Pourquoi j’ai différencié les pratiquants du BDSM en gamers et players ?
Note 1 : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique, ils ont à la fois la valeur d’un féminin et d’un masculin.
Note 2 : Dans cet article, je vais essayer de vous parler de la différence que je fais dans la pratique du BDSM entre les gamers et les players selon mon point de vue.
Suite à ce que j’ai pu observer à travers les soirées, les munchs, les concentrations, les tchatches BDSM, suite aux attaques, agressions verbales, aux jalousies, aux colères, à la vexations de certains personnes dans le monde BDSM, j’ai cherché à comprendre les raisons, les causes de ces attitudes, comportements et faits, j’en suis arrivé à utiliser ces deux mots anglophones : gamer et player pour différencier les pratiquants qu’ils soient Dom ou soum.
Bien entendu je ne détiens pas la vérité universelle, là n’est que le fruit de ma réflexion, de mon observation.
Pour Winnicott (pédopsychiatre et psychanalyste), de façon extrêmement schématique, les jeux (games) correspondent au faux self tandis que jouer (playing) implique le vrai self.
Selon Winnicott, le vrai self peut être considéré comme un état où l’individu se sent suffisamment en confiance avec lui-même et l’environnement, un état où il pourra accepter de se montrer, en toute spontanéité. Les pulsions ressenties (agressivité, sexualité,…) sont acceptées comme des parties de lui-même et ne soulèvent pas de sentiment de culpabilité ou de honte. Le self demeure authentique.
Le faux self, lui, se distingue par ses attitudes toujours polies dans son rapport aux autres. « L’apparence est investie au détriment d’un moi authentique ». Si le faux self, précise Winnicott, occupe toujours la première place, il finit par être perçu comme une partie essentielle de la personnalité. Le gamer montrera ses pulsions ressenties (agressivité, sexualité,…) comme si il avait besoin de démontrer son existence, son savoir-faire, comme une recherche de reconnaissance, d’existence, comme s’il avait un sentiment de culpabilité ou de honte.Ce qui compte, explique Winnicott, est le rapport entre ses deux self, qui demeure vivace et évolutif tout au long de la vie. Les gamers mettent en avant leur faux self, alors que les players eux mettent en avant leur vrai self.
Pour le gamer, les outils du SM sont des objets transitionnels. L’objet transitionnel est la première possession “non-moi” du gamer. Cela est complexe à saisir, je le conçois, le gamer ne considère pas sa partenaire BDSM comme distinct de lui-même. Au contraire, sa partenaire BDSM serait le prolongement de lui-même. Sa partenaire dans son BDSM lui permet de vivre dans l’illusion de “toute-puissance”. Cette “illusion”, où réalités interne et externe ne sont pas encore clairement distinctes pour le gamer, autorise des expériences “intermédiaires”, en particulier celle de posséder un objet transitionnel qui n’est ni sa partenaire BDSM réelle, ni sa représentation interne, mais un peu des deux. À ce stade, le gamer ne peut accepter de la réalité que les objets qu’il crée, qu’il a (qui correspondent à ses besoins). Il est entièrement dépendant de sa partenaire ; si cette dernière ne lui apporte pas ce dont il a besoin, il perd le sentiment d’exister.
Le gamer utilise sa partenaire BDSM comme un prolongement de lui-même, mais aussi comme distincte de lui. Cette malléabilité de sa partenaire lui permet d’évoluer en toute confiance et d’aller au devant d’expériences nouvelles.
L’objet transitionnel a pour destin d’être progressivement désinvesti. Mais les phénomènes transitionnels persistent. Par “phénomènes transitionnels”, il faut entendre la continuité des expériences d’omnipotence caractéristiques du jeu des gamers. Lorsque le gamer joue, il entre dans une aire intermédiaire, où la réalité intervient non plus comme une contrainte mais se voit remodelée en fonction de ses besoins internes, tout comme le nourrisson, l’enfant, ou l’adolescent avait besoin, en raison de son immaturité, de cette illusion de “toute-puissance”. Le gamer peut distinguer la réalité de ses désirs propres, mais le jeu est un moyen d’exister en tant que soi, malgré les contraintes de la réalité auxquelles il doit s’adapter. Le corollaire serait que le gamer ait à s’adapter à son environnement au détriment de son propre développement personnel (faux self). Il faut ici distinguer clairement, le jeu (game), qui peut être organisé socialement sous la forme de scènes, de rôles, et l’activité beaucoup plus essentielle de jouer (playing). Jouer pour le gamer est un acte créateur, une invention d’un individu, qui permet une infinité de variations, alors que pour le player, sa pratique a pour but d’éduquer, de faire évoluer sa partenaire.
Jouer est donc un phénomène transitionnel. Il ne s’agit pas uniquement, de mettre en acte la réalité psychique interne du BDSMiste, mais beaucoup plus généralement d’une expérience vitale. Par “vital”, il faut entendre “ce qui est essentiel au BDSMiste”, à savoir le sentiment d’exister réellement, ou encore le sentiment que la vie vaut la peine d’être vécue. Le jeu, en ce qu’il permet d’assujettir les contraintes de la réalité aux pulsions du BDSMiste, favorise la réalisation de ce que Winnicott a nommé l’“intégration de la personnalité”. Après la phase de “dépendance absolue” du nourrisson, dépendance à sa mère, celui-ci peut progressivement accepter les frustrations de la séparation d’avec sa mère, et par là même avoir le sentiment d’exister comme individu distinct. Dès lors qu’il peut se sentir exister et seulement à ce stade, les pulsions assouvies viendront renforcer ce sentiment d’être soi. Dans le cas contraire, l’environnement viendrait empiéter sur le développement de l’individu, qui aurait à se protéger. Le sentiment d’être soi correspond au vrai self, tandis que la nécessité de se protéger correspond au faux self. Tout individu possède un faux self, en ce qu’il se conforme aux règles sociales. Mais certains n’ont plus accès à leur vrai self et leur capacité à jouer en est réduite. De façon extrêmement schématique, les jeux (games) correspondent au faux self tandis que jouer (playing) implique le vrai self.
Le gamer joue avec les objets transitionnels ainsi qu’avec sa partenaire parce qu’il peut les soumettre à sa toute-puissance et avoir ainsi l’illusion de créer la réalité en fonction de ses besoins ou désirs.
On trouve aussi chez certains gamers un mécanisme compensatoire, que l’on appelle compensation. Alfred Adler, fondateur de l’école de la psychologie individuelle, est à l’origine du terme de compensation. Selon lui, chaque personne possède des sentiments d’infériorité, sur certains aspects, qui le poussent à cacher ces aspects. Certains trouvent dans le perfectionnement d’une activité le moyen de noyer ses craintes et ses peurs quant à son amour-propre.
Pour les gamers, la compensation dans leur BDSM est une stratégie par laquelle ils dissimulent, consciemment ou inconsciemment, leurs faiblesses, désirs, sentiments d’insuffisance ou d’incompétence dans un secteur de leur vie, par la satisfaction dans un jeu (game). La compensation est également un trait prégnant chez les personnalités narcissiques, en tant que sauvegarde de l’amour-propre ou dans le but de susciter l’admiration tout en effaçant les infériorités ressenties, mais également chez certains soumis souhaitant se dédouaner en compensant une situation difficile par des offrandes, ou simplement pour se déculpabiliser…
La stratégie de compensation ne vise pas la source du sentiment d’infériorité, mais tente de l’effacer sous d’autres aspects. Les compensations positives peuvent aider à surmonter des difficultés ou à se grandir. Les compensations négatives, quant à elles, ont souvent comme conséquence un sentiment renforcé d’infériorité. Il existe deux genres de compensations négatives :
- La surcompensation, caractérisée par un but d’obtention ou d’affichage de supériorité, mène à essayer d’obtenir la puissance, la domination d’autrui, d’augmenter l’amour-propre et l’individualisation.
- La décompensation, mène souvent à une perte de confiance en soi, un état dépressif, un manque de volonté et de courage.
Qui leur d’une soirée, d’un tchatche, d’une concentration, ou d’un munch BDSM n’a jamais vu une compensation négative ?
La surcompensation s’observe régulièrement chez les gamers en crise, qui voient dans le BDSM le moyen d’échapper à une vie qui leur semble difficile.
La compensation s’observe régulièrement chez les personnes narcissiques, qui tentent de cacher leurs côtés « faibles » et parlent d’eux même dans leur bon apparat, cherchent à côtoyer des personnes qu’elles admirent afin de récolter leur approbation, leur estime… La raison pour laquelle, les gamers chercheront le contact des players, et qu’ils montreront de la colère, de la nervosité, de la vexation lorsqu’ils ne trouveront pas l’admiration, l’approbation, l’estime, la reconnaissance des players.
La compensation s’observe également dans les gamers via le culte de la consommation de pratiques, et surtout la recherche de pratique edgeplay (pratique à risque), alors qu’ils n’ont déjà aucune maîtrise de la DS, peu de maîtrise de soi, maîtrise de l’environnement, maîtrise de leurs gestes, de leurs attitudes, de leurs comportements…
Les consommateurs excessifs et compensateurs ont régulièrement un culte de la beauté et une peur excessive du vieillissement et de la mort, une fascination de la renommée et une forte dépendance à autrui, tout comme les narcissiques dépendent du regard des autres pour se conforter et nourrir leur estime de soi.
Le culte de la consommation est décrit dans un article d’Allison J. Pugh comme un facteur important dans la création de l’expérience et de l’identité des personnes. A défaut de trouver son identité en soi et en ses propres idées, le gamer fera en sorte de se reconnaître dans des pratiques, dans le edgeplay (pratiques à risque) qui le démarqueront des personnes qui l’entourent, régulièrement dans un souci de s’affirmer aux yeux de tous.
Ma conclusion
Dans la vie, les individus passent leur temps à prendre des décisions, qui finissent toutes à un moment donné à une décision binaire. Dans les jeux, chacun passe son temps aussi à prendre des décisions qui finissent elles aussi à un moment donné à une décision binaire.
Vivre c’est un peu jouer (play) à la différence près, c’est que les décisions peuvent avoir d’énormes conséquences sociales, physiques, psychologiques, psychiatriques, professionnelles, familiales, etc, ainsi que des effets. Alors que dans les jeux (game) les décisions n’ont aucune incidence sur la vie (enfin c’est ce que croient les gamers). Pour les uns le jeu est un play avec prise de conscience des conséquences et des effets, pour d’autres le jeu est un game avec une totale inconscience des conséquences et des effets.
Après j’ai bien conscience qu’au départ, on vient tous dans le BDSM par jeu (game), et que cela demande de l’expérience, de l’observation, des erreurs, des échecs, des remises en cause, des échanges, du partage, de la pratique, etc avant de pouvoir jouer (play) dans le BDSM.
Cela demande du temps, de la patience, de l’énergie, des efforts, du travail afin de sortir de la “technique” pour entrer dans l’art, dans ses racines, dans sa philosophie. La technique peut se définit par l’ensemble des moyens permettant permettant d’obtenir efficacement des résultats déterminés. Le technicien cherche à produire ou à reproduire, l’artiste cherche à créer. L’art nécessite de la technique et quelque chose de plus.
Pour devenir un artiste, il faut passer au préalable par la technique, voilà pourquoi tout le monde passe par le gaming avant d’entrer dans le playing, en étant conscient que certains n’atteindront jamais le playing.
Le gamer est compulsif, impulsif, il prend des décisions subjective ; le player est beaucoup plus réfléchi, posé, il prend des décisions par la raison, par la logique, des décisions objectives.
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