411-5118/6/1/4
- L’ocytocine : hormone de l’amour, de la confiance et du lien conjugal et social – Revue Médicale Suisse, https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2012/revue-medicale-suisse-333/l-ocytocine-hormone-de-l-amour-de-la-confiance-et-du-lien-conjugal-et-social
- Hormonal changes and couple bonding in consensual sadomasochistic activity – PubMed, https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/18563549/
- Subspace — Fashion Studies, https://www.fashionstudies.ca/subspace
- Subspace – Wikipedia, https://de.wikipedia.org/wiki/Subspace
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- Extase masochiste — Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Extase_masochiste
- Pain and Power: BDSM as Spiritual Expression – Inquiries Journal, http://www.inquiriesjournal.com/articles/1844/pain-and-power-bdsm-as-spiritual-expression
- The goal of BDSM is to get into « subpace » which is described as a kind of transcendce/euphoria. It’s dissociation and a coping mechanism. These women are being abused to the point of losing reality. They begin to associate that « high » with the abuse. : r/FemaleDatingStrategy – Reddit, https://www.reddit.com/r/FemaleDatingStrategy/comments/hbg64p/the_goal_of_bdsm_is_to_get_into_subpace_which_is/
- Why we should all practise aftercare – Brook, https://www.brook.org.uk/blog/why-we-should-all-practise-aftercare/
- What do you recommend for aftercare after a BDSM scene? – Quora, https://www.quora.com/What-do-you-recommend-for-aftercare-after-a-BDSM-scene
- Y’all… what does the Dom need in aftercare???? : r/FanFiction – Reddit, https://www.reddit.com/r/FanFiction/comments/15pmfoo/yall_what_does_the_dom_need_in_aftercare/
- « C’est la réalité ! » : de quelques cas de violence virtuelle et d’efficacité rituelle dans le BDSM communautaire | Cairn.info, https://shs.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2019-3-page-533?lang=fr