L’utilisation des Réseaux Sociaux Numériques (RSN) dans le BDSM ou dans les cordes
Notion d’acteur-réseau
Dans les sciences sociales, la notion de réseau présente un certain nombre d’avantages avec la notion d’acteur-réseau.
Le premier avantage est qu’elle libère de la distinction entre microstructures et macrostructures. La notion de réseau permet de circuler entre les deux. Or nous vivons dans un monde où il y a en permanence des changements et des renversements d’échelles : des phénomènes qui paraissaient locaux deviennent globaux et réciproquement. Les controverses sur l’environnement illustrent bien ce point. L’idée selon laquelle il existe un cadre dans lequel les acteurs seraient plongés est en train de disparaître. Un point qui était local peut soudain se connecter à de nombreux autres points, et certains points qui étaient isolés deviennent ainsi des points de passage obligé. La grammaire des réseaux est adaptée au suivi de ces mouvements. Cela ne veut pas dire que les distinctions entre macro et micro, entre local et global n’ont pas de sens, mais qu’elles sont construites et reconstruites, configurées et reconfigurées.
Le deuxième intérêt de la notion de réseau est l’éclairage nouveau qu’elle apporte sur la notion de pouvoir. Elle permet de comprendre comment la force ou le pouvoir se construisent par association de faiblesses : les rapports de force sont l’addition de rapports de faiblesses. Grâce à la notion de réseau, on peut savoir comment un point, qui était isolé, devient un point qui contrôle un grand nombre d’autres points, qui devient un lieu de pouvoir. On peut suivre à la fois la composition du pouvoir et sa décomposition. Il n’y a pas de point qui soit faible ou fort par nature, qui dispose ou non de ressources, mais il y a simplement des assemblages, des arrangements, des constructions, des configurations qui font qu’un point devient fort ou devient faible. Le pouvoir n’existe qu’en étant exercé, mis à l’épreuve : les associations tiendront-elles ou se déferont-elles ? Les notions de force et de pouvoir sont ainsi définies de manière dynamique en termes de liens, de topologie, de connexions et finalement de formes.
Le troisième avantage de la notion de réseau, c’est qu’elle permet d’étudier très rigoureusement les phénomènes de “path dependency” (théorie expliquant comment un ensemble de décisions passées peut influer sur les décisions futures) : comment à partir d’une situation sans forme, où vous n’avez que des points dispersés, vous pouvez, par un enchaînement d’événements, voir se décomposer des forces et se dessiner des formes. On donne ainsi des explications très convaincantes des phénomènes de “lock-in” , de verrouillage sociotechnique. Les réseaux sont une grammaire des forces et des rapports de forces qui se traduisent par des formes qui parfois “s’irréversibilisent” , au moins pour un certain temps.
Le quatrième avantage de la notion de réseau, c’est qu’elle nous libère du concept de contexte, cette catégorie fourre-tout qui permet aux esprits paresseux d’expliquer sans avoir à expliquer quoi que ce soit. Les chaînes causales, si elles existent, sont déployées par les réseaux. La causalité a besoin de moyens de transport : les connexions réticulaires les fournissent ou, lorsqu’elles se défont, les interrompent. Chaque point a le contexte qui lui est fourni par l’ensemble des liens qu’il établit avec d’autres points. On peut parler d’un contexte à condition de le concevoir comme ayant une texture filamenteuse.
Une caractéristique de l’analyse des réseaux sociaux est de faire l’hypothèse que la structure des relations entre individus (c’est-à-dire la structure du réseau) impose des contraintes aux actions que chaque individu peut entreprendre ; en même temps, cette même structure offre des occasions d’action. Dans l’analyse structurale des réseaux, la forme du réseau, sa topologie constituent des variables essentielles pour analyser l’action individuelle dont on peut dire qu’elle est autorisée et limitée par la forme du réseau. Allons plus loin : on peut dire que l’action, qui est préformatée par la structure du réseau, a pour objet le réseau lui-même. Agir et être agi sont les deux faces d’une même réalité : c’est dans un cas comme dans l’autre une question de connexion ou de déconnexion. Cette observation s’applique aux analyses qui enrichissent la description de l’action en intégrant des valeurs, des conventions. C’est la base de la théorie des réseaux sociaux.
L’autopromotion
L’avènement des réseaux sociaux dans nos sociétés a créé un engouement particulier auprès de ses utilisateurs. L’autopromotion de l’individu à travers l’image. L’autopromotion étant “l’action de faire sa propre promotion et sa propre publicité” . Un phénomène qui avait déjà été observé bien avant la venue de Twitter, Facebook, MySpace, etc., mais qui s’est popularisé avec ces sites Internet.
Les réseaux sociaux ont pris une place importante dans la vie des gens. En effet, un profil de réseau social est devenu la nouvelle façon de manifester son existence. Chaque individu crée son identité à travers des images qu’il a soigneusement choisies. On y expose des photos sur Fetlife, FaceBook… qui sont soi-disant un reflet de sa personne, de sa personnalité et de sa vie. De plus, les fervents des sites de réseautage social entretiennent leur “profil” assidument, c’est-à-dire qu’ils mettent à jour leurs informations personnelles et leurs photos presque quotidiennement. Certains développent même une dépendance (Les Réseaux Sociaux Numériques et les addictions comportementales dans le BDSM ou les cordes) à cette vitrine virtuelle, laquelle peut se comparer à celle d’une drogue. Ils publient des images personnelles, les améliorent avec certains logiciels et ajoutent des commentaires généralement positifs qui les rendent plus attrayantes. Tout ça pour la simple et bonne raison : “il faut que tu améliores ton autopromotion pour faire mieux parler de toi” (Mehdizadeh, 2010).
La grande majorité des utilisateurs des réseaux sociaux tentent d’accentuer leurs qualités physiques, intellectuelles et relationnelles de manière positive. On veut persuader les visiteurs de son “profil” que sa personnalité et sa vie sont trépidantes et enviables. On divulgue des informations et des slogans auto promotionnels pour éblouir autrui. Le plus rapidement possible, on retire une photo sur laquelle un “ami” nous a identifiés nommément, c’est-à-dire “tagué” , et sur laquelle on ne se considère pas à notre avantage. On agit ainsi par peur du jugement ou par peur de refléter une image qui nuirait à l’autopromotion de notre personne par son caractère négatif.
Une étude récente, Self-Presentation 2.0 : Narcissism and Self-Esteem on Facebook, a démontré que le niveau d’estime personnelle pouvait se mesurer selon le “profil Facebook” des individus. Selon cette étude, certains utilisateurs qui démontrent un taux d’amour propre supérieur à la moyenne, voire narcissique, inondent leur profil de photos avantageuses. Par contre, cette course à l’image peut entraîner chez d’autres utilisateurs moins extravagants une baisse de leur estime personnelle due à la concurrence qui s’établit indirectement entre les membres d’un même réseau. Cette comparaison peut même entraîner de l’anxiété sociale chez certains. On pourrait avoir exactement la même étude sur FetLife, ou d’autres réseaux sociaux.
En tant qu’acteurs sur les réseaux sociaux, vous pouvez déjà constater que la réalité est falsifiée sur le profil des autres et aussi sur votre propre profil.
Distinction sociale
Selon la théorie de la distinction sociale du sociologue Pierre Bourdieu, les individus cherchent à se distinguer socialement au sein des classes sociales et entre celles-ci. En prolongeant cette thèse à l’usage des réseaux sociaux, les photos Facebook ou Instagram révéleraient un besoin d’exposer et de faire valider les capitaux.
Tous les jours cette même routine: identifiant, mot de passe, faire défiler mon fil d’actualité, liker, commenter. Peut-être est-ce par habitude que, chaque jour, on espionne ce que nos amis postent sur Facebook, peut-être par ennui, pour nous comparer socialement ou même par voyeurisme. Mais quelle est la réelle motivation à poster des photos régulièrement sur différents réseaux sociaux ? Que cherche-t-on à dire ou à montrer à travers ces images ?
Selon les recherches de Soraya Mehdizadeh, chercheuse en psychologie, plus notre narcissisme est développé et notre estime de soi est basse, plus notre activité sur Facebook va être élevée et plus nos contenus vont être une forme d’autopromotion.
Le narcissisme
L’utilisation de Facebook, de FetLife… découlerait du caractère narcissique, mais aussi de notre dimension extravertie. Cependant, nos photos Facebook révèlent aussi certains mécanismes qui structurent notre société.
Les réseaux sociaux constituent donc un terreau idéal pour les narcissiques. Des études ont démontré que l’on rencontre bien plus de narcissiques grandioses sur les réseaux sociaux que les narcissiques vulnérables. De plus, il y a un lien entre le nombre d’amis, le nombre de photos téléchargées et la prévalence des traits associés au narcissisme. Le genre et l’âge des utilisateurs ne sont pas pertinents. Les narcissiques typiques passent plus de temps dans les réseaux sociaux que les utilisateurs moyens et présentent des modèles comportementaux spécifiques.
Le narcissisme est un trouble de la personnalité, il se manifeste sous deux formes différentes et une est beaucoup moins connue que l’autre.
Le narcissisme grandiose
Le narcissisme grandiose est le type de narcissisme auquel nous pensons le plus souvent: il s’agit de quelqu’un avec un ego sur-gonflé. Les narcissiques se considèrent comme des véritables cadeaux des dieux et s’attendent à ce qu’on les traite comme s’ils étaient la huitième merveille du monde. L’arrogance, l’exploitation, la manipulation et l’envie sont des caractéristiques communes pour ce type de narcissiques. Ils n’apprennent pas de leurs erreurs et sont tout à fait convaincus qu’ils méritent tout ce qu’ils désirent, ils sont incapables de répondre d’une manière empathique. Nous voyons de telles personnalités souvent à la télé et dans la politique, mais de temps en temps nous en rencontrons aussi dans notre vie privée. C’est une personne mal à l’aise qui est souvent coupée de la réalité. Une relation avec une telle personne peut être vraiment difficile et peut causer des dégâts.
Le narcissisme vulnérable
Le narcissisme vulnérable peut être plus dangereux que le narcissisme grandiose car il est plus difficile à identifier. Les narcissiques vulnérables se distinguent par leur état émotionnel, voici un résumé de “Bipolar Disorder Central” : les narcissiques vulnérables sont préoccupés avec leurs peurs de rejet et d’abandon. Ils oscillent entre les sensations de supériorité et d’infériorité selon le moment et selon ce qui se passe actuellement dans leurs vies.
La différence entre les deux types, selon une analyse de comparaison, se manifeste à la fois dans leur comportement et leur monde émotionnel. Le narcissique vulnérable se présente souvent avec la timidité, et même parfois de l’empathie. Ce qui se cache en dessous de cette présentation est un cœur d’attentes grandioses et le sentiment qu’ils ont droit à tout. Les deux types de narcissiques se perçoivent comme s’ils méritent d’avoir le droit sur tout ce qu’ils veulent, mais le narcissique vulnérable a développé une coquille de protection. Quand le stress causé par leur personnalité devient trop grand, la coquille se casse et leur vrai attitude s’expose.
Dans une étude sur le comportement des narcissiques sur les médias sociaux les chercheurs ont trouvé des différents modèles de leurs comportements. Par exemple les narcissiques vulnérables évitent les médias sociaux, mais dans le cadre du BDSM ou des cordes, du fait de cette posture de Dominant(e) ou de soumis(e) on les trouvera beaucoup sur les médias sociaux spécifiques au BDSM ou aux cordes, alors que les narcissiques grandioses les utilisent pour se vanter de leur propre excellence et perfection.
Il est beaucoup plus facile de se retrouver en amitié ou en relation avec un narcissique vulnérable qu’avec un narcissique grandiose. Le problème c’est que leur personnalité reste narcissique et se manifestera. Ils auront un manque d’empathie affective (Empathie, Altruisme et Compassion dans le BDSM ou dans les cordes), ils seront plus “froids” et ils rechercheront même la vengeance.
Comprendre les réseaux sociaux BDSM ou des cordes consiste non pas à analyser les individus, mais les relations entre eux et les régularités qu’elles présentent, c’est comprendre leurs transformations, leurs effets sur leurs comportements.
Pour communiquer dans les réseaux sociaux BDSM ou des cordes, il faut utiliser l’empathie cognitive au niveau verbal, utiliser l’empathie affective dans le non-verbal, c’est la meilleure façon de créer du lien, de nourrir le fil de la conversation, que ce soit porteur de sens.
Sources : Aleks Evtimov, Jacqueline Charpentier, Emilie Brouze, Michaël Stora, Soraya Mehdizadeh, Claude-Anne Schumacher.
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