Manipulation, Perversion et Instrumentalisation dans les cordes, dans le BDSM
Note : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique; ils ont à la fois valeur d’un féminin et d’un masculin.
Pour clarifier les choses, je dirais d’abord que nous ne sommes pas tous manipulateurs ou des instrumentalisateurs comme certains le disent. Nous avons tous parfois un comportement manipulateur ou instrumentalisateur, mais cela reste ponctuel et cela n’a pas la couleur de la destructivité comme c’est le cas chez le manipulateur ou chez l’instrumentalisateur.
Le manipulateur
Les manipulateurs ont l’art et la manière de retourner les situations à leur avantage. Les manipulatrices sont aussi nombreuses que les manipulateurs. Les manipulateurs sont des frustrés chroniques immatures, qui vont chercher à vous frustrer aussi. Leurs agissements sont toujours les mêmes et stéréotypés, ils sont facile à repérer : les manipulateurs alternent entre trois positions du triangle de Karpman. Ces positions sont celle du bourreau, de la victime, et du sauveur, c’est à dire qu’ils se placent toujours dans une de ces trois positions. Ils ne sortent jamais de ces rôles. Si vous refusez de vous placez dans un des trois rôles votre manipulateur ou manipulatrice n’aura plus d’emprise sur vous, car il ne peut y avoir de prise que si vous faites emprise en vous positionnant dans une des positions du triangle de Karpman.
Ils savent être particulièrement charmants et flatteurs jusqu’à ce que vous soyez sous leur emprise, c’est leur coté séducteur, comme un vampire, puis, viennent les étapes de la victimisation, de l’intimidation et de la culpabilisation. Vous connaissez Caliméro ? « Alors là, c’est injuste, c’est vraiment trop injuste ! » Quand ils se placent dans la position de la victime ils font du super caliméro et vous êtes forcément le méchant ou la méchante, tout est de votre faute, tout le temps. Alors que dans une relation on est deux.
De même, on ne peut pas discuter avec eux, car ils sont incapables de se remettre en question, et vous ne serez jamais à la hauteur de leurs exigences toujours plus hautes. Alors qu’ils apparaissent en société comme murs, ne vous y fiez pas, ils sont immatures, jaloux et possessifs.
Le manipulateur narcissique
La plus connue et la plus décrite est celle du manipulateur narcissique : il recherche le pouvoir dans ses relations et est reconnu pour sa séduction narcissique grâce à des attributs de pouvoir. Il manifeste dans les premiers temps de la relation une apparente sympathie, une recherche de points communs, une fausse attitude compréhensive et protectrice.
Tout cela est un calcul pour amorcer sa relation d’emprise sur l’autre. Ensuite, l’autre doit se conformer à tout ce qu’il veut et pense sans quoi il est dévalorisé, culpabilisé, menacé, … Il se croit parfait et ne se remet pas en question, par contre il stigmatise l’autre pour ses imperfections en jouant sur ses valeurs morales. Il est en quête perpétuelle d’admiration, de reconnaissance, mais ne sait pas aimer, car il ne reconnaît pas l’autre dans sa différence. Une des raisons pour laquelle j’ai tendance à définir le BDSM comme étant l’acceptation des différences.
Le manipulateur pervers narcissique
Il se distingue du précédent, car il est motivé par la volonté de destruction de l’autre dans son narcissisme afin de gonfler le sien. Il recherche l’emprise par le même jeu de séduction que le précédent, mais une fois l’emprise installée, il isole et harcèle sa victime jusqu’à ce qu’elle perde toute son énergie narcissique, tombe dans la dépression, la maladie psychosomatique cela peut aller jusqu’à ce qu’elle se suicide.
Le harcèlement se manifeste par des violences verbales et non verbales : insultes, dévalorisations, culpabilisation, menaces, chantage, mépris, langage paradoxal (les mots sont contredits par les gestes par exemple, ou bien deux phrases s’annulent successivement), haine, …
Il rend par ces agressions l’autre en colère, puis le culpabilise de cela. A l’extérieur, il paraît sympathique, moral, mais seul face à sa victime, il est violent et cherche à la détruire, d’où son aspect pervers.
Il se croit au-dessus des lois et n’éprouve ni culpabilité, n’a aucune morale, aucun sens des interdits et ment malgré l’évidence. Il est dans le déni de l’autre qui ne peut être qu’une partie de lui-même indifférenciée, dans le déni de sa propre souffrance comme de celle de l’autre. Il ne se remet jamais en question, mais peut très bien jouer la comédie. Il est vide intérieurement, évoluant uniquement dans l’intellect et le calcul. Il instrumentalise l’autre qui n’est pour lui qu’un objet à exploiter, puis à jeter. Quand il a épuisé sa proie, il en choisit une autre. Quand celle-ci réussit à fuir, il en trouve immédiatement une autre.
La perversion
La perversion est bien souvent assimilée à un comportement obscène et déplacé. Or au sens psychologique, la perversion n’est pas uniquement sexuelle. En effet, une personne perverse va osciller entre séduction et rejet dans la relation à l’autre. Il y a donc mise en place de techniques d’influanciation d’autrui en vue d’une satisfaction personnelle, c’est à dire d’une manipulation.
Dans la pensée commune, le terme de pervers est presque toujours systématiquement associé à un comportement sexuel anormal et déplacé. Nous avons donc spontanément à l’esprit l’image de cet homme attendant nu sous son pardessus à la sortie des écoles afin de s’exhiber aux yeux de tous. Or, la perversion ne peut se résumer par ce cliché restrictif de “l’obsédé sexuel” . En effet, il apparaît que la perversion reflète plus largement, un comportement de manipulation à visées personnelle ayant pour but d’accéder à un certain équilibre psychologique. Il s’agit d’une personne prête à tout pour parvenir à ses fins. Aussi, un sujet pervers n’hésitera pas à manipuler autrui afin d’en obtenir ce dont il désire. La culpabilité, si elle est ressentie, ne représenterait en aucun cas un frein à ses agissements, car elle ne suffirait pas à prendre le pas sur la visée d’équilibre. Ainsi, on pourrait donc résumer le sujet pervers par sa capacité à utiliser autrui en vue d’une satisfaction personnelle.
Structure perverse
Dans le cadre de la perversion, il apparaît clairement que l’Autre n’est qu’un moyen d’obtenir satisfaction. Ainsi, l’autre n’existe donc que pour ce qu’il peut apporter, il n’a donc pas de réelle existence en tant que sujet à part entière. L’Autre est donc considéré comme un outil, un moyen comme un autre de pouvoir accéder à la satisfaction recherchée. De ce fait, l’Autre n’est pas considéré dans sa subjectivité par le sujet pervers.
Le pervers doit faire appel à nombreux étayages externes afin d’atteindre un pseudo équilibre vital auquel il aspire. Ainsi, le sujet pervers se servira d’autrui comme d’un étayage externe nécessaire à sa survie. Ce fonctionnement viendra donc signer sa dépendance à Autrui. Ainsi, on peut donc dire que dans le cas d’une perversion structurelle, utiliser Autrui à son escient est vital.
Manipulation comme recherche d’émotion
Dans le cas de la perversion, le but de la manipulation est d’accéder à certaines émotions. Un sujet pervers va chercher à générer de l’émotion chez l’autre afin d’en ressentir lui même. Néanmoins, il convient de préciser que l’émotion qui émanera chez l’autre ne pourra pas forcément être intégrée par le pervers, pour ce qu’elle est réellement censée représenter.
Fonctionnement hors structure perverse
Dans le cas d’une perversion structurelle, le sujet est totalement dépendant de sa relation à autrui, et la manipulation est sa modalité d’être. Un sujet de structure pervers, présentant une carence au niveau de la différenciation des termes du Moi et de l’autre, n’existera donc qu’à travers l’instrumentalisation d’autrui.
Or, il convient de préciser qu’un fonctionnement pervers n’est pas forcément lié à la structure. Ceci impliquerait qu’un sujet mettant en place un fonctionnement pervers pourrait ne présenter, non pas une carence, mais plutôt une insuffisance élaborative au niveau de la différenciation du moi et de l’autre qui engendrerait par la suite une insuffisance au niveau de l’identité/altérité.
En effet, cette insuffisance Moi/Autre impliquerait donc une reconnaissance uniquement partielle de la subjectivité de l’autre reposant sur des stéréotypes. Ces derniers seraient la résultante des différents feedbacks renvoyés par l’entourage, concernant les diverses conduites à intégrer afin d’obtenir une légitimité sociale. Ainsi, la subjectivité d’autrui n’étant que partielle, dans certaines conditions l’Autre pourrait également être envisagé sur un versant objectal, et donc être instrumentaliser à certaines fins.
Une insuffisance Moi/Autre permettrait malgré tout au sujet d’accéder à l’étape suivante. Or, le cycle de vie répondant à la notion d’intégration fonctionnelle, un sujet présentant une insuffisance élaborative au niveau du Moi et de l’Autre présentera donc également, une déficience au niveau de la différenciation Identité/Altérité. On peut donc en déduire qu’un sujet présentant une insuffisance Moi/Autre n’aurait donc pas les moyens d’intégrer correctement les nouvelles définitions de l’autre et de l’identité de genre. De ce fait, le sujet envisagera autrui sur un mode idéal. Il se créera donc des références stéréotypées auxquelles il s’identifiera par la suite. Ainsi, si cet aspect de l’Identité-Altérité est, à son tour, insuffisamment différencié, le sujet bâtira donc son Moi en intériorisant les stéréotypes rigides idéaux qu’il attribue à autrui. Aussi, une telle insuffisance pourrait engendrer différents types de névroses de type obsessionnel ou encore hystérique. De ce fait, un sujet hors structure perverse pourrait également présenter un fonctionnement de type pervers s’il présente une insuffisance d’élaboration au niveau de la différenciation des termes du Moi et de l’Autre.
L’instrumentalisation
Définition du CNRTL : Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales
“Instrumentalisation, subst. fém. Fait de considérer une personne ou une chose comme un instrument. Dans toutes les attitudes que nous venons de considérer, autrui n’est encore saisi qu’à titre instrumental. (…) méconnu dans sa dignité, il ne l’est pas dans son humanité émouvante. Il existe par contre une instrumentalisation qui, de moyen, en fait un pur objet (Mounier, Traité caract.,1946, p. 493).La force de la technologie pourrait être libératrice par l’instrumentalisation des choses : elle est devenue une entrave à la libération par l’instrumentalisation de l’homme (Réalités,1968 ds Giraud-Pamart Nouv. 1974).“
Vulgarisation de l’instrumentalisation
Instrumentaliser quelqu’un, c’est lui nier sa valeur d’être humain. C’est l’utiliser à des fins stratégiques, manipulatrices. C’est tenter d’obtenir quelque chose de lui ou d’autres.
Ce qui est tragique car déterminant pour une relation BDSM, c’est l’instrumentalisation d’une personne soumise, voire d’une personne dominante.
Prendre une personne soumise pour répondre à des besoins personnelles, des besoins égocentriques voire nynégocentriques.
La personne BDSM se construira d’une manière particulière. Soit il se laissera utiliser et déterminer par l’autre, tant sa valeur intrinsèque est sans importance. Soit, il développera un contrôle permanent dans chaque situation, sa relation faisant de lui quelqu’un de difficile à vivre.
Le drame est que ces stratégies de survie pour maintenir une souffrance à minima sont inconscientes. Parfois le salut arrive lorsque la situation devient insupportable. Ils consultent, écoutent et surtout entendent une tierce personne et découvrent la cause de leurs comportements. Et les portes s’ouvrent.
Vision plus “scientifique” de l’instrumentalisation
Instrumentalisation : voici un mot qui s’exprime en plainte récurrente parmi les individus qui se sentent… “instrumentalisés” . Le Petit Robert de la langue française (édition 2015) nous aide : instrumentaliser, c’est “considérer quelqu’un comme un instrument ; rendre purement utilitaire” . S’ajoute à cette proposition “utiliser à des fins détournées” . Demande-t-on à un instrument de réfléchir ? Le sentiment d’instrumentalisation correspond à une position assignée d’agent, agi par le système, exactement à l’opposée de celle d’acteur, agissant sur le système.
L’instrumentalisation renvoie à l’agir sans réflexion (sur ce que l’on fait), ni réflexivité (sur ce que l’on est dans le système) : vous êtes le marteau, seulement le marteau, et vous êtes agi de l’extérieur par les injonctions d’un cerveau qui n’est pas le vôtre et qui vous dit où taper, comment taper, combien de temps taper.
L’instrumentalisation vous détourne de votre engagement. Son outil est le programme immuable, votre projet n’est pas bienvenu. Sa dynamique est l’hétéronomie qui ne laisse aucune place à votre autonomie.
Elle est un postulat qui, comme tel, n’a pas besoin d’être démontré et s’impose. Elle est probablement plus, une idéologie ou une partie de l’idéologie comprise comme la capacité à fournir des réponses à des questions qui n’ont pas été entendues.
L’avantage de l’instrumentalisation, très relatif et de courte durée parce que se produit une dissonance cognitive (C’est-à-dire une contradiction entre ce que l’on pense et ce que l’on fait), est le confort qu’elle procure : l’esprit comme l’intelligence comme la compréhension (Le terme français de compréhension traduit à la fois le latin comprehendere et intelligere, qui suggèrent tous deux à leur manière l’idée de rassembler. Comprehendere, c’est saisir et lier ensemble, embrasser, unir, puis embrasser par la pensée quelque chose qui s’y trouve alors retenu. Intelligere indique lui aussi, par legere (comme le grec legein d’où il provient) le fait de ramasser, de recueillir et de cueillir. Guy DENIAU (2008 : 18), Qu’est-ce que comprendre ? Paris, “Chemins philosophiques” , Vrin.), non sollicités, peuvent divaguer, rejoindre mentalement des rivages reposants, s’occuper à se distraire, à “tuer le temps” . La singularité de votre “Moi” est gommée au profit d’un “Eux“ extérieur (les “décideurs” ). Ainsi votre travail sur et avec autrui (L’expression « travail sur autrui » est de François DUBET, ce “sur” pouvant poser question dans la mesure où il renvoie spontanément à une logique d’application, voire de domination. Yves BONNY, propose l’expression de “sur et avec autrui” , l’adverbe “sur” confirmant la dissymétrie et l’adverbe “avec” adoucissant en quelque sorte, ou rétablissant une interaction équilibrée entre le professionnel et l’usager. Notons toutefois que la conception de DUBET du travail sur autrui, si elle ne nie pas cette dissymétrie pas plus que la fonction de “contrôle social” , est très éloignée d’une logique de domination : “ … le travail sur autrui est défini comme une pure relation entre des individus, comme une rencontre aléatoire engageant deux personnes. Le professionnel est considéré comme un sujet défini par ses qualités personnelles, par ses convictions, son charme, sa patience, ses capacités d’écoute, tous ces ingrédients ineffables qui font la différence et confèrent au travail sur autrui son caractère véritablement humain, tour à tour épuisant et exaltant. Le plus souvent, cette dimension du travail sur autrui est considérée comme la plus intéressante, la plus riche, parfois la plus noble, mais aussi la plus secrète et la moins reconnue. C’est aussi cette dimension du travail qui s’apparente le plus à la vocation, à condition de concevoir la vocation comme une forme d’engagement profond de la subjectivité dans une activité, comme une forme d’authenticité et de réalisation de soi.” F. DUBET (2002 : 79), Le déclin de l’institution, Paris, “L’épreuve des faits” , Seuil.), par exemple la personne soumise devant vous, n’est pas une œuvre de rassemblement mais, tout en faisant bonne figure, elle recouvre “l’ennui dont se meurent les parallèles” (Dormir un peu sur ta poitrine, J’y verrai des oiseaux de nuit, Et leurs géométriques ailes, Ne pourront dessiner l’ennui, Dont se meurent les parallèles). Dans la domination (dans un but BDSM) je préfère opposer au travail “sur et avec autrui” un travail “pour autrui”.
L’instrumentalisation s’inscrit dans le monde des “images de la quantification” et où se confondent, à dessein, la mesure et l’évaluation… ce qui aboutit “à perdre le sens de la mesure. Car évaluer ce n’est pas seulement mesurer, mais référer la mesure à un jugement de valeur qui lui confère un sens.”
L’instrumentalisation appartient au registre de l’emploi de la personne soumise et à une perspective exclusivement – justement – “instrumentale” (gagner sa place) au dépens du registre du don et de ses perspectives “sociale” (appartenir à une personne dominante) et “symbolique” (s’accomplir). Elle est le “travail” de l’animal laborans et non l’« œuvre » de l’homo faber (Hannah ARENDT (The Human Condition,1958), Condition de l’homme moderne (1983), Paris, Calmann-Levy (particulièrement ch. IV “L’œuvre” , pp. 187-230 : “L’œuvre de nos mains, par opposition au travail de nos corps – l’homo faber qui fait, qui “ouvrage” par opposition à l’animal laborans qui peine et “assimile” – fabrique l’infinie variété des objets dont la somme constitue l’artifice humain.” ).
Elle est aussi un processus qui vise à ce que la question du sens de ce que l’on fait soit privée de sens. Ce “sens” est pris dans une dynamique de professionnalisation la “professionnalité” qui s’articule avec la “profession” (ce qui structure la posture de Dominant, de Maître) et le “professionnalisme” (les compétences cognitives, techniques et comportementales d’une Domination, d’une Maîtrise).
Sources : François Dubet, Léo Ferré, Mahamane Ouedraogo, Alain Supiot, Hannah Arendt, Christine Calonne et Stéphanie Da Silva
One thought on “Manipulation, Perversion et Instrumentalisation dans les cordes, dans le BDSM”
C’est vraiment trop injuste. C’est très bien trouvé pour illustré votre thème.