La déshumanistion dans le BDSM
Note 1 : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique; ils ont à la fois valeur d’un féminin et d’un masculin.
Note 2 : Je nommerai TDM qui prennent une posture de Top, Dom ou Maître et par BES toutes les personnes qui prennent une posture de bottom, esclave ou soumis.
La déshumanisation, en son sens commun, correspond à l’action de déshumaniser, de faire perdre son caractère humain à un individu, de lui enlever toute générosité, toute sensibilité.
Ce concept renvoie au processus psychologique par lequel un individu, ou un groupe d’individus, perçoit et traite d’autres êtres humains comme inférieurs au genre humain, n’étant que partiellement humains voire non-humains.
Le comportement déshumanisant ne nécessite pas forcément une idéologie raciste ou xénophobe pour s’exprimer. Dans certains cas, elle peut même s’avérer utile. En effet, dans le domaine de la médecine par exemple, la déshumanisation permet un certain recul, pouvant être considéré comme professionnel. Dans un cadre BDSM, lors d’une Lors d’une scène, d’une séance BDSM, le TDM peut déshumaniser la BES afin d’accentuer sa concentration lors de sa pratique pour mieux la sécuriser, la protéger. La déshumanisation peut également prendre différentes formes, comme l’infrahumanisation, la déshumanisation animale et mécaniste.
En psychologie sociale, les premières réflexions sur le sujet ont principalement abordé la déshumanisation du point de vue de la légitimation de la violence, de l’exclusion, du désengagement moral et des valeurs, en s’intéressant pour la plupart au déni des victimes.
Un TDM peut avoir des dispositions psychologiques individuelles liées au sadisme, qui peuvent l’amener dans la déshumanisation de sa BES. Le TDM aurait des restrictions morales face aux actions et actes qu’il pose. Pour se faire, trois processus psycho-sociaux inter-corrélés seraient utilisés : l’autorisation, l‘instauration de routines et la déshumanisation.
L‘autorisation
L‘autorisation correspond à une légitimation des actes posés à la suite d’une obligation d’obéir à des ordres. Certaines situations autoriseraient donc l’individu à ne pas appliquer ses standards moraux en lui permettant de ne pas se sentir responsable des conséquences de son obéissance.
L’instauration de routines
À côté de ce premier processus, l’instauration de routines, de procédures, permettrait également de réduire les éventuelles résistances car l’organisation des comportements à accomplir peut détourner l’individu des questions d’ordre moral. De plus, la mise en place de procédures peut permettre de légitimer et de normaliser les actions.
La déshumanisation
Finalement, la déshumanisation des victimes permettrait à l’individu de ne pas avoir à appliquer ses principes moraux. En effet, si les personnes face auxquelles celui-ci se trouve confronté se voient exclues de l’ humanité et privées d’une part – ou de la totalité – de leur identité, cela signifie que les principes et valeurs s’appliquant habituellement aux êtres humains, telles que l’empathie et la compassion, ne doivent pas nécessairement s’appliquer. Kelman évoque également la déshumanisation des persécuteurs, parallèlement à celle des victimes. Ce processus de déshumanisation serait progressif et aurait pour conséquence une perte de capacité à agir en tant qu’être moral en raison du non questionnement de l’obéissance et l’exécution de routines. Les persécuteurs seraient comme aliénés, devenant incapables de se distancer des tâches qu’ils ont à accomplir.
Le »mal »
Dans la même logique que celle de Kelman, et à peu près vers la même époque, Ervin Staub s’est interrogé sur les origines de ce qu’il nomme le ‘’Mal’’ . Par ce terme, porteur d’une connotation religieuse, il désigne un certain type de mauvaises actions provoquant une aversion chez l’être humain. Plus précisément, il s’agit des actes de violence (individuels ou collectifs) visant à nuire, voire à blesser autrui. Selon Staub, la violence collective correspond à un processus évolutif trouvant son origine dans la frustration de besoins humains primaires tels que les besoins de sécurité, d’identité positive, de contrôle et de compréhension du monde qui nous entoure, et d’autonomie. Cette violence émergerait plus facilement lorsque les conditions de subsistance deviennent difficiles au sein d’une société.
Ainsi, le TDM chercherait à identifier un ennemi pouvant être considéré comme un obstacle à l’assouvissement de ces besoins primaires, voire responsable de sa frustration. Ses actes face au BES deviennent alors acceptable : l’idée selon laquelle il serait responsable de la frustration des besoins peut mener à ce qu’autrui change et accepte ses actions et actes. C’est à ce moment qu’interviendrait le processus de déshumanisation qui s’appuie sur la dépréciation des BES devenues victimes. Les BES sont alors considérées comme moins qu’humaines, permettant ainsi de justifier que les valeurs morales opposées à ses actions et actes ne s’appliquent plus. La volonté de créer une relation meilleure, véritable et réaliste prend par conséquent le dessus sur les valeurs d’humanité.
Albert Bandura s’est intéressé à la déshumanisation, en 1999, il développe l’idée selon laquelle l’exercice de la morale revêtirait deux aspects: l’inhibition et la ‘’proaction’’ . Le premier aspect permettrait à l’être humain de modérer ses comportements potentiellement inhumains au regard de ses standards moraux tandis que le second le pousserait à agir de façon humaine, c’est-à-dire en accord avec ces mêmes standards. Cependant, si l’être humain a appris et intégré les standards moraux de sa culture à la suite des exigences extérieures et des sanctions sociales rencontrées au cours de son développement et de sa socialisation, il lui est tout de même possible de se désengager de ses auto-censures morales grâce à des manœuvres tant sociales que psychologiques. Ainsi, Bandura définit huit types de manœuvres permettant de se désengager moralement et pouvant, par conséquent, conduire à l’accomplissement d’actions inhumaines – à savoir la justification morale, l’étiquetage euphémique, la comparaison avantageuse, le déplacement de responsabilité, la diffusion de responsabilité, le mépris ou la déformation des conséquences, la déshumanisation et l’attribution de blâme.
La déshumanisation est ici décrite comme l’un des ingrédients central dans la production de douleurs, de souffrances, dans le sens où il s’agit d’un type de désengagement moral qui opère directement sur la BES. L’auto-censure morale dépendant, entre autres, de la manière dont est perçue la BES, la déshumanisation rend donc le recours au SM plus facile. En effet, tout comme Kelman, Staub et Bandura définit la déshumanisation comme le fait de désinvestir certains êtres humains de leur humanité, ou d’une partie de celle-ci. Dès lors, les personnes déshumanisées ne sont plus considérées comme porteuses d’émotions et d’espoirs, mais comme des objets, des plantes vertes, des animaux.
Pourtant une BES est un être singulier, et humain. Nick Haslam, psychologue social ayant développé l’une des théories les plus récentes au sujet de la déshumanisation, propose une définition plus précise de l’humanité en mettant en exergue deux types de caractéristiques : les caractéristiques human uniqueness (UH) et human nature (HN). Les caractéristiques human uniqueness permettent de distinguer les hommes des animaux. Il s’agit de la culture, de la moralité, de la logique, du raffinement et de la maturité. Ces dernières sont acquises par le processus de socialisation et sont par conséquent susceptibles de variations selon les individus et selon les cultures. Les secondes, quant à elles, permettent de différencier les hommes des objets. Il s’agit des caractéristiques inhérentes à la nature humaine telles la réactivité émotionnelle, la chaleur interpersonnelle, la curiosité, la qualité d’agent et la profondeur. Elles font référence à l’essence-même de l’être humain et seraient ainsi universelles et naturelles.
On a vu au début de cet article que La déshumanisation peut prendre différentes formes, comme l’infrahumanisation, la déshumanisation animale et mécaniste.
Déshumanisation animale
La déshumanisation animale renvoie au fait de considérer la BES comme un animal en lui retirant les attributs propres à l’être humain, tels que son d’intelligence, sa moralité, sa culture, son contrôle de soi ou encore sa grossièreté. Son comportement serait ainsi perçu comme moins rationnel que les autres, davantage guidé par des instincts et des désirs. Cette négation des caractéristiques humaines de la BES mène à distinguer les individus en deux catégories : les Hommes et les animaux. Il s’agit d’une comparaison verticale : les hommes et les »sous-Hommes » considérés comme inférieurs sur l’échelle de l’évolution ou du développement. Ce processus peut être accompagné d’humiliation et d’avilissement. On le retrouve souvent dans le contexte du PetPlay.
Déshumanisation mécaniste
La déshumanisation mécaniste ou la réification, La réification est l’attitude qui consiste à percevoir les autres et la nature comme des choses. La société française via le modèle américain a créé des relations réifiées et des conduites »réifiantes » comme l’égoïsme, le triomphe des intérêts économiques ou l’absence d’empathie. La réification est devenue comme une seconde nature de l’Homme. Autrement dit, au cours du processus de socialisation, le système de comportement réifiant devient »naturel » . C’est-à-dire la réduction à l’état de choses de réalités qui, en elles-mêmes, n’en sont pas.
Dans le processus de déshumanisation mécaniste, la BES est traité comme un objet. La perception d’autrui peut alors englober des notions d’immaturité, de froideur ou de passivité. L’individualité de l’autre est contestée et ce dernier sera perçu comme interchangeable. L’accent est ainsi mis sur des facettes superficielles de la BES. Une dichotomie s’installe dans ce processus avec d’un côté les Hommes et de l’autre, les machines. Ce processus s’accompagne souvent de comportements d’indifférence, d’absence d’empathie. La comparaison est ici horizontale avec aux extrémités les Hommes et les »non-humains » .
Infrahumanisation
L’infrahumanisation est une variante plus subtile de la déshumanisation. L’infrahumanisation est un processus d’attitude dans lequel l’attribution de caractéristiques dépend du groupe d’appartenance des individus : les membres du groupe d’appartenance se voyant attribuer des caractéristiques typiquement humaines alors que les membres des exogroupes se voient attribuer des caractéristiques moins humaines. Ainsi, l’endogroupe représente l’essence du groupe tandis que l’exogroupe possède des traits animalisant.
Exemple : un dominant ou maitre (je n’ai pas mis de majuscule là, consciemment) qui pense que tous les soumis sont moins humains que les dominants ou maitres, ont moins d’importances qu’eux. Trop nombreuses sont les personnes qui se disent dominant ou maitre, et qui dit à une personne soumise : »tu es soumise donc tu obéis et tu baisses les yeux… » même si ce n’est pas sa soumise ou celui qui dit : »mets ta cam et »branle » toi… »
L’infrahumanisation n’est pas strictement identique à la déshumanisation. La déshumanisation implique le refus de considérer les membres de l’exogroupe comme faisant partie du groupe des TDM : c’est une non-reconnaissance des caractéristiques humaines des membres de l’exogroupe. L’infrahumanisation se distingue de la déshumanisation par son intensité mais également par sa nature qualitative : dans le cas de la déshumanisation, le processus est mécanique et consiste à soustraire des éléments essentiellement humains à l’exogroupe, tandis que dans le cas de l’infrahumanisation, ce sont des attributs de civilité, de compétences, de fonctions morales supérieures ou encore des attributs culturels qui sont refusés à l’exogroupe. Toutefois, l’infrahumanisation et la déshumanisation peuvent se compléter puisqu’il s’agit dans les deux cas d’une attitude d’infériorisation de l’exogroupe.
Le processus de déshumanisation peut aussi réduire la présence de comportements prosociaux (les comportements de souci de l’autre) en limitant le pardon. Tout comme l’infrahumanisation peut aussi limiter le pardon ou la réconciliation en rendant les excuses inefficaces.
Augmentation des comportements antisociaux
La réduction de comportements prosociaux envers les BES représente des omissions, mais les conséquences les plus connues de la déshumanisation impliquent le fait de commettre des actes antisociaux. La déshumanisation d’une BES victime d’une pratique mal maîtrisée désinhibe le TDM du fait d’être responsable.
La déshumanisation est parfois associée à des formes d’agression, les TDM associant implicitement les BES à des animaux ou à des objets présentent une plus grande propension aux passages à l’acte en ce qui concerne les violences sexuelles, la prostitution, le prêt et le harcèlement sexuel.
Toutefois, la déshumanisation permettrait également aux TDM qui ont des comportements déviants, allant jusqu’à des comportements psychiatriques de valider leurs comportements, de légitimer leur acte sous prétexte qu’ils sont dans une relation BDSM.
Enfin, la transgression de normes sociales semblent jouer un rôle dans ce processus. Il y a en effet un lien entre la violation de normes communes, le processus de déshumanisation et des représailles sous forme de traitement punitif des BES auteures de transgressions. Enfin, le lien discuté entre déshumanisation et exclusion sociale semble par ailleurs particulièrement pertinent pour les groupes socialement déviants.
Conséquences à l’égard du jugement moral
Une autre conséquence possible des perceptions déshumanisantes est le fait d’attribuer une moindre moralité aux BES. Les individus perçus comme manquant de traits proprement humains (déshumanisation animale) sont considérés comme moins blâmables et punissables en cas de comportement immoral. Cela peut paraître en conflit avec le constat que les personnes déshumanisées sont souvent la cible de traitement punitif.
L’objectivation
L’objectivation et la déshumanisation sont deux notions de Psychologie sociale entretenant des liens étroits. Ces processus, menant tous deux à percevoir les BES de façon inadéquate peuvent être considérés comme des biais perceptifs. Plus précisément, si la déshumanisation revient à percevoir et à traiter les BES comme non humaines, ou moins qu’humaines, l’objectivation revient à réduire les BES à l’une de leurs fonctions ou à une partie de leur corps, ce qui peut souvent conduire à les considérer plutôt comme des objets. Ainsi, la BES objectivée peut être réduite à une simple fonction, séparée de sa qualité d’individu entier, comme les femmes dans certaines œuvres pornographiques.
Dans une relation BDSM, la BES n’est pas la projection de mon moi BES, Si l’on regarde la psychologie de Jund : l’anima, l’animus, en toute homme, il y a une femme, en toute femme, il y a un homme. On peut étendre cela au BDSM, en tout TDM il y a un BES ,et en tout BES il y a un TDM . De demander à la personne BES d’être la projection de mon TDM serait la déshumaniser, lui ôter son identité. De la même façon, une BES ne peut pas demander, chercher à ce que le TDM soit la projection de son TDM.
je viens de parler de pratiques qui selon moi sont déviantes. Ni je ne cautionne, ni je pratique la déshumanisation dans le BDSM, mais je ne peux parler de BDSM ou de cordes sans parler des déviances, ce serait faire l’ »autruche ».
TDM : toutes les personnes qui prennent une posture de Top, Dom ou Maître.
BES : toutes les personnes qui prennent une posture de bottoms, esclaves ou soumis.
Exogroupe : Dans les relations intergroupes, l’outgroup (ou exogroupe) est l’ensemble des individus n’appartenant pas au groupe d’individus dont on parle. Le contraire est l’endogroupe.
Endogroupe : Dans les relations intergroupes, l’ingroup (ou endogroupe) est le groupe auquel appartient l’individu ou les individus dont on parle. Le contraire est l’exogroupe
H. C. Kelman, « Violence without Moral Restraint : Reflections on the Dehumanization of Victims and Victimizers », Varieties of Psychohistory, vol. 29, no 4, 1976, p. 25-61.
E. Staub, « The Roots of Evil: Social Conditions, Culture, Personality, and Basic Human Needs », Personnality and Social Psychology Review, vol. 3, no 3, 1999, p. 179-193.
A. Bandura, « Moral Disengagement in the Perpetration of Inhumanities », Personnality and Social Psychology Review, vol. 3, no 3, 1999, p. 193-209.
N. Haslam, « Dehumanization; an integrative review », Personality and Social Psychology Review, vol. 10, no 3, 2006, p. 252-264
2 thoughts on “La déshumanistion dans le BDSM”
Cet article va faire grincer des dents, je le sens…dommage qu’il n’ait pas suscité plus de réactions.
Dès lors que l’on ouvre la boite de Pandore beaucoup ne lisent que les mots clé et pensent que nous en faisons l’apologie.
Je pense toutefois que nous pouvons discuter de choses qui nous dérangent, de choses qui existent et qui ne sont pas de bonnes choses sans en faire d’éloge.
Parce que oui ce sujet dérange, ce sujet me dérange et merci à Baikal d’avoir mis les mots justes, encore une fois, sur ce genre de pratiques.
Faire preuve de discernement et d’ouverture d’esprit.