Empathie, Altruisme et Compassion dans le BDSM ou dans les cordes
Note : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique; ils ont à la fois valeur d’un féminin et d’un masculin.
On confond souvent l’empathie, qui est orientée vers soi, avec l’amour altruiste qui est orienté vers l’autre. L’amour altruiste est l’intention d’accomplir le bien d’autrui, qui s’accompagne d’une constante disponibilité alliée à la détermination de faire tout son possible pour aider autrui selon ses besoins. La compassion est la forme que prend l’amour altruiste lorsqu’il est confronté aux souffrances d’autrui. C’est l’intention de remédier à la souffrance d’autrui, suivie de la mise en œuvre des moyens le permettant.
Étymologiquement, “empathie” signifie “souffrance à l’intérieur” . Le terme “Einfühlung” (traduit par “empathie”) fut introduit par le philosophe Theodore Lipps au début du xxe siècle. À l’origine, il désigne la projection d’un observateur dans les objets qu’il perçoit, associée à une tendance immédiate à réagir en adéquation avec l’objet. En psychologie, Allport définit l’empathie comme “la transposition imaginaire de soi dans la pensée, les affects et les actions de l’autre” . Progressivement, les définitions ont intégré la notion de compréhension des émotions d’autrui, notamment grâce aux travaux de Jean Piaget qui introduit le processus cognitif de décentration de son propre point de vue.
Les recherches contemporaines se sont intéressées à la nature même du phénomène d’empathie, tentant d’identifier les mécanismes perceptifs, émotionnels et cognitifs impliqués. Certains auteurs se sont focalisés sur les mécanismes émotionnels : l’observateur qui entre en empathie avec autrui ressent lui-même une émotion (il existe une contagion émotionnelle entre les deux individus). D’autres auteurs se sont focalisés, comme Piaget, sur le processus cognitif de décentration : pour comprendre les émotions d’autrui, l’observateur “se met à sa place” , il adopte son point de vue. Cette dernière conception n’est pas sans rappeler la définition de la théorie de l’esprit (TDE) (voir ci-dessous pour une plus ample compréhension cette théorie de l’esprit, mais explication beaucoup plus scientifique), capacité à comprendre les actions d’autrui en inférant ses états mentaux.
L’empathie, définie comme la capacité à comprendre et ressentir les émotions d’autrui, a un rôle central dans les interactions sociales. Malgré les confusions terminologiques héritées de nombreuses conceptions théoriques, l’empathie serait un phénomène non unitaire, composé de :
- l’empathie émotionnelle, reflet d’une résonance affective entre l’observateur et la cible, dont la base cérébrale serait le système des neurones miroirs ;
- l’empathie cognitive impliquant la conscience de soi, les capacités de prise de perspective, d’inhibition et de régulation.
Les conflits d’ego, d’intérêts personnels voire de corruption détruisent les relations. Parfois même, les personnes qui s’y engagent s’épuisent dans ce qui s’apparente à un burn-out.
L’amour altruiste est l’intention d’accomplir le bien d’autrui, qui s’accompagne d’une constante disponibilité alliée à la détermination de faire tout son possible pour aider autrui selon ses besoins.
La compassion est la forme que prend l’amour altruiste lorsqu’il est confronté aux souffrances d’autrui. C’est l’intention de remédier à la souffrance d’autrui, suivie de la mise en œuvre des moyens le permettant.
L’empathie nous alerte en particulier sur la nature et l’intensité des souffrances éprouvées par autrui. On pourrait dire qu’elle catalyse la transformation de l’amour altruiste en compassion.
L’empathie peut conduire à une motivation altruiste, mais elle peut aussi, quand on se trouve confronté aux souffrances d’autrui, engendrer un sentiment de détresse et d’évitement qui incite à se replier sur soi-même ou à se détourner des souffrances dont on est témoin.
L’empathie cognitive peut, lorsqu’elle est dénuée d’altruisme, conduire à l’instrumentalisation d’autrui en tirant avantage des informations qu’elle nous procure sur l’état d’esprit et la situation de l’autre. À l’extrême, c’est l’une des caractéristiques des psychopathes, lesquels excellent dans la représentation des pensées de l’autre, la “théorie de l’esprit” .
L’empathie à elle seule peut donc conduire au burn-out, un épuisement émotionnel qui est lié à la détresse que peut provoquer l’empathie. Les recherches menées par Tania Singer, de l’institut Max-Planck de Leipzig, auxquelles j’ai collaboré, ont montré que l’amour altruiste, la compassion à l’égard de ceux qui souffrent, agit comme un antidote au burn-out. Loin de mener à la détresse et au découragement, la compassion augmente notre force d’âme, notre équilibre intérieur et notre détermination courageuse et bienveillante à aider ceux qui souffrent. En essence, l’amour et la compassion n’engendrent ni fatigue ni usure, comme c’est le cas de l’empathie, mais aident au contraire à les surmonter et à les réparer, si elles surviennent.
Schéma de Jeff Millet, University of Wisconsin, Madison.
Ce schéma illustre les liens entre empathie et altruisme. L’empathie existe sous un volet affectif – la capacité d’éprouver ce que ressent autrui – et cognitif – la capacité d’identifier les états mentaux de l’autre.
- Si ces deux volets sont mobilisés dans une démarche de sollicitude (a), ils se transforment en amour altruiste au contact des souffrances de l’autre.
- Mais en l’absence de sollicitude (b), ils débouchent sur de la détresse empathique : exposés à la douleur de l’autre, nous nous en soustrayons (évitement) ou en sommes épuisés (burn-out).
- Enfin, lorsque le volet cognitif de l’empathie est employé seul, il peut donner lieu à une instrumentalisation de nos semblables (c).
L’empathie est distincte de l’altruisme. Les personnes empathiques ont une forte activité cérébrale dans deux zones principalement, qui leur font ressentir la détresse des autres et leur causent à elles-mêmes de la souffrance (à gauche). En revanche, Les personnes altruistes renforcent l’activité d’autres aires cérébrales (à droite) qui génèrent des sentiments positifs.
Les personnes empathiques regardant des images montrant des personnes en détresse, ressentaient par ces images des effets émotionnels négatifs et la réponse d’aires cérébrales liées à l’empathie augmentait, comme l’insula antérieure et les cortex cingulaires antérieur et médian (voir ci-dessus).
Les mêmes images regardées par des personnes ayant de la compassion (l’amour altruiste et la compassion sont tournés vers les autres, alors que l’empathie est essentiellement centrée sur l’effet que la souffrance de l’autre a sur soi-même) montre un accroissement de sentiments positifs de bienveillance à l’égard d’autrui et de désir de lui venir en aide. Dans ce deuxième cas s’activent des aires cérébrales connues pour être liées au sentiment d’affiliation et à des sentiments positifs, comme le cortex orbitofrontal médian, le putamen, le pallidum ou l’aire tegmentale ventrale.
Les réseaux cérébraux de l’empathie étant clairement distincts de ceux de l’amour altruiste, il devient envisageable de développer spécifiquement ceux de l’amour altruiste, pour faire croître le potentiel de bienveillance de chacun. A partir de ce constat là, une personne cherchant à maîtriser sa domination devra développer non pas sa compassion et son amour altruiste.
La personne dominante devra apprendre à distinguer l’altruisme de la simple empathie pour laisser croître cette potentialité en Elle. Mais ce développement ne se fait pas sans volonté et sans implication personnelle. De nombreux obstacles se dressent sur ce chemin. Le manque de temps, l’habitude de rechercher des récompenses égoïstes, parfois en causant du tort à autrui, tout cela peut faire paraître l’horizon altruiste lointain. Mais l’altruisme peut aussi progresser en raison de son environnement culturel ou social.
Les recherches scientifiques dans le domaine de la neuroplasticité montrent que toute forme d’entraînement induit une restructuration dans le cerveau, tant sur le plan fonctionnel que sur le plan structurel. Les avancées récentes de la génétique ont également révélé que l’environnement peut modifier considérablement l’expression des gènes par un processus appelé épigénétique.
Donc toute personne dominante cherchant à aller dans la compassion et dans l’amour altruiste devrait restructurer son cerveau, va l’aider à évoluer et à progresser dans sa quête de maîtrise.
Un environnement sain BDSM ou de cordes, avec une observation “active” vont aussi l’aider. Le problème ne réside pas dans le fait d’aller dans un environnement BDSM réel ou virtuel, mais d’aller dans un environnement sain, avec des personnes pratiquants réellement, et qui développent leur propre philosophie BDSM ou de cordes et qui partagent leur philosophie.
Il a été prouvé aussi par la science (voir les travaux de la biochimiste Perla Kaliman et de ses collègues de l’Institut de recherche biochimique de Barcelone) que la recherche de progression, d’évolution et de maîtrise aident à diminuer et à récupérer d’un stress psychologique.
Le fait d’éprouver de la joie à faire le bien d’autrui, ou d’en retirer de surcroît des bienfaits pour soi-même, ne rend pas, en soi, un acte égoïste. L’altruisme authentique n’exige pas que l’on souffre en aidant les autres et ne perd pas son authenticité s’il s’accompagne d’un sentiment de profonde satisfaction. De plus, la notion même de sacrifice est très relative : ce qui apparaît comme un sacrifice à certains est ressenti comme un accomplissement par d’autres.
La satisfaction naît de l’altruisme véritable, non de l’égoïsme calculateur. Herbert Spencer, philosophe et sociologue anglais du xixe siècle, l’avait déjà remarqué : “Les bienfaits personnels que l’on retire de l’accomplissement du bien d’autrui […] ne sont pleinement profitables que si nos actions sont réellement dépourvues d’égoïsme.”
La recherche du bonheur égoïste semble vouée à l’échec pour plusieurs raisons. Tout d’abord, du point de vue de l’expérience personnelle, l’égoïsme, né du sentiment exacerbé de l’importance de soi, se révèle une perpétuelle source de tourments. L’égocentrisme multiplie nos espoirs et nos craintes et nourrit les ruminations de ce qui nous affecte. Dans la bulle de l’ego, la moindre contrariété prend des proportions démesurées.
La deuxième raison tient au fait que l’égoïsme est fondamentalement en contradiction avec la réalité. Il repose sur un postulat erroné selon lequel les individus sont des entités isolées, indépendantes les unes des autres. L’égoïste se dit en substance : “À chacun de construire son propre bonheur. Je n’ai rien contre son bonheur, mais ce n’est pas mon affaire.” Le problème est qu’une personne BDSM n’est pas une entité autonome et son bonheur ne peut se construire qu’avec le concours des autres, un Dom sans soum, une soum sans Dom, une encordeur sans encordé, un encordé sans encordeur n’existe pas ! Même si nous avons l’impression d’être le centre du monde, ce monde reste celui des autres.
Si l’égocentrisme est une constante source de tourments, il en va tout autrement de l’amour altruiste, qui s’accompagne d’un profond sentiment de plénitude. C’est aussi l’état d’esprit qui déclenche l’activation la plus importante des aires cérébrales associées aux émotions positives, comme l’ont montré les travaux de Jon Kabat-Zinn et Richard Davidson des universités du Massachusetts et du Wisconsin, révélant l’activité de zones cérébrales antérieures dans l’hémisphère gauche, associées aux affects positifs.
L’amour altruiste serait la plus positive de toutes les émotions positives. De plus, l’altruisme est en adéquation avec la réalité, à savoir le fait que nous sommes foncièrement interdépendants. En comprenant à quel point notre existence physique, notre survie, notre confort, notre santé, etc. dépendent des autres, il devient facile de nous mettre à leur place, de respecter leurs aspirations et de nous sentir concernés par l’accomplissement de leurs aspirations. Le nouveau-né ne survivrait pas plus de quelques heures sans la tendresse de sa mère ; un vieillard invalide mourrait rapidement sans les soins de ceux qui l’entourent.
Dans le BDSM, nous exprimons la relation de manière différente d’une relation vanille, le Maître sert la relation, la soumise sert le Maître. le genre dans une relation vanille se traduit par des sexes féminins et masculins, dans le BDSM, je dirais que le genre se traduit par les Dom et les soum, indistinctement du sexe.
L’amour altruiste, la compassion dans le BDSM ou dans les cordes pour la personne Dominante serait orienté vers la relation, alors que pour la personne soumise, il serait orienté vers la personne Dominante.
La différence entre l’amour vanille et l’amour BDSM, ne serait elle pas dans cette amour altruiste, ou dans le vanille, elle est orientée vers le genre homme <-> femme, alors que dans l’amour BDSM, elle aurait une orientation différente : Dom -> relation et soum -> Dom ?
Dans le chapitre qui suit, je vais tenter de vous expliquer l’origine neuropsychologique des empathies affectives et cognitives.
La théorie de l’esprit (TDE) ou Theory of Mind en anglais (ToM)
C’est la capacité d’un individu à attribuer des états mentaux à autrui. La TDE ou ToM est référencée dans la littérature sous différentes acceptions telles que “mentalizing” (mentalisation), “mindreading” (lecture d’états mentaux), “perspective-taking” (prise de perspective), “empathy” (empathie) ou encore “social understanding” (compréhension sociale). Cette aptitude nous permet de prédire, d’anticiper et d’interpréter le comportement ou l’action de nos pairs dans une situation donnée. Elle est indispensable à la régulation des conduites et au bon déroulement des interactions sociales. La TDE ou ToM fait partie intrinsèque de la cognition sociale qui mobilise un ensemble de processus mentaux tels la perception de soi et des autres et l’utilisation des connaissances sur les règles régissant les interactions interpersonnelles pour décoder le monde social.
La théorie de l’esprit est une partie de la philosophie de l’esprit qui s’attache à la question de l’intentionnalité et à l’attribution de contenus mentaux.
C’est une capacité de métacognition : avoir conscience et se représenter l’état mental d’une autre personne revient à construire une métareprésentation. Alors que la représentation renvoie à une perception directe de l’environnement, la métareprésentation est une représentation d’une représentation. La TDE permet ainsi d’avoir des pensées concernant les pensées d’autrui et de raisonner sur ce que l’autre croit, feint ou ressent. Elle suppose un circuit relationnel, impliquant une reconnaissance cognitive et/ou émotionnelle de soi-même et d’autrui actualisée dans l’échange. De nature cognitive ou affective, de premier ou de deuxième ordre, elle implique des processus de décodage ou de raisonnement sur des états mentaux.
La nature dichotomique des contenus mentaux (pensées versus émotions) a conduit certains auteurs à distinguer deux types de représentations et ainsi deux types de TDE, l’une dite froide, relative aux pensées et l’autre dite chaude, associée aux émotions. Cette distinction a été réactualisée et les termes respectifs de TDE cognitive et de TDE affective sont aujourd’hui employés.
La distinction entre TDE cognitive et TDE affective trouve appui sur des observations de patients souffrant de troubles psychiatriques ou neurologiques. Ainsi, dans le syndrome d’Asperger et dans la schizophrénie, la TDE affective apparaît plus déficiente que la TDE cognitive. Le même profil de performances a été rapporté chez des patients avec des lésions localisées dans le cortex préfrontal ventromédian alors que le pattern inverse a été mis en évidence dans une étude effectuée dans la maladie d’Alzheimer. Des études d’activation en neuro-imagerie chez le sujet sain soulignent aussi la relative indépendance fonctionnelle entre TDE cognitive et TDE affective, avec une implication du cortex préfrontal dorsolatéral pour la ToM cognitive et du cortex préfrontal ventromédian dans la prise de perspective émotionnelle.
Les processus fonctionnels de la TDE : décodage/raisonnement
L’attribution d’états mentaux n’est pas le résultat d’un seul processus, mais résulte de deux mécanismes fonctionnels qui agissent de concert pour permettre d’inférer correctement l’état mental d’une personne : le décodage et le raisonnement. Le décodage des états mentaux, qu’ils soient affectifs ou cognitifs, fait référence à la perception et l’identification d’informations sociales et d’indices présents dans l’environnement. Ces différents éléments peuvent être par exemple l’action réalisée par une personne, la direction de son regard ou encore son expression faciale. Ils ne se limitent pas à la modalité visuelle et la prosodie constitue notamment une source importante d’informations. Pour Coricelli, ce mécanisme de décodage serait automatique, spontané et préconceptuel. En ce sens, il serait tributaire de l’information perceptive et impliquerait préférentiellement des processus primaires. Ainsi, décoder un sarcasme résulte de la détection et la confrontation d’indices prosodiques, d’expressions émotionnelles ou comportementales de l’orateur pour identifier le sérieux ou non de son propos. Au total, le mécanisme de décodage associé à la TDE recouvre des processus de détection, d’intégration et de confrontation d’indices issus de sources multimodales et permet de définir la nature de l’état mental.
Le processus de raisonnement permet, quant à lui, de comprendre, d’expliquer ou de prédire les actions et requiert nécessairement l’accès aux connaissances ou faits concernant, soit le protagoniste, soit les circonstances contextuelles. En effet, selon les situations, plusieurs significations peuvent être inférées à partir d’une même expression faciale. Par exemple, voir quelqu’un pleurer conduit automatiquement à lui inférer une tristesse intérieure. Cependant, placé par exemple dans le contexte d’une remise de diplôme, les larmes du protagoniste seront interprétées comme l’expression d’un sentiment de joie. Le processus de raisonnement de la TDE semble dès lors impliquer des fonctions de plus haut niveau que le décodage et permet de distinguer la plaisanterie du mensonge, prédire des comportements, etc. Ainsi, la TDE engage des processus cognitifs complexes et fonctionne souvent de concert avec d’autres fonctions cognitives, d’où la difficulté d’évaluer cette habileté de haut niveau.
Théorie de l’esprit et mémoire épisodique
L’étude de Perner, Kloo et Gornik suggère que l’acquisition de la TDE est liée au développement de la mémoire épisodique. Par ailleurs, sur la base des régions cérébrales impliquées dans ces deux fonctions, Maguire, Vargha-Khadem et Mishkin font l’hypothèse d’une relation entre mémoire autobiographique et capacités d’inférence, ces dernières permettant l’attribution des souvenirs à soi-même. La projection de soi implique un changement de perspective propre, de l’environnement immédiat vers une perspective alternative. Alors que la mémoire épisodique mobilise des processus de projection de soi dans le temps et l’espace afin de revivre consciemment les expériences passées, la simulation de la perspective d’autrui sous-tendant la TDE demande de se projeter à la place de l’autre.
Sources : Alexandre Bejanin, Béatrice Desgranges, Céline Duval, Francis Eustache, Mickael Laisney et Pascale Piolino.
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