La poïétique des relations BDSM
Article que j’ai écrit mais issu d’une co-réflexion avec ma soumise : allotei.
Je pense qu’il faut analyser le BDSM avec un œil philosophique et non psychologique. L’analyse du BDSM est de droit une interprétation de la culture BDSM.
La psychanalyse s’inscrit dans le grand débat contemporain sur le langage. Le rêve devient modèle de toutes les expressions déguisées fictives du désir humain.
Comment interpréter cette culture BDSM ?
L’interprétation est le lieu des symboles et du double sens, instrument culturel de notre appréhension de la réalité : imagination poétique.
Pour Bachelard, l’image poétique nous met à l’origine de l’être parlant. Les symboles permettent à l’image verbe de traverser l’image représentation. C’est par l’interprétation que le problème du symbole s’inscrit dans le problème plus vaste du langage. Le langage est une étape d’interprétation, tout son est émis par la voix et doté de signification : la parole signifiante. Pour lui, on atteint les choses qu’en attribuant un sens à un sens, ce qui soulève une problématique nouvelle de la représentation : comment une représentation subjective peut avoir une validité objective ?
Pour Descartes, chercher le sens, c’est en déchiffrer les expressions. Descartes triomphe du doute sur la chose par l’évidence de la conscience.
Pour Spinoza, la philosophie est éthique pour autant qu’elle conduit de l’aliénation (dépossession de l’individu : perte de sa maîtrise, de ses forces propres au profit d’un autre) à la liberté et à la béatitude. La connaissance de soi est égalée à la connaissance de l’unique substance. L’individu aliéné est transformé par la connaissance du tout. Saisir l’égo dans son effort pour exister, dans son désir pour être. La source de la connaissance est elle-même éros (ensemble des pulsions de vie, référence au dieu grec de l’Amour qui va de la perversion à la sublimation).
C’est quoi l’amour ?
Freud a défini la santé psychique comme l’aptitude à aimer et à travailler.
Les poètes le savent, l’amour c’est l’accueil enthousiaste de l’avènement de la présence. Présence du réel du monde, présence réelle au réel du monde. Présence réelle de l’autre, présence réelle au réel de l’autre.
L’amitié accompagne l’amour. Pour Winnicott, l’amitié, comme le jeu, appartient à l’espace transitionnel.
L’espace transitionnel est un espace paradoxal, parce qu’il se situe entre la réalité extérieure et la réalité interne, entre le dedans et le dehors. Il s’agit d’un espace qui oblige à repenser la division traditionnelle, entre la réalité matérielle et la réalité psychique, entre le dehors et le dedans. C’est, en partie, pour éviter ce type de malentendu que Winnicott rédigera, vingt ans plus tard, en 1970, une nouvelle version de ce premier texte, une nouvelle version qui figure, donc, au début de « Jeu et réalité ».
Or, le jeu peut contenir une certaine intensité d’angoisse. Lorsque, à cette intensité vient s’ajouter celle qui est enracinée dans l’activité pulsionnelle, un seuil est franchi et le Moi prend le relais. Pour certains, leur amour BDSM s’arrêtera au Moi. Dans ce jeu, l’amour de soi prendra le pas sur l’amour de l’autre. Le BDSM restera un jeu pour eux. Ils resteront dans cet espace transitionnel, leur réalité extérieure sera le BDSM, leur réalité intérieure sera le Moi. ils resteront dans leur jeu, dans un espace égocentré.
Pour d’autres, le BDSM deviendra une philosophie de vie, un art de vivre. Ils franchiront la porte de ce relais : leur amour BDSM deviendra l’amour de l’Autre. Ils sortiront de cet espace transitionnel, leur réalité extérieure sera le BDSM, leur réalité intérieure sera l’Autre. Ils entreront dans un espace allocentré.
Pour ceux qui resteront dans le “jeu”, qui ne franchiront pas la porte, ils seront dans une fantasmagorie esthésis (perception des sensations : une esthésie pro-objective (ex: dans le virtuel on imagine le réel) et une esthésie pro-intersubjective (on imagine ce que l’on va ressentir lorsqu’on sera en réel)).
Pour les autres, ils seront dans une interprétation poétique : amplificateur émotionnel, qui sera grandement aidée par une interprétation esthésis : amplificateur perceptif. On va créer un amour autrement, autrement car on ne l’a pas trouvé dans le vanille, imagination poïétique, imagination qui débouche sur une création nouvelle, qui fait passer du non-être à l’être, c’est-à-dire dans la “réalité”.
A l’arrivée dans le monde BDSM, les individus se situent dans une esthésis, pour certains cette esthésie prendra la forme d’une imagination esthésis (pour eux, l’art se vivra) et pour d’autres elle prendra la forme d’une fantasmagorie esthésis (pour eux, l’art se parlera uniquement). Qu’ils soient dans l’imagination ou dans la fantasmagorie, ils se nourriront, au départ, de la poétique du partage de ceux qui la vivent ou qui l’ont réellement vécu.
Malheureusement le souci pour les individus qui sont dans la fantasmagorie esthésis, c’est qu’ils manipulent facilement autrui, en empruntant ce partage pour en faire leur propre partage, allant même jusqu’à détourner les informations. Détournement qui n’a d’autre but que de se convaincre d’être dans le juste et d’apaiser leur subconscient (Le BDSM restera qu’un fantôme pour eux).
De cela on observe, qu’il n’y a pas une appropriation des concepts, des codes, des protocoles, et des règles mais une simple imitation vulgarisée de ces derniers, qui va même parfois jusqu’au rejet.
Dans la volonté de vouloir créer quelque chose de singulier et d’individuel, qui leur est propre : l’appropriation leur reste inaccessible. Leur inaccessibilité va les amener à créer autre chose, qui n’est pas création mais détournement (créativité) voire dénaturalisation (ils dénaturent ce qu’est le BDSM).
Malheureusement ces individus ont fait fuir le sens communautaire du BDSM par cette dénaturalisation, pour engendrer un monde BDSM peuplé d' »anarchistes » : un monde déviant et non alternatif.
Dans cette poïétique des relations BDSM, ces derniers ne feront toujours que penser reproduire (fruit de leur fantasmagorie) et non produire (fruit de leur imagination et interprétation).
Source : Heitor O’Dwyer de Macedo, Jean-François Rabain, Paul Ricoeur.
One thought on “La poïétique des relations BDSM”
Texte relu plusieurs fois pour bien en appréhender le sens. Mais une explication m’échappe : pourquoi me semble-t-il, il est écrit que « l’amour » découvert sous sa forme vanille ne peut évoluer vers une relation plus intense, BDSM, comme un chemin que l’on parcourt à deux ?