Le menteur, le mensonge dans le BDSM ou dans les cordes
Note 1 : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique, ils ont à la fois la valeur d’un féminin et d’un masculin.
Note 2 : Dans cet article, je vais essayer de vous parler du menteur et du mensonge dans le BDSM ou dans les cordes selon mon point de vue.
Cet article sur le menteur et sur le mensonge dans le BDSM ou dans les cordes prend appui sur le philosophe Vladimir Jankelevitch. Il a écrit en 1942 un essai intitulé : “Du Mensonge”.
Dans la pensée de Jankélévitch, l’origine du mensonge est la rivalité concurrentielle, l’impossibilité de la coexistence, comme cela se produit, par exemple, dans les relations hiérarchiques. Jankélévitch explique que, généralement, les individus ont tendance à se mettre en situation d’auto-défense ou utilisent la ruse pour faire valoir leurs propres intérêts. Ces pratiques leurs permettent de se sortir d’un état de violence, mais, à long terme, elles ont un caractère fragile. Ainsi, en faisant des fautes répétées qui conduisent à la perte d’impureté et d’authenticité de la personne, conduisant à avoir une fausse image de soi, le menteur prend un risque supplémentaire.
Lorsqu’il décrypte le mensonge, Jankélévitch ne fait pas appel à la perspicacité intellectuelle, mais aux compétences psychologiques de la tromperie. Jankélévitch écrit dans son essai : “La cause fondamentale du mensonge est le manque de générosité, et la générosité seule, parce qu’elle est la source de l’existence retrouvée, nous fera innocents et transparents comme au premier matin de monde.”
La communauté BDSM et des cordes ne sont pas à l’abri du mensonge. Nous sommes dans un monde en crise morale, suffit d’allumer la radio, la télévision, de lire les médias pour s’en rendre compte, le mensonge est omniprésent. Si l’on regarde le COVID-19 ces derniers jours, l’information et la désinformation se disputent les médias. Autant d’informations contradictoires déstabilisent et génèrent des confusions et des dissonances.
Cette crise morale fait que le mensonge se retrouve partout et nulle part. La confiance entre BDSMistes ou pratiquants des cordes disparaît pour faire place à la méfiance. A cause des rumeurs, des bruits de couloir qui se répandent comme le vent sème les feuilles d’hiver, chaque individu dans le BDSM ou dans les cordes peut, pourrait, tour à tour, être trompeur et trompé. Le mensonge pour certains devient un outil, une “arme” pour déstabiliser et dénigrer autrui à des fins personnelles.
Le Grand Robert de la langue française définit par exemple le mensonge comme une “assertion sciemment contraire à la vérité, faite dans l’intention de tromper.” Il est question d’un message qui consisterait toujours à dire ce que l’on ne croit pas.
Benjamin Constant (“Des réactions politiques”, 1796) défend un droit de mentir par humanité : “Le principe moral que dire la vérité est un devoir, s’il était pris de manière absolue et isolée, rendrait toute société impossible […]. Dire la vérité est un devoir. Qu’est-ce qu’un devoir ? L’idée de devoir est inséparable de celle de droits : un devoir est ce qui, dans un être, correspond aux droits d’un autre. Là où il n’y a pas de droits, il n’y a pas de devoirs. Dire la vérité n’est donc un devoir qu’envers ceux qui ont droit à la vérité. Or nul homme n’a droit à la vérité qui nuit à autrui.”
Kant a répondu à Constant dans un essai intitulé : “D’un prétendu droit de mentir par humanité” en affirmant que le mensonge est toujours moralement répréhensible, que le mensonge n’est jamais juste. Pour Kant toutes les personnes naissent avec une “valeur intrinsèque” qu’il appelle dignité humaine. Cette dignité vient du fait que les humains sont des agents rationnels, capable de prendre en autonomie leurs propres décisions. Ainsi, selon Kant, le mensonge est doublement répréhensible :
- le mensonge corrompt la capacité morale de l’homme ;
- il empêche autrui d’agir rationnellement et librement, autrement dit mentir remet en cause la dignité d’autrui.
Le formalisme moral de Kant, le conduit à réfuter tout droit à mentir.
Dans le BDSM ou dans les cordes, le mensonge procède d’une mauvaise intention qui résulte elle-même de l’égoïsme. Le menteur domine celui qu’il trompe, car il sait la vérité et la déforme sciemment. Le menteur est de mauvaise foi, il nie ce qui est évident.
Le menteur ne ment jamais sans le vouloir, il est donc conscient de son mensonge. Le mensonge cache et découvre un pouvoir de dissimulation et de ruse. Le premier mensonge est le plus grave, car il contient en puissance tous les mensonges à venir, comme pour la cigarette, la plus mauvaise étant toujours la première. Souvent ce qui affecte le plus n’est pas le mensonge en lui-même, mais l’intention de mentir. L’intention de mentir fait perdre toute l’innocence de l’individu, et le rend donc conscient de son mensonge. L’immoralité dans le mensonge est donc l’intention de nuire. Ce qui rend menteur le mensonge, ce n’est pas le fond mais la forme, c’est à dire l’intention mauvaise.
Il est vrai qu’à certains moments, nous pouvons être dans une ambivalence, nous pouvons être exposés au dilemme : être sincère sans être fidèle ou être fidèle sans être sincère ? Le mensonge repose sur la volonté de tromper. Le mensonge ne fait pas le menteur.
L’objectivité et la sincérité sont exigeantes tandis que le mensonge est une solution de facilité. Être sincère c’est être réaliste, c’est-à-dire, éviter d’exagérer ou d’embellir la vérité. Il est difficile au hâbleur d’être sincère. Être sincère signifie reproduire avec fidélité le donné quel qu’il soit. Le menteur n’est pas prévoyant, il est sur du court terme, il ne peut envisager le long terme dans sa relation avec autrui. Il est imprévoyant car il sacrifie un bien durable mais futur à un intérêt immédiat et éphémère.
Si la vérité conduit à la transparence et à la loyauté, le mensonge, par contre, relève un équilibre précaire et est générateur d’une situation tendue et sans cesse harcelée. Le mensonge conduit à la solitude. Par ses mensonges, le menteur, à la longue, finit par être coupé de son entourage.
Le mensonge relève l’état psychologique de son auteur. Il est un abus de confiance. Il transmet la parole du menteur mais non sa pensée. Or, il n’y a pas de vie communautaire possible sans expression de la pensée ! Par le mensonge, le menteur veut nous proposer et nous faire croire non pas ce qu’il pense, mais ce qu’il dit. C’est dans cette perspective que l’on peut dire qu’il n’y a pas de communauté possible dans le mensonge. Ce qui peut expliquer le mal-être de certaines personnes dans une société BDSM ou de cordes, qui n’arrivent pas à s’engager dans cette société afin d’entrer dans la communauté BDSM.
Le mensonge installe dans les relations sociales l’arbitraire et l’indéterminé, ce qui conduit à une subjectivation. Celui qui a été capable de nous tromper une fois est capable de tout. Personne ne le croira plus. Comment pouvons-nous être attirés dans une société à faire parti de la communauté, lorsqu’on ressent une intention mauvaise, ce qui conduit le menteur au mensonge ? On prend conscience de manière subjective que la forme trompeuse va conduire sur un fond qui ne correspond pas à notre recherche.
Ce qui explique pourquoi certains BDSMistes ou pratiquants des cordes refusent d’entrer dans la communauté bien qu’ils appartiennent à la société BDSM ou à la société des cordes, leur refus vient soit de cette image de menteur que projette la communauté, soit par crainte que leur tromperie soit dévoilée aux yeux de tous.
Je pense que c’est toute la société qui est responsable du mensonge. Je pense que trompeurs et trompés sont sur le même pied d’égalité et doivent faire de part et d’autre, l’effort de se convertir. De la même façon qu’il n’y a pas de bourreau sans victime, il n’y a pas de victime sans bourreau non plus. Il suffit qu’une personne s’enferme dans une “utopie” pour offrir l’opportunité au trompeur de rejoindre la trompée dans son “utopie”. Renoncer à sa maîtrise repousse les trompeurs, donc les menteurs, car ils n’ont plus matière à exprimer leurs tromperies, leurs mensonges.
Le mensonge est l’avilissement et comme l’anéantissement de la dignité humaine pour reprendre Kant. Il est odieux, car il sacrifie tout rapport raisonnable entre pratiquants du BDSM ou des cordes. Il est rarement profitable à son auteur. Il est une faute contre soi-même, contre le devoir que nous avons de communiquer notre pensée et de servir la vérité. Il est une faute contre autrui qui a droit à la vérité.
La pratique du mensonge ôte toute valeur et toute signification à la parole humaine, outil privilégié des échanges. La société BDSM ou des cordes perd avec le mensonge tout fondement en raison. Les promesses, les contrats, les pactes, la simple confiance mutuelle ne sont plus possible. Aucune réciprocité n’existe plus dans les relations interhumaines. Chaque homme, tour à tour, menteur et trompé, vit dans la solitude absolue puis qu’il enfouit ce qu’il sait et ce qu’il est dans le silence, qu’il n’est pas et ne pense pas ce que les autres croient qu’il est et qu’il pense.
J’ai remarqué que nul ne ment sans motif. Il est vrai que des fois, on peut mettre le mensonge au service de la vérité. On peut, dans ce cas, distinguer plusieurs sortes de mensonges suivant la nature du mobile qui nous pousse à mentir: le mensonge de politesse, le mensonge de charité, le mensonge d’honneur, le mensonge pédagogique, le mensonge politique, le mensonge joyeux,… Pour chacun de ces cas, le mensonge peut se mettre au service de l’intention morale.
Le mensonge ne doit permis que lors qu’il est le seul moyen de préserver une valeur précieuse. Le danger est ici de se fier à la facilité apparente du mensonge et d’abuser de ce pis-aller. Le laxisme ou morale relâchée est aussi dangereux et beaucoup plus fréquent que le rigorisme moral. Par exemple, le mensonge de politesse est souvent répréhensible ; il prétend à la noblesse de la charité, mais en réalité, ne relève souvent que d’une flatteuse lâche et intéressée.
Il ne faut pas oublier que le mensonge est une marque de faiblesse, un aveu d’impuissance. Il apporte une solution immédiate à des problèmes épineux, mais parfois, il met son auteur dans une situation difficile pour l’avenir. Il facilite tout dans l’instant présent, mais il multiple les difficultés à l’échelle d’une plus longue période de temps. Il y a une extrême fatigue à mentir, car il faut adapter et construire toutes ses paroles en fonction du premier mensonge. Et comme les constructions du mensonge sont fausses, c’est à tout moment qu’il faut les confirmer et protéger le château de cartes contre les démentis du réel.
Ce qui peut rendre le mensonge exceptionnellement légitime et parfois excusable, c’est l’extrême difficulté des relations harmonieuses entre BDSMistes ou entre pratiquants des cordes, c’est le caractère souvent tragique des situations éthiques. Certes, la morale ne peut se limiter à respecter les principes. Sans doute, faut-il savoir sacrifier les principes quand les fins essentielles sont en jeu. Mais quelques cas de conscience difficiles ne doivent pas, dans les circonstances quotidiennes, servir d’emblée à notre lâcheté et à notre égoïsme. Il y a, certes, parfois de mensonges nécessaires, mais la pratique habituelle du mensonge reste immorale.
Conclusion
Le mensonge se caractérise par l’intention mauvaise, par la mauvaise foi la de la personne qui ment. Mentir, ce n’est pas le fait de ne pas dire la vérité mais bien l’intention de tromper, de nuire d’une manière répétée. La simple altération du vrai ne suffit pas à caractériser le mensonge. Pour qu’il y ait mensonge, il faut l’intention d’abuser autrui.
Il n’y a pas d’authenticité dans le mensonge !
Source : Razanatsara Tsarasolo Franco Erica, doctorant à la formation doctorale (Université d’Antananarivo)