Consentement, “oui”, “non”, “peut-être” ?
Note 1 : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique, ils ont à la fois la valeur d’un féminin et d’un masculin.
Note 2 : Dans cet article, je vais essayer de vous parler du consentement, du “oui”, “non”, “peut-être” dans le BDSM ou dans les cordes selon mon point de vue.
Article qui suit celui sur la contrainte consentie : après le DSM-5, quelle thérapie BDSM ?
Le consentement forme le cadre légal des interactions sexuelles, y compris le BDSM et les cordes en Europe depuis 2005.
Le consentement interroge. Etre d’accord, avoir la volonté et le choix de faire ou de ne pas faire, être écouté et respecté ? Mais qu’en est-il de l’application du consentement au quotidien, de la question : “Est-ce que je consens à ..?”. Oui, non, je ne sais pas, oui maintenant, non demain ?
À la CJCE (Cour de justice de l’Union européenne), suite à l’arrêt K. A. et A. D. du 17 février 2005, la libre disposition de son corps a été actée pour les adultes, y compris lorsqu’il s’agit de consentement à des lésions. De fait des pratiques telles que le sadomasochisme relèvent théoriquement de l’intimité et sont tolérées dans la mesure où il y a consentement libre et éclairé. Xavier Pin évoque l’impact de cet arrêt sur le consentement à la lésion de soi (Pin, 2009) mais de nombreux chercheurs se sont également intéressés à cet évènement et à ses conséquences parmi lesquels Borrillo (2009), Quiviger (2012), Marguénaud (2012).
Il est juste stipulé que le consentement doit être libre et éclairé pour être valable. En outre, ce qui conduit à la recherche de consentement n’est pas précisé. Parler de libre et éclairé, c’est aussi parler de libre et informé, car cela met en avant la personne concernée plutôt que le message et sa source lumineuse forcément en surplomb.
Lorsqu’on parle de consentement, on parle d’acceptation des protocoles et des codes. Les protocoles et codes dans le BDSM et dans les cordes permettent notamment de verbaliser l’accord, accord qui était souvent implicite et acceptable comme tel, et de délimiter le champ en matière d’activités, d’attitudes, de comportements et de pratiques. Ce qui permet une réduction des violences, le consentement se concentre sur la prévention des abus mais n’assure en rien la satisfaction.
Ces protocoles et codes génèrent une éthique commune qui comprend la figure du “sadique” et du “pervers narcissique” comme modèle de “violence”. Cette éthique commune réprouve le déséquilibre dans l’échange des satisfactions, particulièrement en cas d’abus de pouvoir, ainsi que l’absence d’attention bienveillante à l’égard du partenaire.
Voici un histoire fictive : un jour François rencontra Laurence lors d’un munch BDSM. Ils se parlèrent un peu, échangèrent quelques points de vue, elle lui plaisait. Il lui proposa de poursuivre leur échange ailleurs, autour d’un café, Elle accepta. Ils burent leur café, en discutant et riant… Ils se confirent l’un à l’autre un peu, François lui prit la main lorsqu’elle parla de la mort de son chat, Laurence accepta, n’enlèva pas sa main. François vit une opportunité, il n’hésita pas à jouer la carte de la franchise et déploya son personnage d’obsédé-soumis. enjoué et assumé. Il lui conta une anecdote d’enfance, comment il aimait ramper au sol car le frottement du parquet était agréable et lui procurait des érections. Il profita de cette anecdote pour “allumer” tous les bien-pensants qui voient là des comportements suspects d’enfants plus que limites. Cela fit réagir Laurence qui aborda alors la question des viols intrafamiliaux et la difficulté de repérer ces dérives. François n’aime pas que le sujet de la sexualité infantile soit toujours relié à la pédophilie, il sentit ici un point de désaccord, il se tût… stratège. Dans cette histoire fictive, François est-il un manipulateur ? Il est clair qu’il est un chasseur, il s’agit d’un jeu risqué qui n’est pas forcément une violence.
Une fois sortis du bar, François demanda à Laurence où elle habitait et lui proposa de la raccompagner. Elle accepta. Arrivés devant chez elle, il lui proposa non pas le dernier verre mais de monter voir les photos de la manif qu’il avait fait. Laurence accepta, et lui confia qu’elle avait deux enfants, qui étaient ce soir là chez leur père, qu’elle avait un Maître et que ce n’était pas évident puisque ce dernier vivait avec sa femme et qu’ils avaient deux enfants dont le dernier avait 3 ans. Ils parlèrent alors plus en détail de son Maître qui lui rendait visite une fois par semaine. Elle disait ne pas savoir si elle avait envie de le tromper, qu’elle était amoureuse car il était différent des autres Maîtres, inconstants, machistes et ringards. Elle lui dit que son Maître en plus lui faisait bien l’amour parce qu’il pensait au plaisir de ses soumises, et qu’il était bienveillant vis-à-vis d’elle. François entra en négociation. Il expliqua qu’avec lui, ce n’était pas vraiment tromper ! Laurence répondit à la dérision par la dérision et précisa qu’elle était satisfaite sexuellement avec son Maître. Il ajouta : “moi, c’est juste un petit pas de côté. Un bonbon pour la route ! Ça compte pas…”. Face au refus, François tenta une ultime approche, physique cette fois. Il l’embrassa sur le front, les joues et lui caressa les épaule, Laurence ne résista pas et il lui demanda si il devait continuer, elle lui répondit qu’elle ne savait pas, que ce n’était pas très loyal. Il présuma que l’inactivité de Laurence était une façon de se déresponsabiliser – il est également possible d’y lire une tentative de se dérober au désir masculin. Tout dépend de la façon de penser les femmes et leurs comportements – Or François de par son expérience, avait fini par admettre que les femmes étaient comme les hommes, capables d’exprimer des désirs, de prendre des initiatives et d’apprécier les aventures extraconjugales. Donc il continua, déboutonna son chemisier, lui caressa les seins, lui embrassa le ventre. Elle lui exprima ce n’était pas bien. Il confirma : “non, ce n’est pas bien”. François tenta d’ouvrir son pantalon, le vêtement fit de la résistance… Laurence prit soudainement une initiative, elle détacha elle-même le ceinturon et ouvrit largement la braguette sans se déshabiller complètement. Tous deux torses nus se frottèrent l’un contre l’autre. François prit plaisir à gober, sucer les seins. François pensa un instant qu’il pourrait s’arrêter là. Il se dit que parfois les femmes se moquaient de l’orgasme, que le plaisir de la caresse pouvait être aussi agréable et pouvait leur suffire. Il lui demanda si elle voulait qu’il s’arrête. Laurence lui répondit que maintenant, elle était excitée comme une puce et lui demanda de continuer. Il lui quitta son jean et promèna sa langue sur son sexe. Elle lui demanda s’il préférait qu’elle prenne une douche, il refusa et lui dit : “J’aime ce goût-là, ça me donne faim, j’ai envie de manger ton cul.” Il se fraya un passage entre les fesses de Laurence et y fourra sa langue. “Tu es fou !”, dit-elle. Il répondit, fidèle à lui-même, “j’aime le trou !”. Elle saisit le sexe de François et le goba. Ils terminèrent au sol. Laurence se percha sur sa bite, bien profondément en remuant le bassin comme pour faciliter la pénétration. Il continua de caresser son trou du cul avec son doigt. Elle se mit à jouir très vite avec de petits cris suraigus. Elle lui demanda s’il restait dormir, François lui demanda si ça la dérangeait, elle répondit que ça ne l’arrangeait pas, qu’elle devait réfléchir. Il s’en retourna alors chez lui…
Dans cette histoire, y-a-t-il de la séduction de la part de François ? Du consentement de la part de Laurence ? François est-il un chasseur, un prédateur ?
François aime la séduction. Cependant c’est un jeu délicat, comme le souligne Éric Fassin, car à tout moment il est possible de glisser dans la violence (Fassin, 2012). En effet, il y a de la domination dans la séduction, l’individu fait usage de ses pouvoirs en vue de “provoquer le désir de l’autre” mais il précise qu’user de pouvoir ne signifie pas nécessairement faire violence. En s’appuyant sur la différence opérée par Foucault entre pouvoir et violence : “la violence est “action sur des corps“, comme le pouvoir est “une action sur des actions“. Fassin (2012) propose une autre façon de penser la séduction : “Penser la séduction en termes féministes suppose de rompre avec un imaginaire d’Ancien Régime : “la femme séduite” (avant d’être “abandonnée”) n’est qu’une victime passive. Il faut donc essayer d’appréhender la relation de séduction comme une relation de pouvoir, qui n’a de sens que si elle confronte deux sujets “libres” au sens foucaldien : non pas affranchis de la domination, mais confrontés à un “champ de possibilité”, en particulier bien sûr celle de dire “non”, mais aussi de dire “oui”. On sort ainsi d’une théorie du consentement préalable : loin d’être donné d’avance, le consentement devient l’enjeu même de la relation de séduction. Il ne s’agit donc nullement de mettre le risque de violence entre parenthèses, mais au contraire de partir de cette menace par rapport à laquelle se constitue la relation de pouvoir entre deux sujets”.
Quant à Laurence, elle fait partie d’une génération de femmes qui ont gagné en liberté même si l’égalité des sexes n’est pas acquise. Des conventions sociales persistent et compriment le champ d’action des femmes mais Laurence est un “sujet libre” au sens de Foucault : malgré les contraintes elle dispose d’une marge de manœuvre, ne serait-ce que parce que la loi lui reconnaît le droit de refuser une toute forme d’interaction. Il reste toutefois probable que Laurence soit sensible aux conventions sociales qui stipulent qu’une femme devrait se soumettre au désir masculin. Aucune femme n’a pas le devoir de dire “Oui” pour se valider comme une femme.
François lui fait de multiples propositions et ce sans pression, autrement dit il n’incite pas Laurence à se soumettre à ses désirs en usant de conventions sociales qui joueraient en sa faveur. Par exemple il ne lui dit pas “si tu m’as fait monter chez toi ce n’est pas sans raison” ou “maintenant que tu m’as allumé tu dois assumer”. François va faire tout le contraire, notamment lorsqu’ils s’approchent d’un moment critique : le contact génital qui pourrait faire basculer Laurence dans l’infidélité. Afin de respecter cette limite, il lui propose de s’arrêter là, estimant qu’il a eu son content de satisfactions et présumant, sur la base de son expérience des femmes, que cela pouvait également satisfaire Laurence.
Il montre d’ores et déjà ici son intérêt pour un échange équilibré de satisfaction et respectueux des limites. Dans cet histoire fictive, François perçoit Laurence comme une personne libre capable de dire “oui”, “non” ou d’initiatives. Il a conscience des normes sociales qui pourraient l’inciter à outrepasser ses limites et qu’il est soucieux qu’elle agisse par désir et non par convention. Laurence dispose de sa marge d’action et François tend à l’augmenter. Ce qui demeure critiquable, sa proposition d’un rapport sexuel, elle lui exprime un refus. Il ne prend pas en compte son refus, ce qui peut être considéré comme du harcèlement. Par contre, lorsqu’elle fait usage de sa liberté il crée de la surprise et contribue ainsi à la dimension ludique, aventureuse de l’interaction.
S’il outrepasse son refus c’est sans doute qu’il sent qu’il y a du jeu, une marge de manœuvre, qu’elle est entre l’envie d’aventure et l’envie de respecter son Maître, mais ce dernier lorsqu’il trompe sa femme avec Laurence, respecte-t-il sa femme ?
L’envie, tout comme le consentement, n’est pas toujours une évidence. Amsellem-Mainguy, Cheynel et Fouet, dans une enquête sur l’entrée dans la sexualité des adolescents, mettent en exergue le fait que le consentement dépend de trois niveaux de négociation :
- Une négociation intime (de soi à soi) ;
- Une négociation contractuelle (de soi à l’autre) ;
- Une négociation collective (de soi aux autres) où l’individu “jauge aussi sa décision au regard de normes sociales : société, pairs, morale, politique, etc” (Amsellem-Mainguy, Cheynel & Fouet).
Or la réponse à ces trois niveaux de négociation peut différer et rendre complexe la prise de décision. Les préoccupations morales font partie de ces principes qui oppressent la volonté individuelle. C’est pourquoi il faut des moments s’en défaire ou au minimum les questionner pour gagner en distance et en liberté.
Par contre dans cette histoire fictive, il manque une donnée très importante, c’est le non-verbal. Il peut y avoir contradiction entre propos et signes non verbaux notamment lorsque l’envie est là mais qu’elle n’est pas libre d’impératifs moraux. Jean-Claude Kaufmann souligne qu’au sein d’un couple : “les gestes disent le contraire des mots et les mots le contraire des pensées ; où la parole est une façon de se taire et le silence une façon de parler “ (Kaufmann, 2014). Ainsi il ne s’agit donc pas d’un manque de respect. Cela fait partie du jeu de séduction dans la mesure où il n’y a aucune menace. L’inactivité de Laurence dans les premiers temps de l’interaction sexuelle, peut être interprétée comme une hésitation entre désir d’aventure et volonté de respecter la norme de fidélité, et non comme une forme de soumission à la domination masculine.
En matière de sexualité ludique, celui qui écrit le script domine le jeu. C’est pourquoi, dans certaines relations BDSM, une personne en posture de soumission peut mener le jeu dans la mesure où c’est lui qui fournit la majeure partie des scénarios. Dans cette histoires fictives; François laisse volontiers Laurence en écrire une partie (la fin, on voit ainsi sa soumission) selon les fantaisies de Laurence. Une situation d’initiation suppose évolution, autrement dit un individu straight peut devenir kinky (Kinky “tordu” fait référence à des pratiques entre adultes qui s’opposent au straight “droit, lisse”, autrement dit à l’hétérosexualité et plus globalement à des activités centrées sur la pénétration génitale.) On peut considérer que la différence entre individus straight et kinky relève à la fois de l’essence et de l’évolution. C’est à François d’être attentif à ce que l’expérience débouche sur un échange équilibré de satisfactions. Leur inégalité le rend responsable de l’interaction. Il est donc moins question de deux individus qui s’échangent satisfactions et attention que d’un individu qui, parce qu’il sait comment obtenir satisfaction, se trouve en situation d’endettement et doit donner en retour.
En conclusion, y-a-t-il de la séduction de la part de François ? Du consentement de la part de Laurence ? François est-il un chasseur, un prédateur ? La validation du consentement se fera par l’évaluation de l’équilibre dans la relation : est-ce un échange de plaisir équilibré ?
Source : Rachel Perrel
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