Soumission, Servitude et Service
Note 1 : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique, ils ont à la fois la valeur d’un féminin et d’un masculin.
Note 2 : Après un échange ayant eu lieu entre une soumise et allotei, ma soumise, amenant à débattre elle et moi, j’ai eu envie de vous partager ma réflexion sur la soumission, la servitude et le service dans le BDSM selon mon point de vue, selon ma vision du BDSM.
Pourquoi faudrait-il lier ou dissocier une personne soumise de ces trois notions : la soumission, la servitude et le service ?
Il y a un paradoxe entre la servitude et la soumission, ils ne peuvent se penser autrement que dans l’opposition ou le lien qui les unit à la liberté, au libre arbitre, à la nature même de la personne soumise et ce qu’elle choisit ou peut choisir d’en faire. Y-a-t-il une nécessité, voire une utilité dans le BDSM de se poser la question s’il existe une différence ? A moins qu’on aborde la question différemment si c’est un état de fait ou d’un choix. Entre philosophie de la liberté et psychologie de la soumission, on ne peut pas ne pas s’interroger sur les notions de bien, de mal et de pensée. Pour certains, le mal est l’absence de pensée, mais du coup, asservir ou se soumettre est-ce un mal (absence de pensée) ou un bien (présence de pensée) ?
Qu’est-ce que la servitude ?
Servir est issu du latin “ser vire“ qui signifie être esclave, vivre dans la servitude mais également être sous la dépendance de, se mettre au service de, être dévoué à et enfin être utile à. La servitude dérive de servus : esclave, serf, qui et il est intéressant de le noter donna servare dont le sens premier aujourd’hui conservé dans le langage religieux est garder, protéger. C’est avec la valeur du latin “être soumis à” ou “être dévoué à” que le verbe apparaît dans servir : se vouer au diable ou servir Dieu. Servir dans le BDSM deviendrait se vouer au diable (absence de pensée, le mal) ou alors servir Dieu (le Maître serait mis à une place haute, une haute estime (voir le texte de ma soumise allotei “C’est quoi pour toi être la propriété d’un Maître ?”).
Peut-être en amont de faire le choix d’être soumise, faudrait-il se demander la raison d’être soumise : est-ce pour se vouer au diable ou pour servir Dieu ?
Dans le BDSM je pense qu’il faut prendre la servitude dans le sens donna servare c’est à dire garder, protéger. Si la raison d’être soumise est pour se vouer au diable, la servitude prend alors un état égocentré, ainsi la servitude serait tournée vers soi-même : se garder, se protéger, dans ce cas la personne soumise serait-elle le diable ? Si la raison est pour servir Dieu, la servitude prendrait un état allocentré, son leitmotiv serait de garder, de protéger, tel le chien du Berger? La personne dominante serait le “berger”. La raison de la personne soumise serait de servir le Maître.
Qu’est-ce que la soumission ?
Soumettre issu du latin classique submittere qui signifie envoyer en-dessous, placer sous, mettre dans un état de dépendance, envoyer en bas, envoyer à la place de. Au XIIe siècle, le verbe signifie mettre un peuple dans un état de dépendance, d’imposer à quelqu’un son autorité. Mais soumettre prend aussi au XVIIe siècle le sens de mettre dans l’obligation d’obéir à la loi, d’accomplir un acte, dans le sens d’une personne docile, obéissante.
Soumission vient du verbe soumettre, en restant dans l’idée de “se vouer au diable” ou de “servir Dieu”, on peut aisément voir la différence dans la soumission, dans ce cas la soumission viendrait soit du verbe “soumettre” soit du verbe pronominal “se soumettre”. Un verbe pronominal se nomme aussi un verbe réfléchi. Lorsque vous dites je me lave, cela exprime bien le fait que vous avez réfléchi, pensé et fait le choix, pris la décision de vous laver.
Si une personne est dans la soumission, la question qu’il faut se poser serait encore une fois de trouver la raison de sa soumission. Est-elle soumise au diable, ou se soumet-elle à Dieu ?
Si elle est soumise au diable, on se retrouve dans la signification du XIIe siècle, la personne soumise serait dans un état de dépendance, la personne Dominante lui impose son autorité. On se retrouve là dans une forme de psychologie de la soumission.
Si elle est soumise à Dieu, on se trouve alors dans la signification du XVIIe siècle, sa soumission l’oblige à obéir au Maître afin de garder et de protéger la relation, tel le chien du berger qui lui, doit obéir au berger afin de garder, de protéger le troupeau. On se trouve alors dans une forme de philosophie de la liberté. La personne soumise est libre de se soumettre, aucune contrainte, elle a fait le choix, pris la décision de vivre pleinement sa relation.
Je rappelle que c’est le berger qui dirige le troupeau, dans le BDSM, c’est le Maître qui dirige la relation.
Qu’est ce que le service ?
Ce qui différencie l’Homme du chien, c’est le langage, mais c’est aussi sa forme de pensée. En effet, la soumission et la servitude au diable, c’est utiliser un semblable pour se servir. Mais servir pour quoi, dans quel but ? La réponse se trouve certainement dans le passé, et dans un tel cas, la personne Dominante ne pourra pas apporter de solution pérenne. La personne Dominante enfermera de manière inconsciente la personne soumise dans une spirale négative, telle une vis sans fin, sans équilibre, sans paix intérieure.
Dans le cas de la soumission et de la servitude à dieu, La soumission et la servitude dérivent d’une fonction sociale consistant à préserver une relation, la personne soumise sert le Maître, le Maître sert la relation. Né ainsi un besoin réciproque, survie et préservation contre service.
Je rappelle que le mot service (servus) dérive de conservare : conserver la vie.
Dans le cas du service au diable, c’est conserver sa psychologie de la soumission, c’est conserver son égocentrisme, c’est conserver son état, rester dans une homéostasie.
Dans le cas du service à Dieu, le berger et son chien conservent la vie du troupeau, conservent le troupeau. Dans un cadre BDSM, c’est conserver la relation, la vie au sein de la relation, cela permet à chacun des protagonistes dans la relation de vivre leur choix, leur décision.
C’est dans cette réciprocité que chacun trouvera son propre équilibre. On retrouve la loi de l’Univers : tout est en mouvement, et pourtant tout est équilibré. Vivre une relation BDSM est une constante recherche d’équilibre dans une relation en parfait déséquilibre (dixit ma soumise allotei). Cette réciprocité que l’on retrouve dans un écosystème, dans un système, cette recherche de l’interdépendance (voir Les étapes de la dépendance (4ème volet) et De la dépendance vers l’allonomie (2ème volet)).
Dans ma vision du BDSM, se soumettre ou asservir, je vois bien cela comme un bien, une présence de pensée. La personne soumise à sa liberté de pensée, son libre arbitre, car sa posture est un choix et non un état de fait. En se soumettant elle devrait entrer dans une philosophie qui devrait la libérer.
Addendum : je ne peux m’empêcher de joindre aussi un autre article que j’avais écrit sur le collier BDSM , article qui parle aussi du Berger et de son chien.
Source m’ayant inspiré dont j’ai repris de grandes parties : Discours de la servitude volontaire de La Boetie et des Lettres persanes de Monstesquieu (https://www.editions-ellipses.fr/PDF/9782340011700_extrait.pdf)