Le syndrome d’hubris dans le BDSM ou dans les cordes
Note : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique; ils ont à la fois valeur d’un féminin et d’un masculin.
La soumission à l’autorité…
Récemment, le réalisateur Christophe Nick entouré de certains d’entre nous (Jean-Léon Beauvois, Dominique Oberlé et Didier Courbet) a voulu transposer l’expérience de la soumission à l’autorité de Milgram en la parant des habits neufs de la téléréalité. Les participants, recrutés parmi 13 000 personnes, ont été rémunérés 40 euros pour participer à un « pilote » de jeu télévisé nommé La zone extrême. Étant donné la fascination qu’exercent les médias sur notre société, un des objectifs de cette émission était de montrer que la télévision représente une autorité pouvant conduire des téléspectateurs à réaliser sur un plateau des actes violents vis-à-vis d’autrui.
Les résultats ont montré que plus de 70 pour cent des participants ont accepté de continuer à administrer des chocs jusqu’au terme de l’expérience. Ce taux de soumission suggère que dans une situation de fortes pressions, plus des deux tiers des participants administrent des décharges électriques (supposées) mortelles, poursuivant le jeu, malgré les hurlements de la victime qui implore que l’on arrête, voire finit par ne plus réagir.
Conclusion : la télévision a le pouvoir de susciter des actes dangereux. Dans le cadre de la téléréalité, les responsables des chaînes de télévision doivent en être conscients et prendre leur responsabilité en toute connaissance de cause. Seuls un quart des sujets ne sont pas allés jusqu’au bout. Peut-on dresser un profil de ces – rares – insoumis ?
On peut étendre l’expérience de Milgram ou l’expérience de Christophe Nick au BDSM ou aux cordes, la médiatisation (par le web, la télévision, les films (50 nuances de Grey…), le web, les images, les blogs… suscitent des actions et des actes dangereux pour les novices, les néophytes. Ils ont tendance à banaliser la souffrance, la douleur, ils se cachent derrière une conscience altérée par le fait que tout le monde le fait dans le BDSM ou dans les cordes.
L’expression “banalité du mal” a eu un succès immense dans les sciences sociales. Elle a très justement contribué à souligner que les auteurs d’actes barbares ne sont pas nécessairement des monstres, tandis que le sens commun voudrait que de tels actes ne puissent être conçus que par des personnalités maléfiques. Cette tendance générale aboutit à minimiser le poids des situations dans l’explication des comportements. Au contraire, l’œuvre de Stanley Milgram nous oblige à prendre conscience de l’importance des situations. Toutefois, si l’environnement a une influence notable, les récents résultats expérimentaux indiquent que divers facteurs individuels permettent de repérer les personnes les plus influençables, même si ces facteurs sont des dispositions individuelles plutôt ordinaires et que leur importance reste malgré tout limitée.
Les criminels de guerre nazis comme Eichmann se sont souvent défendus au motif “qu’ils ne faisaient qu’obéir aux ordres” . Cette expérience montre que l’état agentique postulé par Stanley Migram, où l’on ne se considère plus auteur de ses actes, est plausible sans être excusable. On retrouve le même phénomène dans le BDSM ou dans les cordes sauf qu’ils n’obéissent pas aux ordres, mais qu’ils font “comme tout le monde” …
Le syndrome d’ hubris : la maladie du pouvoir
Perte du sens des réalités, intolérance à la contradiction, actions à l’emporte-pièce, obsession de sa propre image et abus de pouvoir : tels sont quelques-uns des symptômes d’une maladie mentale récemment répertoriée qui se développerait durant l’exercice du pouvoir. C’est le syndrome d’hubris.
Dans ses Discours sur la condition des grands, Pascal jugeait utile d’éduquer les futurs puissants en leur rappelant que leur détention du pouvoir tenait avant tout du hasard : “Surtout ne vous méconnaissez pas vous-même en croyant que votre être a quelque chose de plus élevé que celui des autres […] Car tous les emportements, toute la violence, et toute la vanité des Grands vient de ce qu’ils ne connaissent point ce qu’ils sont.” Le pouvoir exerce une fascination indéniable, autant sur ceux qui le subissent que sur ceux qui l’exercent. L’exercice du pouvoir n’est pas une activité comme une autre et n’échoit pas au premier venu, mais les “Grands” se souviennent-ils suffisamment de leur condition de simple mortel ?
Le concept d’hubris est tiré non seulement de la philosophie grecque – on le retrouve chez Platon et Aristote –, mais également du théâtre, où il permet de raconter de grandes épopées, où le succès monte à la tête du héros, qui prétend se hisser au rang des dieux ; il est alors impitoyablement remis à sa place par Némésis, la déesse de la vengeance. L’hybris grec renvoie à la démesure et à ses conséquences funestes.
Malheureusement, il n’existe pas en français d’équivalent satisfaisant au mot anglais hubris. Une approximation serait “orgueil démesuré” . Mais le champ sémantique du terme anglais est beaucoup plus large : il associe narcissisme, arrogance, prétention, égotisme, voire manipulation, mensonge et mépris. Le terme renvoie également à un sentiment d’invulnérabilité, d’invincibilité et de toute-puissance, en y associant un certain pathétique. Comme le narcissisme, l’hubris désigne aussi un manque d’intérêt pour tout ce qui ne concerne pas le sujet personnellement, une absence générale de curiosité. La caractéristique principale de l’hubris est qu’il est visible de tous, sauf du principal intéressé et de ses fidèles. Adapté au BDSM ou aux cordes, on voit immédiatement se profiler quelques individus au syndrome d’hubris.
Le déclencheur de cette maladie du pouvoir, de ce syndrome d’hubris serait l’exercice même du pouvoir, généralement précédé d’un grand succès, et suivi d’une ascension irrésistible et populaire, qui s’accompagne d’une absence inhabituelle de contraintes, aboutissant à une centralisation des pouvoirs. En d’autres termes, le leader commence à prendre certaines libertés qu’il justifie généralement comme étant sa “signature” particulière qu’il qualifie volontiers de “rupture” ou de “réforme” . Le syndrome d’hubris empire si le leader est réélu, car il se sent alors conforté dans son action.
Le syndrome d’hubris déclenche de graves troubles du comportement et perturber la capacité à prendre des décisions rationnelles. Chez l’individu s’installe un sentiment d’invulnérabilité et d’infaillibilité. Le leader hubristique écarte ceux qui l’ont déçu ou qui lui semblent menaçants. De tels leaders surestiment grossièrement leurs compétences tout en sous-estimant les difficultés auxquelles ils sont confrontés. Ils pensent généralement savoir ce qui est bon pour tout le monde, indépendamment des circonstances. Le leader hubristique persiste dans des choix critiquables, n’écoute pas son entourage – et encore moins ses opposants –, et refuse toute contradiction ou compromis.
Du point de vue cognitif, le syndrome d’hubris se caractérise par un refus de s’encombrer de nuances, et d’envisager les conséquences de ses actes et de ses décisions. Ce manque d’attention et ce désintérêt pour les détails, associé à une agitation permanente, est assez proche de l’hyperactivité ou de certaines perturbations du lobe frontal. Le sujet en vient à simplifier à l’extrême, voire à caricaturer, des situations fort complexes. Ce fut le cas de G. W. Bush qui prétendait libérer le monde du “mal” . Un tel manichéisme – le bien contre le mal, les méchants et les gentils – est caractéristique du comportement hubristique.
De même, le leader hubristique ne ressent pas la nécessité d’écouter – il s’enorgueillit même de ne jamais prendre conseil –, ne cache pas son mépris pour l’opinion d’autrui et ignore les leçons de l’histoire. Pour lui, toute forme de consultation est considérée comme un aveu de faiblesse. Les connaissances restent le plus souvent superficielles ; ce type de leader apprécie les résumés, les synthèses, mais pas les dossiers encombrés de nuances et de mises en perspective.
Le reste des caractéristiques du syndrome d’hubris se confond avec le trouble de la personnalité narcissique. Le leader hubristique est imbu de lui-même à l’extrême. Il est obsédé par l’apparence, aime se montrer et contrôler son image, cherche à donner l’illusion qu’il agit sans se préoccuper d’être réellement utile. Le syndrome d’hubris est uniquement dû au pouvoir en tant que tel, et non à des facteurs prédisposants ou à une autre maladie. Qui plus est, le trouble dure le temps de l’exercice du pouvoir, et cesse dès que le pouvoir est abandonné.
On peut apercevoir des manifestations du syndrome d’hubris et risquer une analyse clinique de l’ex-président Nicolas Sarkozy et du président américain George Walker Bush…
Depuis quelques mois, on voit sur la toile française différentes histoires apparaître sur des encordeurs, sur des Dominants, sur des Maîtres… Certaines de ces histoires sont réelles, d’autres sont fantasmées, et d’autres sont arrangées pour faire écho dans la communauté… On peut voir aussi sur des tchatches des individus modérateurs ou administrateurs dont leurs comportements semblent dénués de logique, les actions et les actes répondent plus à des émotions qu’à une logique rationnelle. On peut remarquer des manifestations du syndrome d’hubris chez ses personnes…