Les biais cognitifs dans le BDSM ou dans les cordes
Note 1 : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique; ils ont à la fois valeur d’un féminin et d’un masculin.
Note 2 : Dans cet article, je vais parler de ma vision des attitudes et comportements dans et vis-à-vis du BDSM et des cordes et du changement que cela demande et/ou apporte.
Préambule
N’oublions pas que dominer, c’est décider pour la personne soumise choisie ; dominer, c’est aussi décider pour la personne encordée choisie.
Il ne faut pas oublier que décider pour autrui, c’est se soumettre au jugement et à la critique de ses pairs et d’autrui.
Introduction
Un courant récent dans les théories de la décision (la décision en situation), indique des voies d’amélioration des heuristiques d’un décideur utilisant un Système d’Information et d’Aide à la Décision (SIAD). Existe-t-il ou pouvons-nous réaliser un SIAD BDSM ou de cordes ? Si l’on en trouve un, il faudra s’assurer prioritairement que le SIAD n’entrave pas la compréhension de la situation par le décideur, avant d’envisager des modalités spécifiques de réduction des erreurs.
J’entends par heuristique : “une démarche relativement empirique, établissant des hypothèses provisoires dans laquelle l’imagination, l’expérience, et l’histoire personnelle ont une place non négligeable” .
Je définis l’erreur de la manière suivante : “l’erreur couvre tous les cas où une séquence planifiée d’activités mentales ou physiques ne parvient pas à ses fins désirées et quand ses échecs ne peuvent être attribués à l’intervention du hasard” (Reason 1993, p. 31).
Le concept d’erreur
L’approche particulière du concept d’erreur conduit alors à proposer une lecture critique des réflexions sur le “debiasing” en indiquant qu’il convient de ne pas supprimer les biais cognitifs, mais plutôt de donner conscience au décideur de la survenance de ses biais.
Je définis le “debiasing” de la manière suivante : “l’identification des sources des déviations, c’est-à-dire des biais cognitifs, et la mise en oeuvre de stratégie de suppression de ces biais, permettant de proposer des améliorations de décisions” (Fischhoff Debiasing dans Kahneman et al., 1982).
“Pourquoi fait-on toujours les mêmes erreurs ?” , tel est le titre accrocheur d’un article, évoquant les mécanismes cognitifs qui conduisent à la génération et parfois même à la répétition de décisions absurdes (Aubé, 2002).
Les exemples, dans le BDSM ou dans les cordes, sont nombreux de décisions aboutissant à des résultats en apparence irrationnels. Comprendre les causes profondes de ces “erreurs” constitue un élément essentiel pour éviter de les produire et de les reproduire. Il demeure essentiel pour les pratiquants en raison de la médiatisation grandissante, de l’arrivage massif des individus dans le BDSM ou dans les cordes de réduire les erreurs possibles qui engendrent des traumatismes importants autant au niveau physique que psychologique.
Définition de la problématique
La problématique de cet article peut être formulée de la façon suivante : comment améliorer les heuristiques d’un décideur (Dominant) utilisant un Système d’Information et d’Aide à la Décision (SIAD), par une prise en compte explicite et sans a priori de ses biais cognitifs ?
Les BDSMistes ou les cordistes se sont-ils déjà posés la question de la probabilité d’un phénomène accidentel dans leur pratique ? Ont-ils cherché à évaluer le risque accidentel dans leur pratique ? Est-ce leur omnipotence (toute puissance), leur omniscience (tout savoir), leur omnijouissance (jouir de tout) qui les pousse à se croire hors de tout accident ?
Il y a déjà un modèle bien français qui freine, qui empêche tout changement, toute adaptation dynamique. Cette nouvelle société numérique pousse-t-elle les individus vers un narcissisme (voir L’utilisation des Réseaux Sociaux Numériques (RSN) dans le BDSM ou dans les cordes) ? Génère-t-elle une régression de l’individu sur un égocentrisme (voir Les formes de pouvoir & la « connexion » dans la relation) et un sentiment d’omnipotence, d’omniscience ? Le narcissisme n’est pas forcément une maladie, il y a certes ces fameux pervers narcissiques (voir Manipulation, Perversion et Instrumentalisation dans les cordes, dans le BDSM et Le syndrome d’hubris dans le BDSM ou dans les cordes), des manipulateurs dénués d’empathie émotionnelle et fortement gonflés d’empathie cognitive (voir Empathie, Altruisme et Compassion dans le BDSM ou dans les cordes). Mais de l’autre côté, on trouve aussi des narcissiques qui souffrent : fragiles, dépressifs, perfectionnistes, leur besoin de reconnaissance masque un fort sentiment d’infériorité.
Cette omnipotence, omniscience, omnijouissance, cet égocentrisme, ce narcissisme ont bouleversé la notion de gestion de la sécurité.
Avant l’existence d’une erreur apparaissait d’abord comme impossible (sauf faute de calcul), puis, sa réalité a été admise, avec comme corollaire la nécessité de la supprimer, et enfin, la reconnaissance de son rôle a conduit à la considérer comme partie intégrante du processus décisionnel.
Bien souvent la vulgarisation du BDSM ou des cordes, les médias numériques, et le côté “underground” du BDSM ou des cordes permettent de rendre opératoire les raccourcis déductifs, raccourcis sur lesquels les BDSMistes ou les cordistes se reposent. Les premiers raccourcis étant évidemment le manque voire l’absence de connaissances. Les autres raccourcis opérés peuvent être valides et déboucher sur des solutions inaccessibles à une démarche rationnelle, mais ils peuvent aussi entraîner des erreurs et constituent alors un biais de raisonnement. Ce n’est que le résultat de l’application des heuristiques qui permet a posteriori de qualifier les raccourcis de biais cognitifs.
Les biais cognitifs sont dans cette optique : des dévoiements du raisonnement rationnel constituant la contrepartie négative des modes de pratique.
Les biais cognitifs conduisent à une déviation des décisions des acteurs par rapport à leurs intentions.
L’erreur résulte de la négligence ou de la mise en oeuvre des biais cognitifs conduisant à faire dévier, de manière masquée, le raisonnement du décideur (BDSMiste ou cordiste) par rapport à son intention.
La typologie des biais dans le BDSM ou dans les cordes
⇒ Le biais de confirmation
Le biais de confirmation est la tendance, très commune, à ne rechercher et ne prendre en considération que les informations qui confirment les croyances et à ignorer ou discréditer celles qui les contredisent.
⇒ Le biais de croyance
Le biais de croyance se produit quand le jugement sur la logique d’un argument est biaisé par la croyance en la vérité ou la fausseté de la conclusion. Ainsi, des erreurs de logique seront ignorées si la conclusion correspond aux croyances.
⇒ Le biais d’autocomplaisance
Le biais d’autocomplaisance est la tendance à s’attribuer le mérite de ses réussites et à attribuer ses échecs à des facteurs extérieurs défavorables.
⇒ L’effet de halo
L’effet de halo se produit quand la perception d’une personne ou d’un groupe est influencée par l’opinion que l’on a préalablement pour l’une de ses caractéristiques. Par exemple, une personne de belle apparence physique sera perçue comme intelligente et digne de confiance. L’effet de notoriété est aussi un effet de halo.
⇒ Le biais rétrospectif
Le biais rétrospectif est la tendance à surestimer, une fois un événement survenu, comment on le jugeait prévisible ou probable.
⇒ L’excès de confiance
L’excès de confiance est la tendance à surestimer ses capacités. Ce biais a été mis en évidence par des expériences en psychologie qui ont montré que, dans divers domaines, beaucoup plus que la moitié des participants estiment avoir de meilleures capacités que la moyenne. Ainsi, plus que la moitié des gens estiment avoir une intelligence supérieure à la moyenne.
⇒ Le biais de négativité
Le biais de négativité est la tendance à donner plus de poids aux expériences négatives qu’aux expériences positives et à s’en souvenir davantage.
⇒ L’aversion de la dépossession
L’aversion de la dépossession (ou effet de dotation) désigne une tendance à attribuer une plus grande valeur à un objet que l’on possède qu’à un même objet que l’on ne possède pas.
⇒ Le biais d’ancrage
Le biais d’ancrage est la tendance à utiliser indument une information comme référence. Il s’agit généralement du premier élément d’information acquis sur le sujet.
⇒ Le biais de représentativité
Le biais de représentativité est un raccourci mental qui consiste à porter un jugement à partir de quelques éléments qui ne sont pas nécessairement représentatifs.
⇒ Le biais de statu quo
Le biais de statu quo est la tendance à préférer laisser les choses telles qu’elles sont, un changement apparaissant comme apportant plus de risques et d’inconvénients que d’avantages possibles.
⇒ L’illusion de savoir
L’illusion de savoir consiste à se fier à des croyances erronées pour appréhender une réalité et à ne pas chercher à recueillir d’autres informations.
⇒ L’effet Dunning-Kruger
L’effet Dunning-Kruger est le résultat de biais cognitifs qui amènent les personnes les moins compétentes à surestimer leurs compétences et les plus compétentes à les sous-estimer.
⇒ Le biais de conformisme
Le biais de conformisme est la tendance à penser et agir comme les autres le font.
⇒ L’illusion de contrôle
L’illusion de contrôle est la tendance à croire que nous avons plus de contrôle sur une situation que nous n’en avons réellement.
Les mécanismes de protection
Une autre source de problème montre que l’erreur elle-même n’apparaît plus comme élément prioritaire, le problème se déporte, alors, en amont, vers les mécanismes de protection que les individus mettent en oeuvre. Cela est exprimé par Dédale (2001, p. 84) : “les mécanismes de protection contre l’erreur sont finalement plus importants que l’erreur elle-même” .
Au lieu de supprimer les biais dans une optique de réduction des erreurs, il convient de renforcer les mécanismes de protection et pour ce faire, il s’agira de créer les conditions pour rendre visibles les erreurs du décideur (Argyris, 1999). Le décideur conserve alors le choix entre :
- recentrer son raisonnement par rapport à son intention initiale ;
- modifier son intention initiale (intention en action) en fonction du nouvel état de son raisonnement.
Conclusion
Dominer, c’est décider pour la personne soumise choisie ; dominer, c’est aussi décider pour la personne encordée choisie. Afin de limiter les erreurs, il faut trouver son Système d’Information et d’Aide à la Décision (SIAD), en prenant en compte les biais cognitifs, leurs origines, en réfléchissant au préalable sur son intention, puis de se connecter (voir La connexion d’un point de vue reliance, déliance, liance, La connexion dans le BDSM, dans les cordes, Les formes de pouvoir & la “connexion” dans la relation et La connexion) avec la personne soumise ou encordée et en comprenant, en prenant conscience des possibles mécanismes de protection. Il ne faut pas oublier que décider pour autrui, c’est se soumettre au jugement et à la critique de ses pairs et d’autrui.