La douleur et le plaisir dans le BDSM ou dans les cordes
Note 1 : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique; ils ont à la fois valeur d’un féminin et d’un masculin.
Note 2 : Dans cet article, je vais parler de ma vision de la douleur et du plaisir.
Selon la définition officielle de l’Association internationale pour l’étude de la douleur (International Association for the Study of Pain – IASP), « la douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite dans ces termes ».
La douleur reposant donc avant tout sur le ressenti, cela la rend difficile à quantifier et à qualifier. De plus, elle n’est pas systématiquement liée à une lésion.
L’hédonisme fait recette aujourd’hui
Le concept de la douleur, comme le concept du plaisir pose problème, il suffit de voir tous les synonymes qui sont utilisés pour les définir.
On peut se demander si il y a des choses de commun entre tous les états de plaisir et les états de douleur ? Existe-t-il une propriété commune entre le plaisir et la douleur ? Qu’est-ce qu’un état de plaisir ou de douleur, est-ce un état sensoriel, un état affectif, un état cognitif ? Peut-on dissocier différentes strates dans l’état de plaisir et dans l’état de douleur ? Est-ce qu’il y a des priorités de plaisir ou de douleur ? Le plaisir serait-ce d’éviter la douleur ? La douleur serait-ce rechercher le plaisir ? Est-on condamné soit à souffrir, soit à éprouver du plaisir ? Pourquoi nous dit-on toujours de rechercher du plaisir ? Pourquoi irions-nous plutôt vers l’hédonisme plutôt que vers le dolorisme ? Peut-on dire que la douleur est un mal, et que le plaisir est un bien ? Est-ce que le bien est une propriété essentielle du plaisir ? Est-ce que le mal est une propriété essentielle de la douleur ?
Il est facile de dire que le plaisir et la douleur sont deux états simples, deux affections qui caractérisent le sentir de l’Homme. Tous deux sont des mouvements, et sont opposés. Le plaisir un mouvement lisse ; la douleur, un mouvement rugueux. Il devient difficile de définir la douleur sans parler du plaisir, et de définir le plaisir sans parler de la douleur. On peut donc réduire l’Homme à un “pur senti” .
Le plaisir lorsqu’on s’en souvient, n’est plus un plaisir et un plaisir attendu n’est pas encore un plaisir. Un plaisir est donc ce qu’il est, dans le moment où il est. Il est donc en lui-même une fin. Il n’est pas un bonheur, car le bonheur englobe les plaisirs passés, les plaisirs actuels et les plaisirs prochains. On commet une forme de sophisme naturaliste si l’on essaie de définir ce qui est bien.
Les théoriciens contemporains de l’éthique appelle la distinction du sentiment distinctif de la douleur ou du plaisir : le fait de savoir ce que l’on éprouve, uniquement lorsqu’on en a fait l’expérience. Il faut faire l’expérience pour savoir ce que l’on éprouve. C’est l’expérience qui garantit la réalité du sentiment. Faire l’expérience apporte la preuve de ce que l’on éprouve. On ne peut pas définir ce que l’on éprouve en faisant appel à ce que l’on éprouve. C’est quelque chose qui est absolument indéfinissable. Si l’expérience est indéfinissable, l’expérience en est son seul juge. On ne peut caractériser le plaisir ou la douleur que par l’expérience du plaisir ou de la douleur. Il ne sert pas à grand chose de chercher toutes les distinctions du plaisir ou de la douleur, c’est tout simplement du plaisir ou de la douleur, il n’y a pas de hiérarchie ou autre.
La neurophysiologie de la douleur
La douleur était définie comme une apparition psychologique et subjective. Aujourd’hui, par la neuroimagerie, on peut voir si lors de la douleur, certaines aires du cerveau “s’allument” ou pas, ce qui permet de savoir si la douleur est psychologique et subjective, ou si on peut donner une lecture physique. La neuroimagerie permet de mieux comprendre des cas anormaux de la douleur ou d’inhibition de la douleur, ce que ne pouvait faire avant les physiologues ou les neurologues avant de disposer des images. Au lieu de reléguer dans les maladies psychosomatiques ou des désordres mentaux les troubles d’une personne, on peut démontrer aujourd’hui leur réalité, à savoir par exemple que la douleur chronique change le cortex d’une personne.On peut voir une activité accrue dans le cortex frontal et cingulaire et parfois dans le cortex insulaire et l’hypothalamus ainsi que dans les différences dans le thalamus ipsilatéral (ipsilatéral dont le synonyme est homolatéral, se dit de ce qui se trouve, ou de ce qui se produit, d’un même côté du corps, par opposition à controlatéral) et le thalamus controlatéral répond à la douleur chronique par opposition à une douleur aigüe.
Aujourd’hui, l’Association Internationale d’Étude de la Douleur (International Association for the Study of Pain – IASP) définit la douleur comme « une sensation et une expérience émotionnelle désagréable en réponse à une atteinte tissulaire réelle ou potentielle ou décrites en ces termes ».
Il est possible de distinguer trois grands types de douleur selon leur profil évolutif : douleur aiguë, douleur procédurale et douleur chronique.
- La douleur aigüe :
La douleur aiguë est liée à une atteinte tissulaire brutale (traumatisme, lésion inflammatoire, distension d’un viscère…).
C’est un signal d’alarme dont la “finalité” est d’informer l’organisme d’un danger pour son intégrité.
- La douleur procédurale :
C’est la douleur induite par les soins (ponction, pansement, prise de sang, mobilisation du patient…).
- La douleur chronique :
La douleur chronique comme un syndrome multidimensionnel exprimé par la personne qui en est atteinte. Il y a douleur chronique lorsque la douleur présente plusieurs des caractéristiques suivantes :
-
- persistance ou récurrence ;
- détérioration significative et progressive du fait de la douleur, des capacités fonctionnelles et relationnelles.
Lorsqu’elle devient chronique, la douleur perd sa “finalité” de signal d’alarme et elle devient une maladie en tant que telle quelque soit son origine.
Dans le BDSM, ou dans les cordes , nous ne parlerons que de douleur aigüe.
Il est très ardu de déterminer les différents seuils de douleur, la détermination de la sensation et celle de la perception, celle la tolérance ou celle de la tolérance avec encouragement. Les scientifiques ont aussi beaucoup de mal pour trancher entre la douleur somatique (La douleur nociceptive somatique est causée par la stimulation des récepteurs de la douleur) et la douleur psychogène (douleur qui serait uniquement ou principalement causée par des facteurs psychologiques, émotionnels et comportementaux). Le plus important dans le BDSM étant d’évaluer dans la douleur d’une personne soumise la part somatique (qui concerne le corps) et la part psychogène (qui est causée par des facteurs psychologiques, émotionnels et comportementaux), de chercher l’épistémologie dans la douleur que vit la personne soumise afin d’évaluer si elle subit ou si elle choisit la douleur.
- La douleur est-elle une sensation comme une autre ? Faut-il revenir sur le lien entre la douleur et son stimulus, sur le type d’étape psychologique qu’elle relève ? On ne peut pas mettre la douleur et la sensation sur le même plan.
- Si la douleur est une émotion : est-elle purement affectif ? où est-elle purement cognitive ? En établissant la nature de l’émotion, on peut savoir si elle est affective ou cognitive.
Approche phénoménologie expérientielle
Comment évaluer la part exact du sensoriel, de l’affectif et du cognitif dans le plaisir et la douleur ? Comment va-t-on analyser les relations entre ces phénomènes physiques et celles relèvent d’une certaine manière de l’esprit ? Cela suppose une théorie de l’émotion, de l’esprit et de la douleur, mais aussi une théorie de l’esprit. Le plaisir et la douleur ébranlent toutes les théories que l’on a de la conscience, d’un état mental, et de l’intentionnalité.
Est-ce qu’une douleur, qu’un plaisir est intentionnel ? Est-ce qu’il y a une intentionnalité du plaisir et pas de la douleur ? Est-ce qu’il y a une intentionnalité de la douleur et pas du plaisir ?
On pourrait se poser la question sur quelle différence il y a entre prendre un coup de fouet, et prendre du plaisir en recevant un coup de fouet ? Ou alors qu’est-ce qui différencie la réception d’un coup de fouet, et la réception d’un coup de fouet avec plaisir ? C’est tout simplement une disposition du plaisir, le caractère dispositionnel du plaisir. Donc avoir du plaisir ou prendre du plaisir n’est pas de l’ordre d’un état, c’est une disposition, il n’y a pas un état de plaisir, cela s’opère tout simplement de manière dispositionnel. Dans le plaisir, il y a forcément un élément motivationnel. Le plaisir étant ce qui nous tire vers le haut.
La théorie de la douleur permet de dégager deux types de voies, deux systèmes qui interviennent dans l’explication du phénomène de la douleur.
- un phénomène qui est lié au somatosensoriel, la douleur est bien lié à une sensation, c’est une sensation ;
- une intervention du système limbique telle que les voies de la douleur suivent aussi tout un système qui n’est pas seulement somatosensoriel, mais aussi celui de l’affectif qui explique pourquoi l’on ne sent pas la douleur bien qu’elle soit là. La douleur réelle et objective de l’ordre de la perception et de la sensation est bien là, mais en même temps, il y a une telle importance qui est accordée affectivement et cognitivement à l’enjeu de la scène BDSM, à l’enjeu de la relation BDSM, l’enjeu de la corde qui fait que l’on ne sent pas que l’on a mal.
Il peut y avoir une dissociation réactionnelle, c’est-à-dire qu’il peut y avoir une dissociation à la fois physiologique et une interprétation affective qui est faite du phénomène. Les voies de la douleur dans le BDSM ou dans les cordes vont suivre ces deux systèmes.
La simplicité de la douleur ou du plaisir n’est que factice. En réalité cette simplicité n’est que le résumé d’un phénomène très complexe qui suit au moins deux voies différentes : la voie du somatosensoriel, et la voie de l’affectif.
La neurophysiologie du plaisir
Le plaisir n’est pas une sensation, il est la réaction à une sensation. Il fait majoritairement intervenir le système limbique. On ne peut pas rendre compte de l’expérience du plaisir comme l’on peut rendre compte de l’expérience de la douleur. On ne peut pas associer le couple douleur / plaisir comme si de rien n’était, ils mettent en cause des mécanismes différents.
Dans le BDSM ou dans les cordes, la personne soumise ou la personne encordée a toujours des difficultés à rendre compte de ce qu’elle a vécu, il y a des sentiments mêlés, ou ce que l’on appelle des sentiments liés au masochisme (le plaisir peut être une douleur ou une douleur peut être un plaisir). De ce fait, aurait-on affaire à deux phénomènes du même ordre ?
Si l’expérience du plaisir n’est pas une sensation, mais la réaction à une sensation, là on peut comprendre que l’on puisse parler d’un système récompense / punition, du style stimulus / réponse. Si l’on active par stimulation un certain nombre de zone, du centre du plaisir. Cela expliquerait le phénomène réactionnel du plaisir. Le fait que le système limbique est le système qui intervient le plus dans les mécanismes émotionnels du plaisir, expliquerait pourquoi il est très difficile de dissocier le plaisir du désir, très difficile de dissocier le plaisir de l’émotion, très difficile même de dissocier le plaisir d’une éducation de notre sensibilité au plaisir. Le système limbique étant le système qui fait intervenir tous les états émotionnels, affectifs mais aussi cognitifs. Si il y a une dimension cognitive extrêmement important dans l’expérience du plaisir alors cela éveille certaines formes d’hédonisme dans notre société contemporaine. Il peut donc y avoir aussi des degrés possibles dans l’expérience du plaisir, il peut donc y avoir une éducation de notre sensibilité au plaisir, une éducation de notre sensibilité à la douleur qui dépend jusqu’à un certain point de nous. Ce qui permet l’existence de plaisirs plus sophistiqués que d’autres, de plaisirs qui nous amènent à une forme de bien-être, voire à une forme de bonheur.
On pourrait donc introduire non seulement une gradation, mais une hiérarchisation dans l’ordre des plaisirs. Hiérarchisation qui n’a rien à voir avec une valorisation ou un jugement moral, mais simplement pour goûter encore mieux à ce qui est bon et pour souffrir encore moins à ce qui est mauvais.
Le parcours de l’information douloureuse
Exemple de la douleur aiguë provoquée par un fouet, dont le cracker vient fouetter la personne soumise : l’impact va stimuler des terminaisons nerveuses, localisées au niveau de la peau dans ce cas, mais que l’on retrouve dans d’autres tissus (muscles, articulations, viscères…). De là, l’information va se propager le long des nerfs nocicepteurs pour être transmise à la moelle épinière, puis au cerveau.
Ce n’est qu’une fois arrivé au cerveau que le signal est identifié comme une douleur, et que nous avons mal. C’est au niveau moelle épinière qu’interviennent les premiers systèmes de modulation de la douleur, impliquant les neurotransmetteurs GABA (Petite molécule qui assure la transmission des messages d’un neurone à l’autre, au niveau des synapses) ou les endomorphines, ils diminuent la douleur ressentie. Malheureusement, dans certaines conditions, d’autres systèmes endogènes peuvent au contraire exacerber l’information douloureuse.
La douleur aiguë joue donc un rôle d’alarme qui va permettre à l’organisme de réagir et de se protéger face à un stimulus mécanique, chimique ou thermique.
La douleur est une sensation réelle, mais aussi une émotion, voire une perception, autrement dit une activité de déchiffrement sur soi et non le seul décalque d’une altération somatique. Le propos consiste justement à dégager les liens entre douleur et souffrance, et parallèlement à comprendre pourquoi certaines douleurs sont dénuées de souffrance, voire même associées à la réalisation de soi ou au plaisir. La douleur recherchée ou vécue à travers le BDSM ou les cordes est d’une autre nature que celle qui affecte le malade. Le BDSMiste ou l’encordé(e) est un homme ou une femme qui accepte la douleur comme matière première de ses performances, cherchant à l’apprivoiser, à la contenir. La douleur renvoie ainsi toujours à un contexte personnel et social qui en module le ressenti, et la souffrance est la résonance intime d’une douleur, sa mesure subjective. Elle est ce que la personne soumise ou l’encordé fait de sa douleur, elle englobe ses attitudes, c’est-à-dire sa résignation ou sa résistance à être emporté dans un flux douloureux, ses ressources physiques ou morales pour tenir dans la scène ou dans la corde. Elle n’est donc jamais le simple prolongement d’une altération organique, mais une activité de sens pour la personne qui souffre. Si elle est un séisme sensoriel, elle ne frappe qu’en proportion de la souffrance qu’elle implique, c’est-à-dire du sens qu’elle revêt. Entre douleur et souffrance les liens sont à la fois étroits et lâches selon les contextes, mais ils sont profondément significatifs et ouvrent la voie d’une anthropologie des limites.
Source :
David Le BRETON “Approche anthropologique de la douleur”.
Claudine Tiercelin, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire de Métaphysique et philosophie de la connaissance.
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