Les Réseaux Sociaux Numériques et les addictions comportementales dans le BDSM ou les cordes
La recherche en Systèmes d’Information (SI) s’est depuis longtemps intéressée à l’adoption des technologies et systèmes d’information.
L’identification des antécédents de la continuité d’utilisation des plateformes qui constituent des espaces virtuels de socialisation en pleine expansion offrant des web services divers pour lesquels les utilisateurs ne semblent pas faire preuve de fidélité mais tendent plutôt à en essayer plusieurs. Vu que le passage d’un (Réseau Social Numérique) RSN à un autre ne suppose pas des “sacrifices” importants de la part de l’utilisateur, notamment en termes de coûts.
Dans une analyse théorique, l’utilisation continue des Systèmes d’Information (SI) est basée sur un comportement intentionnel, généré par une décision plus ou moins consciente d’agir. La décision de continuer à utiliser un Systèmes d’Information (SI) est ainsi induite par deux catégories de facteurs déterminants :
- Des facteurs qui supposent un calcul rationnel et une comparaison en termes d’avantages/inconvénients de la part des utilisateurs qui évaluent la confirmation (ou la non confirmation) des bénéfices attendus compte tenu d’un certain nombre de contraintes ;
- Des facteurs d’ordre émotionnel et affectif.
Ces deux catégories de facteurs n’agissent pas indépendamment des spécificités psychosociales (Rosen et Sherman, 2006 ; Hu et Kettinger, 2008 ; Scealy et al., 2002), socio-économiques (Hsieh et al., 2008) et démographiques de l’utilisateur. Elles impliquent a contrario les conditions et le contexte de l’utilisation passée inhérente à l’utilisateur et celle relative à son entourage plus ou moins proche.
Davis (1989) et Davis et al. (1989) ont présenté un modèle d’acceptation des technologies de l’information. Ce modèle stipule que le processus d’acceptation d’une technologie dépend de deux facteurs clés qui sont : l’utilité perçue et la facilité d’utilisation perçue.
King et He (2006) ont réalisé une méta-analyse des modèles d’acceptation dans laquelle ils précisent que les extensions théoriques auxquelles ce modèle a donné lieu ont permis d’inclure des variables externes telles que l’efficacité comportementale perçue (Compeau and Higgins, 1995 ; Venkatesh et al., 2003), l’implication situationnelle, l’expérience d’usage passée et qui le rapprochent des théories fondatrices, à savoir la TAR (Théorie de l’Action Raisonnée), et la TCP (Théorie du Comportement Planifié).
Théorie du Comportement Planifié
La théorie du Comportement Planifié (TCP) répond aux limites de la Théorie de l’Action Raisonnée (TAR), et qui a le mérite de prendre en compte des facteurs de contrôle comportementaux et sociaux. Cette théorie (figure 1) stipule que les décisions précédant un comportement donné résultent d’un processus cognitif et émotionnel dans lequel le comportement est indirectement influencé par l’attitude envers l’action, les normes subjectives et la maîtrise comportementale perçue (Ajzen, 1985).
Figure 1 : Théorie du Comportement Planifié (TCP) (Ajzen, 1991)
La Théorie du Comportement Planifié (TCP) part du constat que les individus prennent des décisions raisonnées et que le comportement est le résultat de l’intention de s’y engager.
Le fait que la décision d’effectuer un comportement soit réfléchie veut dire que la personne prend en compte toutes les informations dont elle dispose, estime les implications de son action et évalue les conséquences possible (Giger, 2008). La décision de mettre en oeuvre une conduite est donc envisagée, planifiée et raisonnée. Cependant, le fait que la décision soit raisonnée ne veut pas dire qu’elle est rationnelle ou qu’elle est basée sur des règles objectives et logiques, mais tout simplement que la personne passe par un moment de délibération interne, même très court, avant d’agir.
Les attitudes
Dans cette théorie, les attitudes reflètent dans quelle mesure l’engagement envers tel ou tel comportement est évalué négativement ou positivement par la personne.
ex : une personne peut avoir une attitude positive envers l’action de fouetter une personne qui lui est soumise, mais une attitude négative envers le fait que fouetter c’est violent. Les attitudes sont basées sur la perception des possibles : coûts/bénéfices et du degré d’importance qu’une personne lui donne. Cette personne peut décider en conclusion d’avoir une attitude positive ou négative.
Les normes subjectives
Elles correspondent à l’évaluation que les personnes ou que les groupes importants pour l’individu font de son comportement, c’est-à-dire la pression sociale perçue par l’individu. Dans ce cas-là, l’évaluation des coûts/bénéfices est de nature sociale. Les normes subjectives se basent sur les croyances de l’individu concernant les attentes des groupes de référence pertinents. Cela est modéré par la motivation de se soumettre, c’est-à-dire la volonté de l’individu de répondre ou non à ces attentes.
ex : La personne peut considérer comme très positif le fait de fouetter sa personne soumise, car il est dans le BDSM. En même temps, ses amis virtuels peuvent considérer que c’est violent de fouetter une personne, même si cette personne lui est soumis, et l’inciter à ne pas la fouetter. Si elle donne moins d’importance à leur opinion, et donc a moins de motivation à répondre à leurs attentes. Dans ce cas-là, cette personne aurait une norme subjective en faveur de fouetter sa personne soumise.
Le contrôle comportemental
Il fait référence à la facilité ou difficulté perçue vis-à-vis de la réalisation du comportement (perception qu’à l’individu de la faisabilité du comportement). Ce contrôle comportemental peut être influencé par les expériences passées mais aussi par les obstacles anticipés. Cette variable peut influencer la mise en place du comportement de manière directe ou indirecte.
D’autres facteurs comme la socio-démographie, les croyances et les valeurs sont aussi pris en compte estimant qu’ils influencent les comportements de manière directe ou indirecte à travers les trois variables décrites ci-dessus.
La capacité de cette théorie de décrire les comportements s’élève lorsque d’autres facteurs motivationnelles sont inclus dans le modèle, comme les normes personnelles et l’identité.
La post-adoption suppose en effet une expérience passée où un certain nombre d’automatismes s’installent et où les habitudes acquises par l’utilisateur peuvent intervenir pour déterminer l’usage du Système d’Information (SI) sur la durée. Elle suppose également la confirmation ou pas des attentes liées à l’utilisation du Système d’Information (SI) lors de la première phase d’acceptation, d’où l’intérêt de la Théorie de la Confirmation des Attentes (Expectation-Conformation Theory : ECT). Dans ce domaine de recherche, la variable dépendante est également l’intention de continuer le comportement étudié.
Théorie de la Confirmation des Attentes
La Théorie de la Confirmation des Attentes explique que les attentes, associées à la performance perçue, conduisent à la satisfaction après l’achat. Cet effet est médiatisé par une confirmation positive ou négative entre les attentes et la performance. Si un produit surpasse les attentes (confirmation non confirmée), il en résultera une satisfaction après l’achat. Si un produit ne répond pas aux attentes (désaccord négatif), le consommateur risque d’être insatisfait (Oliver, 1980, Spreng et al., 1996).
Les quatre principales constructions du modèle sont :
- les attentes ;
- la performance ;
- la désapprobation ;
- la satisfaction.
Les attentes reflètent le comportement anticipé (Churchill et Suprenant, 1982). Ils sont prédictifs, indiquant les attributs attendus du système à un moment donné dans le futur (Spreng et al., 1996). Les attentes servent de norme de comparaison dans la Théorie de la Confirmation des Attentes (ECT) – ce que les consommateurs utilisent pour évaluer la performance et former un jugement de non-confirmation (Halstead, 1999). La confirmation est supposée affecter la satisfaction, avec une confirmation positive conduisant à la satisfaction et une désapprobation négative conduisant à l’insatisfaction.
Un débat majeur dans la littérature marketing concerne la nature de l’effet de la désapprobation sur la satisfaction. La racine du problème réside dans la définition des attentes prédictives en tant que norme de comparaison pour la performance perçue. Dans ce cas, la confirmation des anticipations négatives ne devrait pas conduire à la satisfaction (Santos et Boote 2003). Pour surmonter ce problème, les chercheurs ont proposé d’autres normes de comparaison telles que les désirs, les idéaux, l’équité ou l’expérience passée des produits et des marques (voir les revues Halstead, 1999, Yi 1990 et Tse et Wilton, 1988). 1996, Woodruff et al., 1983).
La timidité et la communication médiatisée par ordinateur
La timidité est un caractère de la personnalité humaine. En dépit de sa présence dans notre langage courant, ce terme demeure difficile à définir (Saunders et Chester, 2008).
Selon Zimbardo (1977), Les personnes timides se caractérisent par un degré de conscience de soi très élevé, elles sont donc très soucieuses de leur image et de ce que les autres pourraient en penser. Pour elles, les interactions interpersonnelles sont très importantes et ce, malgré les difficultés qu’elles peuvent éprouver pour communiquer. L’état de timidité recouvre différentes réactions suscitées par les interactions sociales avec des personnes étrangères ou des connaissances occasionnelles. Ces réactions peuvent se manifester par un sentiment de gêne, de maladresse, de tension, etc. (Cheek, Buss, 1981).
En outre, les timides sont peu expressifs dans les situations sociales (Henderson et Zimbardo, 1998) où ils montrent des signes d’introversion. Cet état peut également susciter une certaine inhibition ressentie dans le cadre de la vie réelle et des rencontres physiques avec d’autres personnes. On pourrait alors se demander si ce sentiment d’inhibition serait moins aigu dans des situations d’interactions individuelles qui ne supposent pas un face-à-face comme c’est le cas dans les usages des Réseaux Sociaux Numériques (RSN). Utz (2000) a en effet soutenu l’idée selon laquelle le virtuel est un monde où la timidité n’a pas lieu d’être. Il explique que l’état auto-évalué de timidité n’est guère un obstacle aux échanges sociaux médiatisés ; et que cet état tend même à disparaître dans le cadre de cette forme d’échange.
Roberts et al. (2000) soutiennent cette thèse en affirmant que l’utilisation d’Internet permet aux personnes timides de vaincre l’inhibition ressentie dans les confrontations réelles avec autrui et de développer ainsi des relations dans le monde virtuel. En revanche, d’autres travaux associent la timidité à des usages subversifs d’Internet et des outils de communication médiatisée (Mediated Communication), tels que le développement de dépendance et d’addiction vis-à-vis de ces moyens de communication (Chak et Leung, 2004).
Les addictions comportementales
Les travaux de L’IFAC (Institut fédératif des Addictions Comportementales) ont montré des similitudes neurobiologiques et psychopathologiques et surtout comportementales entre les addictions avec produit et les addictions comportementales : addiction aux jeux de hasard et d’argent ou jeu pathologique, addiction aux jeux vidéo, achats compulsifs, addictions alimentaires, dépendance à l’activité physique, dépendances sexuelles et affectives, dépendances sectaires, au réseaux sociaux…
Jeux vidéo, Internet, réseaux sociaux, jeux d’argent, shopping, sport, sexe… Consommées à l’excès, ces pratiques peuvent devenir des addictions comportementales, c’est-à-dire qui ne dépendent pas d’une substance contrairement aux dépendances aux drogues ou à l’alcool. Avec la révolution sexuelle, le développement d’Internet, la multiplication des smartphones et des objets de consommation, ces addictions à un comportement ont connu un essor considérable ces dernières années. Mais pour l’instant, excepté l’addiction aux jeux d’argent, aucune autre n’est encore reconnue officiellement par les classifications psychiatriques internationales que sont la Classification internationale des maladies (la CIM) et le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (le DSM).
Parmi ces nouvelles addictions, les dépendances sexuelles – hypersexualité, satyriasis (sexualité compulsive masculine), nymphomanie… – sont les plus discutées par la communauté scientifique, car il est probable qu’elle dispose de suffisamment de preuves dans les années à venir pour qu’elles soient inscrites comme pathologies mentales. De Tiger Woods à Harvey Weinstein, depuis quelques années, les médias ont beaucoup mis en avant, et parfois en l’exagérant, ce concept d’addiction sexuelle. Mais des craintes et des incompréhensions émergent dans la société BDSM et des cordes, car la plupart des individus ne sont pas bien informés sur cette problématique.
Malgré de nombreuses polémiques sur ce sujet, l’addiction sexuelle présente des caractéristiques communes avec les autres dépendances que sont le jeu d’argent pathologique et les troubles liés à l’usage d’alcool et d’autres drogues. Toutefois, les nombreuses études pour déterminer ses différentes caractéristiques – biologiques, psychologiques et sociales –, ainsi que les meilleures prises en charge thérapeutiques, n’ont encore pas permis de trouver une définition consensuelle de ce comportement. Aujourd’hui, les recherches tentent donc de montrer en quoi il s’agit d’une pathologie addictive.
Ainsi, l’addiction sexuelle se caractériserait par une fréquence excessive, croissante et non contrôlée d’un comportement sexuel, quel qu’il soit, en dépit des conséquences négatives sur la vie personnelle ou professionnelle, et de la souffrance que les sujets ressentent. Les addicts au sexe deviennent notamment dépendants aux changements neurochimiques qui se produisent dans leur corps pendant la pratique sexuelle, par exemple la libération d’endorphines, des molécules antistress, et de dopamine, le principal neurotransmetteur du plaisir.
Actuellement, environ 0,6 à 6 % de la population est dépendante à la sexualité. Cette addiction se présente sous plusieurs formes, dont voici les trois principales :
- la masturbation compulsive, avec une forte composante autoérotique ;
- la répétition, à outrance, de rapports sexuels avec des inconnus ;
- la cybersexualité, qui permet d’accéder très facilement, via Internet, à des contenus ayant trait à la sexualité, de façon anonyme et peu coûteuse.
Cette dernière comprend les systèmes de messagerie (la réception d’informations depuis des sites de diffusion ou l’échange d’e-mails à caractère pornographique), les forums de discussion, les sessions webcam privées avec d’autres usagers, et les sites pornographiques (avec la diffusion de vidéos, de photographies et de récits érotiques professionnels ou amateurs, la plupart étant accessibles gratuitement en streaming).
L’ensemble de ces pratiques altèrent considérablement le quotidien des dépendants sexuels qui ne pensent qu’à rechercher de nouveaux partenaires ou des occasions d’avoir un rapport intime. Ce qui devient rapidement handicapant ; au travail, ils peuvent fréquemment regarder des vidéos pornographiques ou se masturber ; à la maison, cela engendre des conflits, voire une séparation, avec des conséquences sociales non négligeables, comme des difficultés financières à cause des relations sexuelles tarifées ou la perte de logement après un divorce.
Comme pour les autres addictions comportementales, il est donc maintenant nécessaire de développer des préventions spécifiques auprès des pratiquants du BDSM ou des cordes. Le problème sur le net BDSM ou sur le net des cordes, c’est que les autres addictions, comme l’alcool, les stupéfiants ou les jeux vidéos ne sont pas décrites comme étant néfastes. Il n’y a pas sur les réseaux sociaux BDSM ou de cordes des préventions spécifiques sur les addictions, au contraire, ces produits sont tolérés voire même conseillés par certains.
Les critères des addictions comportementales
Les quatre caractéristiques principales des addictions comportementales sont :
- l’impossibilité de résister à l’impulsion de s’engager dans le comportement ;
- la tension croissante avant d’initier le comportement ;
- le plaisir ou soulagement au moment de l’action ;
- la perte de contrôle sur le comportement.
Et 9 critères secondaires :
- la préoccupation fréquente pour le comportement ou l’activité qui prépare celui-ci ;
- les efforts répétés pour réduire ou arrêter ;
- les temps considérable passé à réaliser le comportement ;
- la réduction des activités sociales, professionnelles, familiales du fait du comportement ;
- l’engagement dans ce comportement qui empêche de remplir des obligations sociales, familiales, professionnelles ;
- la poursuite malgré la connaissance des dommages associés ;
- la tolérance marquée ;
- l’agitation ou irritabilité s’il est impossible de mettre en œuvre le comportement.
Les comorbidités psychiatriques
Les troubles que l’on trouve chez les personnes en difficulté avec les addictions comportementales sont, le plus souvent :
- les troubles de l’humeur ;
- les troubles anxieux ;
- le Trouble Déficitaire de l’Attention/Hyperactivité (TDA/H) ;
- les troubles de personnalité.
Les addictions comportementales touchent toutes les classes sociales et toutes les catégories d’âge.
Leurs conséquences négatives se répercutent sur toutes les composantes de la vie quotidienne : familiales, sociales, professionnelles, financières.
De l’imaginaire au fantasme et à l’addiction sociale
Dans les Réseaux Sociaux Numériques (RSN) BDSM ou des cordes, l’individu libéré des contraintes physiques peut couper du monde réel et s’évader vers un monde imaginaire : il peut réaliser ses désirs et ses pulsions (Tisserond, 2000). Pour certains, il s’agit ainsi de pénétrer la réalité virtuelle et de s’y enfermer, de rejoindre dans l’absolu un paradis artificiel plus ou moins crédible (Schütze, 1996). Pour d’autres, il est plutôt question d’un voyage au sein de cet imaginaire avec le désir à un moment ou un autre d’en ressortir : “Il y a ceux qui se tournent vers l’intérieur et ceux qui se tournent vers l’extérieur. On touche là à des questions intimes, psychologiques voire psychanalytiques. Mais quel que soit la vérité visible ou invisible, et au-delà de l’éventuel terrain personnel duquel émergent des formes potentielles d’addiction, l’enjeu central dans les Réseaux Sociaux Numériques BDSM ou des cordes réside dans la pratique sociale. Pour rejoindre la pensée de Marx : “Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience” (Marx, 1859). De cette manière, l’expérience d’un Réseau Social Numérique BDSM ou des cordes qui s’appuie souvent sur une quête intérieure et solitaire doit se transformer en dialectique sociale, certes à distance, mais à tout le moins avec l’autre. Elle s’inscrit alors dans une problématique sociale et communicationnelle qui s’intéresse au rapport à l’autre.
Sources : Michel Lejoyeux, Bénédicte Barbotin, Alya Mlaiki, Hajer Kefi, Michel Kalika, Philippe Bonfils.
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