Identité BDSM ou dans les cordes
Note 1 : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique; ils ont à la fois valeur d’un féminin et d’un masculin.
Note 2 : Dans cet article, je vais parler de ma vision de l’identité BDSM et du changement que cela demande et/ou apporte.
Peut-on définir la notion d’identité ? Il me semble qu’il est difficile voir impossible, la notion d’identité dépasse la définition, c’est un concept.
Le sens commun tend à considérer l’identité comme une donnée existant en elle-même, essentielle. Mais cette orientation est loin d’être unanimement partagée.
Dans le domaine des sciences humaines, l’identité représente un concept paradoxal : “Dire de deux choses qu’elles sont identiques n’a pas de sens et dire qu’une chose est identique avec elle-même n’apporte rien du tout” , écrivait déjà Wittgenstein. Par conséquent, la réception du concept par les sciences sociales et le champ des études culturelles s’accompagna de sa déconstruction. Si l’on comprend l’identité non comme une donnée quasi naturelle, mais comme un processus toujours inachevé, il est alors possible de considérer le concept d’identité (ou d’identification) comme le résultat d’une construction individuelle ou communautaire. Nombreux sont ceux qui ont conservé une conception naïve et essentialiste de l’identité ; d’autres ne s’en éloignent que ponctuellement ou de façon rhétorique. Le succès du concept s’explique d’ailleurs peut-être justement par la grande labilité de sa signification : l’identité peut se comprendre de manière statique ou comme un processus dynamique, être utilisée de manière pragmatique ou être fondée théoriquement, être comprise comme un fait social ou un jeu de mots. C’est précisément ce qui rend son emploi si difficile.
La question des identités passées emporte avec elle le problème central de l’individu et de la société BDSM : comment s’articulent espace social et développement individuel ? L’identité sociale est, pour les membres d’un groupe, ce qui fait de ce dernier une réalité. L’identité BDSM définit ce qui, au sein des communautés BDSM, inclut et ce qui, à l’extérieur d’elles, s’en différencie, cette logique asymétrique d’inclusion et d’exclusion s’étendant des rapports genrés (entre Dominants et soumis) à la société BDSM tout entière. L’identité BDSM définit un espace social au sein duquel des représentations acquièrent une puissance matérielle et où la force des discours prend corps. Elle s’inscrit également dans une continuité temporelle car elle définit l’unité d’une personne, par-delà les changements et les ruptures, ainsi que la communauté dans la longue durée, bien au-delà du temps de vie de chacun de ses membres. Elle est tout à la fois susceptible de se transformer, d’être menacée par des crises et de n’être jamais tout à fait atteignable.
Le monde du BDSM et des cordes sont atteints, aujourd’hui, par une “crise d’identité”. Pour Sigmund Freud et la tradition freudienne, les identités se construisent dans le conflit : entre l’identité pour soi et l’identité pour autrui, d’une part ; entre les différentes instances de l’individu que sont le Ça, le Moi et le Surmoi (l’analyse transactionnelle), d’autre part. Erik Erikson tente de dépasser la théorie freudienne dans son ouvrage Enfance et société, paru en 1950, en soulignant le rôle des interactions sociales sur la construction de la personnalité. En 1963, tout particulièrement avec la parution de Stigma, Erving Goffman montre que c’est par le stigmate, conçu non pas tant comme une marque ou un attribut spécifique mais bien plutôt en termes de relations, que les partenaires sont amenés à jouer un rôle. Dans l’interaction, plusieurs composantes de l’identité s’élaborent et entrent alors en jeu :
- L’identité sociale, d’abord, résulte de la conformité ou de la non-conformité entre l’impression première produite par autrui et les signes qu’il manifeste.
- L’identité personnelle, ensuite, s’articule autour du contrôle de l’information dans une situation relationnelle donnée.
- L’identité pour soi, cette dernière est le sentiment subjectif de sa situation et de la continuité de son personnage que l’individu en vient à acquérir par suite de ses diverses expériences sociales.
Pour Goffman, l’identité d’un individu qui s’élabore par le jeu de l’interaction résulte alors de l’opposition entre une identité définie par autrui (l’identité “pour autrui” ) et une identité pour soi.
Pourtant, les oppositions entre identité collective et identité individuelle ainsi qu’entre identité pour soi et identité pour autrui ne sont pas irréductibles. Elles peuvent en effet trouver une résolution dans la théorie de l’habitus élaborée par Pierre Bourdieu. L’habitus présente l’avantage de penser le collectif et le singulier à travers un véritable singulier collectif. Pour un individu biologique donné, Pierre Bourdieu distingue l’habitus de classe et l’habitus individuel : leur rapport est défini par une relation d’homologie “qui unit les habitus singuliers des différents membres d’une même classe” , ce qui signifie que “chaque système de dispositions individuel est une variante structurale des autres” .
La notion d’identité est opératoire pour analyser la formation et l’évolution des groupes sociaux. Elle permet de combiner histoire sociale et histoire des représentations, et invite à être attentif à l’importance de l’échelle d’analyse. Cette notion constitue un outil indispensable pour penser la place d’un individu à l’intérieur d’un groupe social ou de la société dans son ensemble. En d’autres termes, elle sert à faire le lien entre les différentes échelles d’analyse du social et à penser le collectif dans le singulier.
La relation entre les individus et les catégories identitaires qui les définissent se saisit d’abord dans le langage, ce qui explique le recours à l’analyse sémantique dans la plupart des contributions. L’analyse des discours des acteurs, de la terminologie qu’ils utilisent pour se désigner, mais aussi de leur dénomination, peut constituer un préalable utile à l’étude des identités.
La relation entre les individus et leurs groupes d’appartenance donne également lieu à des stratégies – dites identitaires – pour s’affirmer, pour être énoncée devant les autres acteurs sociaux. L’étude des stratégies sert en partie à vérifier la permanence des identités. On déduit en quelque sorte l’existence d’une identité, et donc d’un groupe susceptible d’en être porteur, de l’existence de stratégies identitaires.
La notion d’identité sociale permet de relater les transformations de “l’être” qui s’opèrent par le biais de la socialisation au nouveau statut de la personne BDSM. Ce point de vue, relatif à l’étude du processus de conversion identitaire, permet de comprendre comment l’acquisition des connaissances entraîne non seulement une modification de l’avoir (j’en sais plus aujourd’hui qu’hier) mais de l’être (je suis autrement aujourd’hui qu’hier), c’est-à-dire une modification identitaire.
Il existe un processus antérieur qui mène les acteurs à “envisager” une nouvelle trajectoire de vie jusqu’à l’instant où ils s’y inscrivent de manière officielle. Ce processus en question, est nommé “processus d’engagement”. Ce processus constitue une condition initiale sans laquelle les modifications de “l’être” n’auront jamais lieu. Autrement écrit, le processus de conversion identitaire n’est que la conséquence d’un processus préalable ayant conduit les acteurs à s’engager dans une nouvelle relation BDSM. L’étude du “processus d’engagement” dans une nouvelle relation sous l’angle de la construction identitaire est donc intéressante pour saisir les significations premières que les acteurs donnent à leurs mobilités de trajectoire BDSM.
L’identité sociale dans une communauté BDSM, constitutive d’une identité personnelle, apparaît indispensable à la compréhension des mobilités BDSM dès lors que l’on conçoit que “pour ego, la vie prend sens à partir du sens qu’il lui donne” (Jean-Claude Kaufmann, L’invention de soi. Une théorie de l’identité. Paris, A. Colin, coll. Individu et société, 2004) et que l’identité est ce qui structure cette unité de sens à un moment donné.
User des principes fondamentaux de l’identité nécessite de rompre avec les conceptions substantialistes. De telles approches traduisent l’identité d’un BDSMiste comme une essence, c’est-à-dire une réalité définitivement fixée, destinée à durer (ad vitam aeternam), n’existant que par elle-même et qui n’a besoin de rien d’autre qu’elle-même pour exister. Dans sa dimension sociale, l’identité personnelle est au contraire de cela un processus d’altération permanente, en d’autres termes, une production historique en perpétuelle évolution par laquelle l’acteur devient autre (alter). Elle est un processus de construction, reconstruction et déconstruction d’une définition de soi qui nous amène à la penser comme une tension continue entre “l’être” et le devenir. De plus, l’identité personnelle n’est pas une construction solitaire, elle est également un processus relationnel qui s‘effectue selon des rapports d’interactions avec autrui. C’est une production qui s’établit par/ avec/ contre les autres et doit être envisagé comme des confrontations entre l’individuel et le collectif. L’approche de la notion d’identité personnelle peut donc se faire suivant une articulation entre l’axe biographique et l’axe relationnel d’une définition de soi. Elle renferme une perspective constructiviste et interactionniste.
Selon l’axe biographique, l’identité d’une personne est une définition de soi élaborée par l’individu lui-même. Elle constitue la formulation d’une histoire socialement construite, l’interprétation subjective d’un parcours, d’expériences passées et présentes. Mais tout en étant le produit des socialisations successives, elle se conçoit aussi de manière active selon des projets, des projections de soi vers l’avenir qui peuvent être en continuité ou en rupture avec des constructions passées. Sous cet angle, l’identité correspond à une négociation avec soi-même qui aboutit à la manière dont l’acteur s’identifie lui-même selon le moment dans lequel il se trouve au cours de son cycle de vie.
Selon l’axe relationnel, l’identité de l’acteur se construit face à une définition de soi venue de l’extérieur. Elle s’établit selon des rapports réciproques d’identifications, de différenciations ou d’oppositions avec d’autres identités BDSM. Cette construction se forge par l’appropriation, la revendication ou le rejet d’attributs sociaux qui sont des actes de prescriptions, d’assignations et de classements produits par le jeu d’interactions avec autrui. La définition que l’acteur se fait de lui-même résulte donc d’une négociation permanente avec autrui. Elle est par conséquent une réaction aux identifications produites par les autres.
La notion d’identité personnelle, en tant que “négociation de soi avec soi-même” et de “soi avec autrui” apparaît particulièrement pertinente pour interpréter le sens subjectif que l’acteur donne à son engagement dans sa relation BDSM ou dans une nouvelle relation BDSM. Cette approche semble donc essentielle pour saisir les orientations qui sont prises et s’observe à travers le “processus d’engagement” .
S’engager dans un monde BDSM, c’est avant tout se définir, définir son identité sociale, son identité personnelle, son identité pour soi. C’est une lutte de chaque instant, il y a, aura une dualité en soi, entre l’identité vanille que j’avais ou que j’ai encore et ma nouvelle identité BDSM. Faut-il pour autant faire le deuil de mon ancienne identité ? Personnellement je pense que oui, car entrer dans un nouveau monde demande de faire le deuil de son ancien monde. L’avenir sera évidemment différent. Renier son passé, est une erreur, on doit vivre avec, c’est lui qui fait ce que l’on est aujourd’hui, c’est lui qui nous a guidé vers ce nouveau monde. Il y aura donc une transformation, un changement en nous.
S’engager dans un nouveau monde (BDSM), c’est accepter cette transformation, ce changement. Les 7 étapes du deuil sont :
- 1 – Choc et déni ;
- 2 – Douleur et culpabilité ;
- 3 – Colère ;
- 4 – Marchandage ;
- 5 – Dépression et douleur ;
- 6 – Reconstruction ;
- 7 – Acceptation.
Dans un prochain article, je parlerai des tempéraments, caractères, personnalités, attitudes et comportements.
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