En commentaire à mon article sur « La place de l’amour dans lon BDSM » , un lecteur m’a laissé un commentaire dans lequel il me pose cette question :  » Qu’entendez vous exactement par le terme “Amour”? Je pense qu’on peut mettre beaucoup de choses derrière ce mot, c’est pourquoi j’ai besoin de précisions.  » La réponse étant complexe, et je me suis dit que cela pourrait faire l’objet d’un nouvel article que voici :

Il est vrai que l’on peut mettre beaucoup de chose derrière ce mot amour, le voit-on d’un point de vue biologiste, éthologique, psychanalytique, psychologique, historique, sociologique, anthropologique, etc ?

D’un point de vue biologique, l’amour nous renvoie à deux tendances les plus fondamentales de la vie : l’auto-conservation et la reproduction. La vie veut vivre. Toute personne cherche à se reproduire d’une part, et à se maintenir en vie d’autre part. Pour la reproduction l’amour est sexuel. Pour se maintenir en vie, c’est la recherche de la descendance, qui passe aussi par l’acte sexuel. Dans le cas du point de vue biologiste, dans le BDSM mettre de l’amour serait une recherche de partenaire sexuel. Mais dans ce cas, alors dans le BDSM, il ne peut pas y avoir d’amour dans un couple BDSM homosexuel, ils sont incapables de se reproduire. Donc indirectement et du point de vue du biologiste, l’individu vivant participe à la vie de son espèce, mais de son point de vue à lui, il sert ses tendances et autres pulsions.

Je pourrais développer pour les autres sciences aussi, mais là n’est pas le but de cet article, ce n’était qu’un exemple.

 » L’amour en tant que tel n’est pas du tout généreux, il n’a pas pour vocation de faire le bonheur de l’autre : il se suffit à lui-même.  » (Vincent Citot) Le désir et le plaisir visent le bonheur de soi et non de l’autre par la médiation de l’autre. l’éthique vise le bonheur de l’autre par l’action du soi. L’amour se suffit à lui-même. L’amour ne travaille pas pour le bien de l’autre, il se contente de l’aimer. Voilà pourquoi, pour moi, ma relation BDSM va bien au delà de l’amour.

Lorsque l’amour se comprend comme un élan vers l’autre, une attention bienveillante à son bien-être, à sa santé, à sa sureté, à son bonheur, on est là dans un amour-action !

C’est bien dans l’accompagnement de l’autre dans son projet BDSM, cette proximité partagée et interactive qui fait que chacune des personnes dans cette relation participe au dynamisme de la vie de l’autre. C’est un amour actif et participatif, sans doute le plus accompli, mais sans doute pas le canon ou l’essence de la relation amoureuse « Le sentiment amoureux en tant que tel n’est pas actif, mais passif. » (Vincent Citot). Voilà aussi pourquoi je dis fréquemment que la soumission doit être active et non passive.

L’amour serait plus un souffrir-avec, un pathos-avec, pour reprendre l’expression de M. Henry (in Phénoménologie matérielle) qu’un agir-pour. Quand j’agis pour autrui, je suis généreux, je suis bon avec lui ; cela suppose peut-être l’amour (pas nécessairement en réalité), mais cela va au-delà. Aimer n’est pas agir-pour, c’est ressentir-avec, où se trouve-là le partage, l’échange, l’action ? Encore que la simple empathie ne suffise pas : aimer c’est “ressentir-avec” en étant “attaché à”.

Rendre service, donner de soi pour l’autre, être attentif à sa demande et son appel, cela n’implique pas du tout de l’aimer. Aimer n’est pas un acte de générosité, et l’acte de générosité n’est pas un acte d’amour, ou alors les mots n’ont plus de sens …

L’amour est égocentrique, voire nynégocentrique plutôt qu’ allocentrique (altruiste). Lorsque l’on aime, on perd l’appétit, on perd « conscience », ne dit on pas que l’amour rend aveugle ? Souhaitez-vous qu’en tant qu’encordé(e), soumis(e) ou esclave, la personne qui vous domine ou qui encorde soit aveugle ? l’amoureux donne de son temps, de son argent, ne vit que pour l’être aimé, mais là n’est pas de l’amour, car l’amour ne donne pas. Le désir, le plaisir prend, l’éthique donne et l’amour ne fait rien ! L’amour se contente seulement d’aimer.

Dans mon BDSM je parle d’intention, de connexion, d’allocentrisme, je parle d’éthique dans ma philosophie de vie, dans mon art de vivre. Le désir est chasseur, l’amour est conservateur et l’éthique est bienfaisante. L’égoïsme du désir n’est qu’une forme particulière d’égocentrisme. L’égoïste sert son ego contre les autres ego.

L’égocentrisme pose simplement l’ego au centre, et voit le monde tourner autour. L’amoureux vanille est conservateur : il souhaite maintenir les conditions de son équilibre affectif. Je suis attaché à telle personne, et je cherche à maintenir un statu quo : que mon attachement, qui ne consomme pas, qui ne réclame pas, soit au moins respecté pour ce qu’il est, et soit conservé. L’amour vanille est égocentrique : le monde s’organise pour lui en fonction de ses distributions affectives.

L’amour vanille amène la personne dans une éthique pour soi, le BDSM pour moi permet à l’individu de se transcender en éthique pour l’autre.

Cet allocentrisme dans le BDSM pousse l’individu, en puisant en lui jusqu’aux sources les plus vives de son être, il devient capable de revenir en deçà de son propre égocentrisme pour amorcer un mouvement nouveau qui, bien qu’ayant encore sa source et son principe dans cette énergie vitale individuelle, a son but et sa fin dans l’autre. Cet allocentrisme pousse le BDSMiste dans l’éthique pour l’autre et dans la morale. Voilà pourquoi aussi il y a des principes, des valeurs, des codes, des protocoles dans le BDSM (voire Les codes sociaux dans le BDSM ou dans les cordes et L’importance et la raison des codes et protocoles dans le BDSM et dans les cordes) que l’on ne trouve pas dans l’amour.

Pour moi l’amour vanille, dans notre société actuelle, pousse les individus dans un amour passion : individuel. L’amour BDSM les pousse dans un amour-action : altruiste !