Le subspace dans le cerveau
Note : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique, ils ont à la fois la valeur d’un féminin et d’un masculin.
Dans cet article, je vais tenter de vous expliquer ce qu’il se passe dans le cerveau et le corps d’une personne soumise lorsqu’elle vit un « subspace« .
Dans les pratiques SM du BDSM, la dimension de la douleur ne peut être exclue de l’équation. La principale réponse naturelle à la douleur est la réaction de combat ou de fuite.
Lors de scènes impliquant des cordes ou des pratiques SM, la personne soumise va être soumise à un fort stress. Plus la scène sera « hard », plus le stress sera important.
Ainsi, le seuil de douleur de la personne soumise va augmenter. Grâce au stress qu’elle va vivre, elle va devenir plus tolérante à la douleur. Cela se caractérise par une analgésie, une légère euphorie, une attention extérieure et une forte interaction avec le Maître.
Lors d’un stress important, ou à l’occasion de plusieurs situations stressantes, le cerveau se remplit de trois hormones : l’adrénaline, la noradrénaline et le cortisol. Ces trois hormones jouent un rôle important sur l’humeur et le bien-être qui en découle. Lorsque ces substances sont à un taux normal dans l’organisme, l’individu est au meilleur de sa forme et de son moral. Lorsque celles-ci sont à des taux trop importants, l’individu a tendance à être énervé ou anxieux. Ce mécanisme naturel prépare l’individu aux trois possibilités lorsqu’il est face au danger : l’attaque, la fuite ou l’inhibition.


Le cortisol est une substance chimique qui, en quantité modérée, aide à calmer un état de stress en augmentant le taux de glucose dans le sang. En revanche, lorsque celui-ci est élevé, il se traduit par un sentiment d’impuissance, de tristesse et de grande insécurité.
Le cortisol peut rester en grande quantité dans le cerveau pendant des heures, des jours voire des semaines, une situation assimilée à un stress chronique (angoisse de longue durée). Ce prolongement de sécrétion de cortisol peut avoir des répercussions néfastes sur des structures du cerveau comme l’hippocampe (zone qui gère la mémoire et la régulation des émotions).
La noradrénaline, ainsi que la sérotonine, sont impliquées comme principaux médiateurs des mécanismes analgésiques endogènes dans les voies de la douleur. Autrement dit, elles permettent d’atténuer les douleurs internes à l’organisme. Elles sont à l’origine de ce que l’on nomme les réactions combat-fuite.
Celles-ci trouvent leur origine dans l’amygdale, une structure cérébrale complexe « qui intègre vos expériences du point de vue de leur contenu émotionnel », comme l’explique Donald Katz, psychologue et neuroscientifique spécialiste du comportement de l’Université Brandeis, dans le Massachusetts. Selon lui, lorsque cette structure est soumise à un facteur de stress, elle envoie un signal de détresse en direction de l’hypothalamus.
L’hypothalamus fait office de centre de commande pour le système nerveux autonome. Ce système contrôle plusieurs fonctions corporelles : la performance cardiovasculaire et respiratoire.
Lorsqu’une réaction de stress est activée dans l’hypothalamus, des neurotransmetteurs sont libérés par les neurones dans l’ensemble du corps et un signal est envoyé aux glandes surrénales, qui se situent sur les deux reins.
À partir de là, il se produit une sécrétion rapide de deux hormones : l’adrénaline (épinéphrine) et la noradrénaline (norépinéphrine).
Cette libération d’hormones fait augmenter le rythme cardiaque et la tension artérielle, dilate les voies respiratoires afin de maximiser l’oxygénation et fait se contracter les vaisseaux sanguins. Les sensations liées au toucher, à la vue et à l’ouïe sont également exacerbées par la sécrétion de ces hormones (et d’autres) qui aident à mieux traiter les changements soudains survenant au sein de l’environnement et à mieux y faire face, et ce quelle que soit leur nature.
L’adrénaline réduit de manière passagère la sensation de douleur. Elle influence la perception de la douleur en l’inhibant. Elle intercepte et bloque les signaux de douleurs voyageant dans le cerveau et dans la moelle épinière.
Les chemins empruntés par les boucles rétroactives de la douleur dans le corps fonctionnent d’ordinaire de sorte à protéger, mais lorsque ces chemins s’inhibent, ce qu’il se passe sur le corps n’a plus d’importance.
Lors d’une performance, l’individu a besoin de ces hormones pour faciliter les réponses physiologiques.
Quant à la noradrénaline, elle active les récepteurs alpha-2 adrénergiques, produisant une action inhibitrice qui supprime les signaux de douleur entrant dans les nerfs sensoriels. Cela diminue la douleur (analgésie).
En parallèle, la sérotonine, souvent appelée hormone du bonheur, agit notamment dans la régulation de l’humeur, de la perception de la douleur, de la température du corps, de la libido et de la vigilance.

S’il y a trop de production de sérotonine, il peut apparaître un syndrome sérotoninergique. Dans ce cas, il peut y avoir une forte anxiété, un délire avec confusion, des tremblements, des spasmes musculaires, une fréquence cardiaque rapide, une hypertension artérielle, une température corporelle élevée, des sueurs, des frissons et/ou des vomissements peuvent apparaître.
L’endorphine fait partie des « neurotransmetteurs du plaisir« , connus aussi pour lutter contre le stress. Elle permet à un individu de se sentir dans un état de bien-être et de plénitude, voire d’euphorie.
Les endorphines ont quatre effets extrêmement positifs sur la santé mentale et physique d’un individu :
- Un effet euphorique : on se sent dans un sentiment de joie, de pleine conscience, d’une vision claire, comme si on était sur un « nuage ». Il permet de combattre le cortisol, car les glandes corticosurrénales vont faire moins d’efforts.
- Un effet anxiolytique : elle agit comme une morphine produite par notre propre corps. Une activité physique à 70% de sa fréquence cardiaque maximale, pendant 20 minutes minimum, permet d’avoir l’effet euphorisant pendant 2 à 6 heures.
- Un effet antalgique : les endorphines se fixent sur des récepteurs qui empêchent la transmission des signaux douloureux et amoindrissent la sensation de douleur, pendant une durée de 4 heures après leur sécrétion.
- Un effet anti-fatigue : pour permettre au corps de s’adapter à cette situation physique hyper mobilisatrice inhérente à une activité sportive, elles limitent l’épuisement à l’effort.

En raison de ces vertus bénéfiques, les endorphines produites par l’organisme peuvent devenir addictives chez les personnes soumises accoutumées à cette sensation satisfaisante.
Certaines personnes soumises développent une véritable addiction aux endorphines : elles doivent impérativement avoir des scènes de plus en plus prolongées, ou bien recherchent des situations à risque ; elles en deviennent même irascibles.
L’effet des endorphines est similaire à celui des opioïdes, comme la morphine ou l’héroïne, car elles activent les mêmes récepteurs que ces drogues : les récepteurs opioïdes mu et delta. Les endorphines produisent également de la dopamine dans le noyau accumbens, la voie du plaisir, activée par les drogues addictives. On peut donc se demander si un état endorphinique continu ne serait pas similaire à la prise d’opioïdes. Cependant, contrairement à la morphine, les endorphines sont rapidement dégradées par les enzymes peptidases du cerveau. L’organisme possède donc ses propres mécanismes de sécurité qui rendent l’état d’euphorie endorphinique moins dangereux que la prise d’opioïdes.
Les endorphines n’ont donc aucune accoutumance physique, mais il y a une accoutumance d’ordre psychologique.
Une personne soumise, emportée par les endorphines, devient rêveuse, avec une forme d’euphorie calme. Elle est dans un brouillard émotionnel. L’insensibilité de la personne soumise dans cet état peut être dangereuse. Le Maître doit en être conscient et ne pas se fier uniquement au safeword pour atténuer ou faire cesser la douleur. Il se peut même que la personne soumise implore la poursuite de la scène. Elle ne veut pas quitter cet état mental.
Si le « subspace » est un état de conscience altérée, recherché pour son euphorie et son effet analgésique, la compréhension de ses mécanismes neurobiologiques révèle une implication cruciale en matière de sécurité. La puissante action des endorphines, en supprimant la perception de la douleur, rend la personne soumise incapable de mesurer ses propres limites physiques et psychiques. Le safeword, bien qu’essentiel, peut perdre sa pertinence. Le Maître porte donc une immense responsabilité. Il ne peut se fier aux seules réactions verbales de sa personne soumise. La connaissance de cette biochimie devient alors un outil indispensable pour maîtriser la scène, pour une pratique éclairée où l’observation attentive et la communication préalable priment pour garantir que cet état de lâcher-prise ne bascule pas vers la mise en danger.

En somme, l’état de « subspace » est le fruit d’une cascade neurochimique complexe, initiée par le stress et la douleur inhérents aux pratiques BDSM. La réaction de combat ou de fuite déclenche la libération d’adrénaline et de noradrénaline, qui aiguisent les sens tout en initiant une première analgésie. S’ensuit la production massive d’endorphines, qui agissent comme des opiacés naturels, plongeant la personne soumise dans un état d’euphorie, de détachement et d’insensibilité à la douleur. Loin d’être un phénomène purement psychologique, le subspace est donc une réponse biologique puissante où le cerveau, pour se protéger d’un stress intense, génère son propre anesthésiant et sa propre récompense, transformant une expérience potentiellement traumatisante en un état de plénitude recherché.