Un hommage aux personnes soumises ou esclaves et surtout à ma soumise : lillys
Chercher à vivre une soumission dans cette époque contemporaine correspond bien à un exploit ! Lutter contre l’appel de cette hypermodernité, contre ces caractéristiques de cet individu contemporain, contre le rapport à soi, le rapport au temps, le rapport à la transcendance relève bien de l’exploit ! Tellement de sollicitations extérieures, tellement de provocations d’individus hypermodernes, résister à cet appel est bel et bien un exploit !
Je souhaite par cet article rendre hommage à toutes ces personnes soumises ou esclaves, ainsi qu’a ma soumise : lillys, qui par leur dévotion, leur soumission ou leur esclavage, non seulement lutte contre elles-mêmes pour être ce qu’elles ont choisi d’être, mais lutte aussi contre cette dépendance à l’hypermodernité, cette notion d’excès.
L’individu d’aujourd’hui, est un individu contemporain, que l’on appelle aussi “individu hypermoderne”. Il se caractérise par une forme de comportement un peu particulier, de dépendance un peu particulière, que l’on pourrait résumer par la notion d’excès.
Quel est individu ? On pourrait faire le portrait de l’individu contemporain, en tentant de capter les facettes les plus représentatives de l’identité contemporaine.
Avant cela, une petite explication sur le choix de l’expression “hypermodernité”. On connaît la Modernité, on connaît la post-modernité, on n’a pas encore trop parlé de l’hypermodernité :
- La Modernité, c’est une période qui débute à la Renaissance, marquée par l’avènement des notions de raison et de progrès, par celui d’une science autonome, séparée de la religion et de la politique, et par l’idée que la science et la raison vont permettre l’émancipation, le progrès de l’humanité, le bonheur ;
- Dans le courant du XXe siècle cependant, on s’apercevra que toutes ces grandes mutations n’ont pas apporté le progrès et le bonheur espérés et c’est alors qu’est apparue la notion de postmodernité, employée d’ailleurs un peu “à toutes les sauces”, et fondée sur le constat d’une rupture avec les fondements qui sous-tendaient la Modernité, notamment cette idée selon laquelle les découvertes scientifiques amèneraient un certain progrès dans l’humanité…
- L’hypermodernité est une idée un peu différente : il ne s’agit pas de s’opposer à la notion de post-modernité mais de mettre le projecteur sur autre chose. Au fond, la notion d’hypermodernité (le préfixe hyper -> trop, excès, dépassement), l’idée d’aller au-delà d’une norme ou d’un cadre – met l’accent non pas sur la rupture qui s’est produite avec les fondements de la Modernité (ce que constataient les tenants de la post-modernité), mais au contraire sur l’exacerbation de la modernité, la radicalisation de la modernité et cette idée qu’il y a au fond, dans la manière d’être contemporaine, quelque chose d’excessif, quelque chose qui déborde et qui va “au-delà des limites”.
Robert Castel dans son livre “Les métamorphoses de la question sociale”, développait le concept de l’individu “par défaut”, c’est-à-dire l’individu désaffilié, l’individu qui n’a plus de supports économiques, plus de supports sociaux, et qui est donc un individu “par défaut de cadres” et aussi un individu “négatif”, non pas au sens péjoratif du terme, mais au sens de “privé de”, écarté de ce qui permet d’être un individu dans le sens plein et fort du terme, à savoir les supports économiques et les liens sociaux.
À cet individu “par défaut”, Castel oppose l’individu “par excès” qui serait le produit de l’individualisme conquérant, de l’individualisme de marché. Il est évident que cela ne représente pas la totalité des individus contemporains, ce sont plutôt deux idéaux-types, deux extrêmes.
Jean Cournut dans “L’ordinaire de la passion” oppose les “névroses du trop” et les “névroses du vide”, les premières étant caractérisées par un trop-plein d’excitations, de rage, d’amour, de haine, d’exaltations, etc., tandis que les secondes se caractérisent par un sentiment de vide psychique, par une incapacité douloureuse éprouvée par l’individu : incapacité d’éprouver, de penser, d’imaginer.
L’individu “par défaut” identifié par Robert Castel a, sous une forme ou sous une autre, toujours existé, du Moyen Âge jusqu’au SDF de maintenant, en passant par le prolétaire des débuts de l’industrialisation. Alors que l’individu “par excès” semble assez caractéristique de la société contemporaine.
Marc Augé, dans son livre “Non-lieux”, met en avant cette idée que “La modalité essentielle de la surmodernité, c’est l’excès et la surabondance événementielle du monde contemporain qui encombrent le présent et le passé proche et qui empêchent de penser le Temps.”
Georges Balandier dans son livre “Le dédale”, quant à lui, fait observer que “la surmodernité soumet à l’excès, elle ne cesse de multiplier, de diversifier les formes de l’expérience humaine, de la lancer dans l’inédit en la contraignant à se l’approprier, sans répit. Elle la conduit sur des chemins brouillés où l’espace et le temps ne sont plus définis par des repères familiers, ils deviennent ensemble des générateurs de dépaysement ; le moment et son lieu, le hic et nunc, entretiennent une sorte d’alliance dans la discontinuité, au prix d’une fragmentation de la vie, d’une incertitude quant à la définition de soi”.
Parler de cet individu hypermoderne implique donc cette notion d’excès, d’augmentation, d’intensité, de fragmentation, d’incertitude… , en correspondance avec une société de modernité exacerbée. Voici trois attitudes caractéristiques de cet individu : le rapport à soi, le rapport au temps, le rapport à la transcendance :
Le rapport à soi : excès et débordement
On peut le repérer dans le mode de jouissance de l’individu contemporain, caractérisé par une sorte de “toujours plus”, de “devoir de jouissance”.
Un autre aspect de ce rapport à soi peut se repérer dans certains modes d’investissement personnel caractérisés par une recherche de dépassement des limites, l’idée étant que, au fond, cet individu hypermoderne est un individu qui, en quête de performances toujours plus grandes, va se brûler quelque part dans l’hyperactivité, tout en se débattant dans un rapport au temps toujours plus contraignant. C’est un individu qui parfois va se défoncer, que ce soit dans la toxicomanie, dans le sexe, dans les sports extrêmes, ou bien dans le BDSM.
On peut rajouter aussi l’excès de consommation, à l’excès d’investissement. Cet individu hypermoderne est au fond à l’opposé de l’idéal qui a perduré à travers pas mal de siècles et qui a longtemps été celui de l’Honnête Homme.
L’Honnête Homme des siècles classiques, c’était justement celui de la juste mesure, celui de l’équilibre, c’était un idéal moral et social. Eh bien aujourd’hui, l’Honnête Homme, d’une certaine façon, c’est complètement “ringard” et on n’en parle plus du tout ! Je ne pense pas, que ce soit ringard mais, dans les faits, ce n’est pas du tout ce modèle-là qui est au-devant de la scène, et l’expression résonne comme quelque chose de désuet, quelque chose qui va totalement à l’encontre de ce que valorise la société contemporaine.
Le rapport au temps : de la soumission à la tyrannie
Depuis les débuts de l’ère capitaliste, notre rapport au Temps a fait l’objet d’une accélération continue, mais cette accélération s’est singulièrement radicalisée cette dernière décennie. La révolution survenue dans le domaine des technologies de la communication, avec l’avènement de l’instantanéité (mails, portables, etc.) ses dernières années n’y sont pas pour rien. Tous ces éléments ont fait venir au devant de la scène les notions d’urgence, d’instantanéité et d’immédiateté dans ce que vivent les gens au quotidien.
La grande mutation qui s’est produite, et c’est l’aboutissement ultime de la logique capitaliste pour laquelle “le Temps, c’est de l’argent”, désormais, l’individu veut dominer le Temps, il veut en être maître. Et l’instantanéité des moyens de communication lui donne une illusion de maîtrise du Temps, de possession du Temps. D’ailleurs, tout notre vocabulaire est imprégné de cette logique de possession : on cherche à avoir du Temps, on ne veut pas perdre son Temps, on veut gagner du Temps.
Nous fonctionnons selon des logiques d’hyper réactivité immédiate et nous vivons dans une urgence permanente, du fait des exigences de la compétitivité économique, enjoignant d’en faire toujours plus en toujours moins de temps. On en arrive ainsi au sentiment d’être tyrannisé par l’urgence, débordé par le Temps.
Le rapport à la transcendance : le dieu intérieur
La caractéristique la plus nette de la quête de sens contemporaine est “l’ici et maintenant”. C’est-à-dire que ce n’est pas la vie éternelle et le salut de son âme que l’individu hypermoderne veut acquérir, c’est clairement un mieux-être dans l’ici et maintenant, un mieux-être dans l’immédiat qu’il veut assurer, sans lien avec une éventuelle vie au-delà de la mort. Dans un contexte où s’est produit un effondrement de ces grands systèmes porteurs de sens qu’étaient les religions traditionnelles et les grandes idéologies politiques qui leur ont succédé, la quête de sens qui se fait jour au niveau de la vie personnelle de chacun est en étroite correspondance avec les impératifs de la construction de soi dans le contexte de la société concurrentielle : elle se décline donc en termes d’exigence d’un mieux-être dans l’immédiat.
Une variante originale de cet investissement dans l’ici et maintenant consiste à chercher le sens en eux-même, dans une sorte de transcendance de soi. C’est-à-dire qu’au lieu de projeter le sens à l’extérieur, c’est en fait lui-même que l’individu projette comme source de sens. La source de sens, c’est soi-même, en tant qu’on est capable de se porter à ses limites les plus extrêmes, en tant qu’on est capable de se porter à l’incandescence de soi-même. Mais la frontière entre cette quête de soi-même et la quête de Dieu est très étroite et la transcendance de soi implique la quête, non pas d’un Dieu transcendant, mais d’un Dieu intérieur, un Dieu qu’on porte à l’intérieur de soi. Ce que peut l’on peut observer dans certaines scène, vidéos ou images BDSM ou de cordes, des illustrations très concrètes de cette transcendance de soi-même, de cette volonté de se porter à l’incandescence de soi-même et de trouver le sens en soi-même, en cherchant à aller au-delà de ses limites corporelles.
L’hommage aux personnes soumises
Refuser l’individu “par excès”, ne veut pas dire aller dans l’individu “par défaut”. C’est simplement aller dans un troisième type d’individus qui est la soumission active ou l’esclavage.
Ces personnes soumises ont cette capacité, celle de faire passer leur soumission, ou leur esclavage, avant les appels de nos sociétés, avant leur propres plaisirs ou désirs, avant toute forme de sollicitations qui ne leur permettraient pas d’être à leur place.
Je tenais par cet article à leur rendre un hommage et surtout à ma soumise lillys, hommage qu’elle et qu’elles ont mérité et gagné !
Source :
Nicole Aubert, L’individu hypermoderne : un individu « dans l’excès ».
Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale.
Jean Cournut, L’ordinaire de la passion.
Marc Augé, Non-lieux.
Georges Balandier, Le dédale.