Les forces d’inertie au changement dans le BDSM ou dans les cordes
Pourquoi donc est-il si difficile de mettre en accord nos principes et nos actes, nos bonnes résolutions et nos comportements ? Parmi les forces de résistance au changement, quatre jouent un rôle majeur.
Les quatre freins au changement
* La première relève d’abord de l’économie du désir. Changer de mode de comportement ne relève pas que de la bonne volonté : sans quoi il n’y aurait plus de fumeurs depuis longtemps, ni de personnes obèses ou accros aux écrans. Les fumeurs savent bien que la cigarette nuit à leur santé, à leur budget et à leur haleine. Pourquoi leur est-il si difficile d’arrêter de fumer ? Parce que le désir immédiat est plus fort que les intérêts à long terme. La conscience du danger n’est pas suffisante pour mettre fin à une addiction.
Le même raisonnement vaut pour les gens obèses : ils savent tous que le sucre et le gras ne sont pas bons pour leur cœur, leurs artères et leur look. Si maigrir n’était qu’une question de prise de conscience et de volonté, il suffirait de quelques petits efforts pour se remettre sur le droit chemin.
On peut transposer aux super-consommateurs, aux addicts aux réseaux sociaux, aux jeux, aux BDSMistes ou aux encordeurs, la même logique : il y a loin de la conscience au changement de conduite. Car le plaisir immédiat est plus fort que ses intérêts à long terme.
* Une deuxième force d’inertie relève du coût humain du changement. Pourquoi ai-je pris ma voiture pour aller au travail alors qu’une petite marche d’un quart d’heure aurait fait du bien, autant à ma santé qu’à la planète ? Parce qu’au moment de partir, j’étais déjà « à la bourre ». J’ai donc remis le trajet à pied au lendemain.
Des résolutions non tenues ne sont pas toujours le fait d’un manque de volonté, mais s’expliquent aussi par un « coût caché » du changement qu’on ne mesure pas au départ. Oui, il est plus sain et sage de faire la cuisine avec des bons légumes de la région plutôt que d’acheter des plats cuisinés dont les ingrédients viennent de l’autre bout du monde. Mais faire son marché, éplucher les légumes, cuisiner, tout cela prend du temps. Tout comme marcher plutôt que de prendre sa voiture. Or le temps quotidien nous est compté. Et mener de front une activité professionnelle, le travail domestique, les projets personnels et le BDSM, n’est pas forcément compatible avec les comportements écologiquement responsables.
L’automobile et les plats cuisinés sont faits pour nous faciliter la tâche et gagner du temps, sans quoi on les aurait abandonnés depuis longtemps. On retrouve cela au ski aussi par exemple, il faut moins de temps pour apprendre, pour être capable de descendre une piste en surf qu’en ski parallèle, donc les nouveaux skieurs commencent directement par le surf, de plus le surf des neiges a le vent en poupe.
Dans le BDSM, c’est pareil, il faut du temps pour apprendre la DS, alors qu’il est facile de faire bouger un fouet, pour aller dans le SM, pour aller dans le Edge Play, mais ce n’est pas parce qu’on sait bouger un fouet qu’on maîtrise le fouet. Dans les cordes, c’est pareil, il faut du temps pour apprendre à faire une suspension, mais ce n’est pas parce qu’on sait faire une contre tension, un TK, qu’on sait maîtriser les lois physiomécaniques des cordes, comme le surf, ce n’est pas parce que l’on sait descendre une piste que l’on maîtrise le surf, au moindre problème, c’est l’accident !
• Troisième force d’inertie : celle des organisations. Imaginez un chef d’entreprise, disons d’une usine de fabrication de flacons de gel douche, qui rassemblerait ses équipes pour leur annoncer ceci : « Chers amis et collaborateurs. Vous le savez, la planète est en danger. Il n’est pas raisonnable, ni écologique, de continuer à fabriquer des gels douches : coûteux, polluants et souvent inutiles, alors que les savonnettes d’antan sont plus durables, plus écologiques, et coûtent moins cher. Certes, notre chiffre d’affaires va s’effondrer, les emplois et les salaires aussi. Mais qu’importe, c’est le prix à payer pour le bien commun ! »
Ce scénario de « slow management » est évidemment inimaginable. Quand bien même un chef d’entreprise et ses salariés sont tous conscients des dangers que leur industrie fait peser sur la planète, il est illusoire de penser qu’ils limiteront leur production, et ce qui fait vivre leur famille, pour le « bien commun ». Ce qui vaut pour l’industrie du gel douche vaut aussi pour l’industrie automobile, celle des appareils ménagers, des téléphones portables ou l’artisanat dans le BDSM, ou dans les soirées ou clubs BDSM.
Voit-on un organisateur de soirée faire une annonce ainsi : « Chers amis, vous le savez le fouet est dangereux, le SM est dangereux, le Edge Play est dangereux. Il n’est donc pas raisonnable de continuer à pratiquer cela sur des personnes soumises alors que vous n’avez pas une grande expérience ou maîtrise. J’ai donc mis des oreillers, des torchons suspendus afin que vous puissiez pratiquer le SM sans risque, et sinon nous passerons une soirée à pratiquer de la D/S. »
• Une quatrième force d’inertie empêche enfin les changements radicaux : la démocratie. Il serait toujours possible d’imposer des changements dans le BDSM ou dans les cordes par le haut : par la loi et la contrainte en ignorant les contre-pouvoirs, les critiques, l’opinion des pratiquants, les intérêts particuliers, pour ne tenir compte que de l’intérêt général. Mais cela s’appellerait une dictature éclairée. Pas sûr que nous le voulions vraiment !
Au final, bien des forces d’inertie empêchent un changement de mœurs. Cela ne signifie pas qu’aucun changement n’est possible. L’histoire est même une transformation permanente. Mais il est vain de croire que ce changement répond à la belle logique de la « prise de conscience », qui serait celle d’un Homo sapiens rationnel et capable de mettre en concordance sa conscience et ses conduites.