Quand le rôle social dans le BDSM ou dans les corde étouffe la personnalité
Note : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique; ils ont à la fois valeur d’un féminin et d’un masculin.
Tout le monde joue des rôles sociaux, mais que se passe-t-il lorsque nous nous identifions à ces rôles ?
Souvent les personnes dans leur discours croient ou pensent souvent raconter leur histoire, alors qu’en réalité, sans le vouloir, ils en relatent une toute autre.
Ses récits qu’ils exposent les mettent progressivement en difficulté eux-mêmes déjà et vis-à-vis des autres aussi, cela ne leur permet pas de se définir au-delà de leur rôle social.
On pourrait dire que c’est la maîtrise du faux-semblant
Dans la vie trop de faux semblant Elles s’agitent en espérant un peu d’attention Elles parlent sans cesse de respect Dans ce monde domine le chacun pour soi La plupart jouent sans cesse un jeu |
Deux questions demeurent tout de même dans la réflexion d’un BDSMiste connecté :
- Je veux être un grand, réel, vrai, … Maître, Dominant, soumis, encordeur ou encordé, suis-je reconnu par mes pairs ?
- L’attirance pour ma pleine satisfaction, suis-je le plus grand dans ce monde ?
L’individualisme
Le mot d‘individualisme peut avoir plusieurs sens :
- Au sens courant et restreint, le mot désigne l’égoïsme, l’individualiste ne pensant qu’à lui sans se préoccuper des autres.
- Au sens politique, c’est une conception de la vie en société dans laquelle l’individu constitue la valeur centrale, d’où l’importance accordée aux libertés individuelles et aux droits de la personne ; l’individualisme est ainsi d’origine démocratique, son symbole est la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
- Au sens sociologique, l’accent est mis sur l’autonomie de l’individu par rapport aux règles collectives, l’individu s’affranchit de ces normes imposées par d’autres, des tutelles traditionnelles qui pèsent sur son destin : en ce sens, l’individualisme est un processus d’émancipation à l’image du féminisme au cours du XX° siècle.
Les nouvelles tendances de l’individualisme
A partir des XIV° et XV° siècles, avec la Renaissance, émerge une nouvelle manière de vivre et de concevoir sa destinée, de maîtriser sa vie en étant libre et responsable : l’individualisme est indissociable de la modernité et de la démocratie.
Petit à petit, ce processus permet d’arracher l’individu à l’emprise de la communauté afin de prendre en charge son propre destin, de construire son être, d’effectuer des choix personnels ; il s’affranchit des normes de la religion, de la tutelle de l’Etat, du travail, de la famille. L’individu moderne est désormais seul face à lui même, face à sa destinée : en ce sens, il est « un citoyen orphelin de père, de prince et de Dieu » (C.Delsol – université Marne la Vallée) .
La montée de l’individualisme se confirme avec l’avènement de la société industrielle et au cours du XX° siècle, en particulier dans la décennie des années soixante qui renforce le libéralisme culturel et la permissivité de la société, le symbole en étant mai 68 en France. L’observation d’une généralisation de l’individualisme conduit de nombreux philosophes et sociologues à parler de sociétés désormais post-modernes, où l’individu devient le centre de l’organisation de la société (avec le développement du droit des personnes -dit droit subjectif-, l’affirmation des réseaux sociaux aux détriments des groupes sociaux, etc.)
Les enjeux
Quatre interrogations peuvent accompagner la montée de l’individualisme dans les sociétés modernes :
- Un danger pour la démocratie ? ou la crise de la citoyenneté.
C’est déjà l’approche de Tocqueville qui voit l’individualisme comme un repli sur la sphère privée et un abandon de la sphère publique, de la participation à la vie de la cité. Ce repli pourrait laisser la place libre à une « tyrannie douce » dans laquelle les individus sont pris en charge et n’exercent plus leurs pouvoirs.
- Un danger pour la cohésion sociale ? ou la crise du lien social.
C’est la crainte de Durkheim à la fin du XIX° siècle, témoin du déclin de la société traditionnelle rurale et paysanne et de certaines institutions comme l’Eglise. Est posée la question du respect des valeurs et des normes communes, le risque de rejet de ce qui est imposé par d’autres, du refus de toute entrave au choix personnel et individuel.
- La fin du changement social ? ou la crise des mouvements sociaux.
Est posé le problème de l’action collective : dans une société caractérisée par la montée de l’individualisme, comment des conflits collectifs peuvent-ils se dérouler ?
- La fatigue d’être soi ? ou la crise de l’être moderne.
L’individu gagne en liberté mais il perd en solidité et en certitude ; sa responsabilité dans la construction de sa vie le rend fragile, inquiet.
L’une des images fortes de l’informatique est celle de la personne seule devant son écran, parfois considérée comme coupée du monde. Cette représentation sociale de l’usage individuel de l’ordinateur comme forme dominante semble perdurer. La question revient avec force avec les équipements personnels que sont les tablettes, smartphone et ordinateurs portables. Et pourtant l’impression qui prévaut est que, comme avec le livre, où le journal, s’isoler dans une bulle d’action individuelle est essentiel pour chacun de nous, mais très nouveau non plus. La différence qui apparaît désormais avec les écrans connectés, c’est que, outre l’attrait lié au caractère visuel et animé de la surface de lecture, ils offrent désormais des possibilités d’interactions à distance.
L’environnement numérique et “l’individu relié”
La particularité de l’environnement numérique c’est d’instaurer le primat de « l’individu relié » , comme un paradoxe entre celui qui est là et qui se coupe du là, pour être ailleurs, sorte de triomphe de l’individu sur le contexte dans lequel il évolue.
L’individuation, pour reprendre ce terme à Gilbert Simondon, peut-elle s’opérer. Autrement dit comment le numérique interfère avec cette équation du développement humain : la dialectique individuel/collectif. Ou encore, est-il possible, dans le monde envahi par des moyens numériques qui ignorent les frontières, les territoires, que chacun se sente membre d’un collectif et si oui, de quel genre ? In fine, quelle éducation proposer, quelle forme d’action éducative proposée alors que les repères anciens (états, nations, voire famille) s’estompent progressivement. Pour le petit enfant exposé à l’image d’un grand parent sur l’écran de l’ordinateur de ses parents alors qu’il est à l’autre bout du monde, les notions de distance, d’espace et de temps, fondatrice du moi situé, sont à construire différemment que lorsque ces éléments n’étaient perceptibles qu’au prix de « médiations lentes » que sont les lettres postales, ou simplement les voyages longs.
Malheureusement aujourd’hui , certaines personnes pensent l’apprentissage du BDSM ou des cordes comme une activité qui va du collectif à l’individuel et non pas l’inverse. Mais c’est aussi un système qui inscrit le collectif non pas comme un institué dans lequel on doit se « mouler », ce qui est le modèle traditionnel, mais comme un construit à recommencer tout au long de la vie. En d’autres termes c’est permettre à chaque individu, aussi individualisé soit-il dans ses usages des moyens de communication, de participer à la construction du collectif qui commence par le groupe social avec lequel chaque personne va progresser.
Individualisme et internet
Les usages d’Internet témoignent et amplifient les transformations de l’individualisme contemporain. Celui-ci se manifeste d’abord sous sa forme expressive à travers les blogs, les sites de partage de contenus (Youtube, DailyMotion, Flickr…) et les sites de réseaux sociaux (MySpace, FaceBook, Fetlife…), ensemble de plates-formes relationnelles que l’on identifie aujourd’hui sous l’étiquette Web 2.0. Le développement rapide de ces pratiques relationnelles sur le Web témoigne de nouvelles articulations entre individualisme et solidarité. En effet, à l’origine de leur engagement sur une plate-forme relationnelle, les personnes sont d’abord motivées par une raison personnelle : parler d’elles, montrer leurs photos, leurs goûts ou leurs connaissances. Les plates-formes relationnelles du Web 2.0 prennent appui sur le développement croissant d’un individualisme démonstratif qui prescrit à chacun de se singulariser des autres en affichant ses petites différences. Aussi paradoxal soit-il, c’est donc le renforcement de l’individualisme dans un contexte qui valorise la reconnaissance symbolique des singularités de chacun qui est au principe de la coopération numérique. En rendant publiques des productions individuelles autrefois réservées au cercle des proches, les participants aux sites du Web 2.0 rendent possible une mise en relation, un échange ou une coopération avec d’autres. La coopération est donc une conséquence émergente de l’engagement individuel des personnes. Elle est opportuniste, peu intentionnelle, souvent fragile et temporaire. Les participants découvrent chemin faisant de nouvelles raisons de partager et de faire des choses ensemble. Mais la condition essentielle pour que ces coopérations potentielles se réalisent est que les individus choisissent préalablement de rendre publiques des productions, des informations, des données, explicites ou implicites, les concernant.
Parmi les différents signes identitaires qu’affichent les participants sur les sites du Web 2.0, la liste de leurs relations (contacts, amis, etc.) constitue l’un des principaux vecteurs du développement viral des usages. Cependant, le carnet de contacts affiché sur ces sites est extrêmement divers, multiple et proliférant. Tous les « amis » ne sont pas des amis… Par exemple, sur Fetlife ou FaceBook, les participants affichent de petits réseaux de contacts qui sont principalement constitués de personnes connues dans la vie réelle, alors que sur MySpace ou Flickr, les participants exhibent des listes extrêmement longues de contacts qui, la plupart du temps, ne sont que des “connaissances numériques” , bien que l’on voit de plus en plus apparaître des listes longues de contacts dans Fetlife ou FaceBook, qui ne sont même pas des “connaissances numériques” , cela apparaît davantage comme des collectionneurs de “connaissances numériques”, une forme de concours : “à qui en aurait le plus”.
A la question : Je veux être un grand, réel, vrai, … Maître, Dominant, soumis, encordeur ou encordé, suis-je reconnu par mes pairs ?
La réponse se trouve dans la droite ligne du personnage : un grand Maître, Dominant, soumis encordeur, encordé est une personne qui agit toujours avec dignité, avec maîtrise et il y a dignité et maîtrise, lorsqu’il y a la capacité pour un Maitre, Dominant, soumis, encordeur, encordé à ne pas abandonner le personnage qu’il habite.
Ce personnage est prisonnier de son rôle, un personnage de moindre envergure abandonnera son personnage BDSMiste ou dans les cordes en faveur du personnage privé (son caractère réel) à la moindre provocation, frustration, refus, négation. Pour ces individus là, être un BDSMiste ou encordeur/encordé, c’est comme jouer dans une pantomine, ou à la “commedia dell’Arte” : une petite poussée, un léger choc, un désaccord, une demande d’argumentation, une question trop pointue… et tout s’effondre tel un château de carte, révélant l’acteur qu’elle masquait. Les grands BDSMistes ou encordeurs/encordés sont grands parce qu’ils ont la capacité d’habiter leur “rôle”, leur place, leur posture… dans le BDSM ou dans les cordes, et de l’habiter autant que faire se peut. Ils ne se laissent pas ébranler par les évènements autant extérieurs qu’intérieurs, fussent-ils surprenants, impressionnants, alarmants ou offensants. Ils portent leur “rôle”, place, posture… comme un homme vanille bien élevé porte son costume, il ne laissera personne salir, ou le lui arracher, il s’en défera au moment où il désirera le faire, et surtout uniquement à ce moment-là, c’est à dire souvent lorsque sera en parfaite sécurité, lui et les siens, ou lorsqu’il sera seul. C’est là aussi la question de dignité et de maîtrise.
Cette vision de la dignité évoque la théorie du sociologue Erving Goffman sur “la mise en scène de la vie quotidienne” et la “présentation de soi”, publiée en 1959. Pour Goffman, nous efforçons tous de montrer un certain visage aux autres : nous jouons un personnage; “silhouette habituellement avantageuse, destinée à mettre en évidence l’esprit, la force, et d’autres solides qualités”. En générale, cette image est fragile : volontairement ou non, et souvent nous sortons de notre rôle et laissons tomber notre “masque” .
Le drame souvent, c’est qu’une confusion totale sur son identité s’ensuivra. Qui est-il au delà de son personnage ? Non seulement, il va de plus en plus l’ignorer, il va être refoulé, mais en plus il ne veut pas le savoir, parce que cette idée le terrifie !
A première vue, l’enjeu quasi moral qu’il met à rester dans son rôle peut sembler caricatural. Mais souvent il se façonne laborieusement une identité en se et nous convainquant qu’elle reflète sa “dignité” et sa maîtrise !
Il endosse un costume : celui de parangon de vertu et de représentation morale. Ce phénomène est en pleine expansion, du fait que notre image est de plus en plus visible et livrée au plus grand nombre par les nouveaux moyens de communication donc les réseaux sociaux tels que FetLife, FaceBook, etc…
Une neuroscientifique Molly crockett s’interroge ainsi sur la propagation de l’ “outrage moral” dans le monde de moins en moins virtuel de la toile. Le sentiment d’indignation plutôt rare dans la vie quotidienne, y est en effet surreprésenté et valorisé, comme si chacun avait désormais un nombre infini de d’occasion de signaler sa vertu en exprimant à volonté, et à très peu de frais, sa réprobation. Des motifs d’indignation sont recherchés et trouvés quasi quotidiennement, renforçant une image de soi héroïque et plaisante, mais contre-productive par bien des aspects.
Le risque de ces personnalités là, c’est qu’elles accentuent les divisions sociales au lieu de les rassembler. Comme le signalent Justin Tosi et Brandon Warmke, deux philosophes, ils mettent en garde contre ce qu’ils appellent la “grandiloquence morale” . Dans un environnement social où l’on cherche à présenter une image vertueuse et valorisante, on peut naturellement s’attendre à une escalade dans le pureté morale, où chacun tente de se positionner “au dessus de la mélée” , c’est-à-dire comme encore plus perspicace et plus épris de justice que les autres. Le danger d’un tel mécanisme, c’est que les individus finissent pas se concevoir eux-mêmes comme l’image qu’ils cherchent à projeter compulsivement, ce qui changerait radicalement la nature des rapports sociaux et élargirait le fossé entre les groupes porteurs d’idéologies identitaires de plus en plus inconciliables.
Sur les réseaux sociaux, les internautes s’organisent en groupe polarisé qui avec le temps communiquent de moins en moins entre eux. Molly Crockett prend l’image de chambres d’échos, où les indignations morales ricochent d’une paroi à l’autre mais dont elles s’échappent rarement.
Cette posture les attirent car tout en jouant le rôle d’un personnage pétri de bons sentiments, ils se persuadent que cette identité de façade reflète leur “moi” profond.
Ses personnes prennent leur personnage tellement au sérieux, que ce personnage finit par leur gâcher leur vie. Engoncés dans leur rôle, ils échouent à tisser des liens, des relations sincères et durables. Ils finissent par être hantés par les regrets, par les désillusions. Quand les principes reprennent le dessus sur la réalité, le vrai “moi” n’est plus seulement une illusion, il devient un obstacle à leur émancipation.
A la question : l’attirance pour ma pleine satisfaction, suis-je le plus grand dans ce monde ?
L’individualisme a souvent mauvaise presse dans les discours contemporains. On a tendance à lui imputer tous les maux de nos sociétés : égoïsme, compétition, exclusion, communautarisme, voire déliquescence morale… Pour le sociologue François de Singly, c’est une erreur, il décrit cela dans un petit essai argumenté et percutant. Si l’on l’assimile l’individualisme aux réactions adolescentes ou adulescentes du type “j’ai bien le droit de faire ce que je veux” , il est tout le contraire. Fruit d’une pensée, élaborée depuis la Renaissance, l’individualisme est un projet de société dans lequel chacun devrait trouver les meilleures conditions de sa réalisation et de son épanouissement. La Révolution française déjà, est par excellence une révolution de l’individualisme, il donne à chacun un statut égal de citoyen. Un siècle plus tard, l’invention de l’isoloir, en est aussi une pure émanation.
La première modernité (du XIXe siècle aux années 1960) a inventé l’universalisme abstrait, qui définissait tout ce que les individus ont en commun. La seconde modernité y adjoint un individualisme plus “concret” qui valorise la construction des identités de chacun et de chacune, puisque l’émancipation des femmes ressortit de cette période. Mais, la reconnaissance des uns ne peut se faire qu’à travers les autres : le lien social est indispensable au bon fonctionnement d’une société d’individus fussent-ils des BDSMistes ou des encordeurs/encordés. Ses différentes facettes, de l’Amour, dans les relations intimes, à la conscience d’appartenir à une “commune humanité” , sont le ciment du projet individualiste.
Si les conditions sociales dans les réseaux sociaux ne sont pas toutes réunies pour que la société BDSM ainsi que la société des encordistes, acceptent pleinement la liberté et la singularité de tous, sans discriminations, sans souffrances et sans injustices, l’hypermodernité est marquée aussi par des tendances qui permettent d’espérer : le développement du care, de la connexion, des intentions allocentrées, et de Maîtres, Dominants, soumis, encordeurs, encordés qui ne visent pas nécessairement l’adulation, le spectaculaire, l’impressionnisme et l’enrichissement…
La Second Life
Le logiciel “Second Life” , qui permet à des milliers de personnes de se créer un personnage à la carte, représente l’équivalent du doudou chez les enfants, ce que les psychologues nomment un espace transitionnel. On peut se demander ce que sont les dangers et les vertus de tels substituts ? Tout dépend de la frontière entre imaginaire et fantasme.
Ce logiciel est l’émergence d’un univers virtuel qui tient lieu de vie réelle pour des millions d’êtres humains. Une hypothèse tentante est d’utiliser Second Life comme un “espace transitionnel” .
Selon Winnocott, le premier à avoir exploré cette notion, il s’agit d’un lieu d’expérience intermédiaire qui permet d’accepter le monde réel, de s’y adapter et de développer sa créativité. Winnicott constate qu’au début de son développement, l’enfant ne fait pas la différence entre le monde extérieur et son monde à lui, intérieur. Il traverse ce que l’on nomme une “phase d’omnipotence” où il a l’illusion que ses moindres pensées et désirs façonnent le monde extérieur.
On retrouve cette notion de phase d’omnipotence chez l’adulte qui arrive dans le BDSM ou dans les cordes. La frontière entre le monde de ses désirs et celui de leur réalisation est perméable. Progressivement, toutefois, cet adulte découvre que la réalité est une entité capricieuse, qui n’obéit pas toujours aux règles de son monde intérieur.
L’expérience de la frustration lui révèle que désirs et réalité sont distincts… Cette découverte est douloureuse et cet adulte qui arrive dans le monde BDSM ou dans les cordes, recourt à un objet transitionnel : l’artefact (objets d’impacts, Objets d’Edge Play, … ) ou la corde. Cet artefact ou corde lui permet de calmer son angoisse face au monde qui malgré tout ne veut pas lui obéir : il est doté d’une charge affective, mais peut encore être contrôlé.
Le jeu entre réel et virtuel
Pour que l’espace transitionnel remplisse son rôle apaisant face à une réalité difficile, il faut qu’il soit un espace de jeu, c’est-à-dire un espace de mise en scène. Un exemple très simple permet de le comprendre : celui du petit enfant qui revient de chez le dentiste et joue à la poupée, afin de recréer la scène vécue et de canaliser son angoisse. Le bambin pourra explorer les différents aspects de cette scène sur un mode “dédramatisé” : il pourra même s’imaginer devenir lui-même dentiste, inverser les rôles. Un tel espace devient lieu d’exploration des angoisses et des désirs, ce qui comporte plutôt des avantages. Toutefois, il peut aussi devenir un lieu de fuite, avec les dangers que cela représente, notamment une incapacité d’affronter la vie réelle.
Tout l’art consiste à faire oeuvre d’imagination, et non de fantasme. La nuance entre imagination et fantasme est ici déterminante.
Le fantasme était une fuite, bien plus qu’un lieu d’exploration et d’apprentissage de la réalité. À la différence du fantasme, l’imagination se confronte à la réalité.
Même si tout, dans la réalisation concrète, ne correspond pas toujours à ce que l’on avait imaginé, il existe une interface indispensable entre l’imaginé et le réalisé.
Or, contrairement à l’imagination, le fantasme est stérile. Il n’organise rien, il n’est qu’exutoire. Il ne débouche pas sur l’action, mais se suffit à lui même
Ainsi, pour que l’artefact ou la corde en tant qu’objet transitionnel restent sains, il faut que la personne joue afin de moduler son rapport à la réalité.
Faire le deuil de son fantasme d’omnipotence
Se pose alors la question cruciale : qu’est-ce qui oriente un utilisateur de Second Life vers une pratique fantasmatique ou, au contraire, vers une pratique imaginative ?
Lorsqu’un individu a accepté ce fait, tout espace transitionnel devient pour lui un espace d’imagination et de jeu ; il n’a pas besoin d’aller chercher dans l’espace transitionnel (Second Life) un moyen de préserver son fantasme d’omnipotence. Au contraire, s’il n’a pas fait le deuil de son fantasme d’omnipotence, il va le chercher dans l’espace transitionnel.
Il faut donc dépasser le fantasme pour pouvoir accepter la réalité et jouer véritablement, au fil d’une désillusion progressive. L’individu sain renonce à son omnipotence dans le monde réel et la transpose dans l’univers du jeu.
Or certaines personnes, comme la patiente de Winnicott, ne renoncent jamais à leur omnipotence. L’espace transitionnel devient alors une fuite, un artifice pour préserver le fantasme d’omnipotence. Pour ces personnes, le jeu Second Life n’est pas un lieu d’imagination, où l’on explore des possibles en se demandant en quoi ils sont éventuellement connectés à une réalisation concrète, mais un lieu de vie à part entière, indépendant de la réalité. Dans de pareils cas, Winnicott aurait dit que l’individu cesse de “jouer” . Ce n’est plus du jeu, c’est du réel. Deux réalités se côtoient : celle du monde extérieur et celle de Second Life. Des pathologies importantes telles la dépendance ou la dissociation peuvent alors survenir.
Dépendance, car le retour aux contraintes du monde matériel est souvent difficile. Dans le monde matériel, à la différence de Second Life, on ne peut pas se créer un personnage à la fois beau et spirituel, uniquement avec de l’argent. On ne peut pas faire vivre ou vivre toutes les soumissions, toutes les dominations ou toutes les cordes que l’on souhaite. La tentation est alors grande de retourner dans cet espace de Second Life, ce qui entretient un cercle vicieux caractéristique de la dépendance.
Le risque de dissociation existe aussi, car nous l’avons dit, deux réalités coexistent. L’individu se vit “en double” , comme certains psychotiques dont le moi est comme fragmenté, ne sachant plus qui ils sont, ni qui est la personne qu’ils aperçoivent dans le miroir. L’utilisateur de cette Second Life, n’ayant pas fait le deuil de son omnipotence ne sait plus qui il est !
John Suler, psychologue clinicien et chercheur à l’Université du New Jersey, le joueur doit pouvoir intégrer dans sa vraie vie ce qu’il a emprunté au monde imaginaire par le biais de son personnage dans sa Second Life. Il doit donc y avoir une relation entre la vraie vie et la Second Life. Cette dernière doit être une maquette pour la création de la première. Pour ce faire, l’imagination et la volonté doivent travailler de pair. Cette Second Life serait alors un moyen, comme tout jeu dans un espace transitionnel, pour arriver à un but : l’acceptation et la création de la réalité. Mal utilisé, ce moyen est confondu avec le but et la personne perd sa liberté, sa créativité et surtout sa capacité de jouer.
il semble que certaines personnes ont de grosses difficultés à “jouer” , c’est-à-dire à ne pas prendre les diverses formes de réalité virtuelle (télévision, Internet, Second Life) pour des réalités objectives. Ces personnes font une confusion entre la fin et les moyens, des personnes branchées telles des piles sur les machines et n’ayant plus conscience de leur identité véritable.
Cette second Life comme tout espace transitionnel, est est à la fois un symptôme de la difficulté qu’ont certains individus à entrer en relation avec la réalité, mais aussi et surtout une solution pour l’accepter à condition de l’utiliser correctement.
L’investissement de cet espace transitionnel doit déboucher sur l’investissement de la réalité et doit stimuler l’imagination et la création. A ces conditions-là, ces mondes virtuels du net pourront être créatrice de nouveau monde réel et libre.
[fblike]
3 thoughts on “Quand le rôle social dans le BDSM ou dans les corde étouffe la personnalité”
C’est vrai que la virtuelle prend de la place dans la vie des vanilles. Mais, on peut se poser la question suivante : Dans l’avenir qu’adviendra-t-il des vrais maîtres du bdsm. Parce que la génération des Web 2.0, comment seront-ils en tant que Maître où en tant que soumis ? Là est la question. Bonne réflexion, à tous.
Les vieux de la veille (en clair les anciens), savent de quoi ils parles quand ils discutent Bdsm, parce qu’ils ont appris avec des personnes réelles, et, pas avec le net. Mais, bon chacun y trouvera son compte. Edelweisss38