L’histrionique dans le BDSM ou dans les cordes
Note 1 : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique, ils ont à la fois la valeur d’un féminin et d’un masculin.
Note 2 : Dans cet article, je vais essayer de vous parler de l’individu histrionique dans le BDSM ou dans les cordes selon mon point de vue.
Dans une société fortement chargée de tabous, de traditions judéo-chrétienne, tout sentiment érotique dans une scène ou dans une corde peut sembler obscène, grotesque, extravagante, hystérique et de ce fait histrionique. Son expression est nécessairement théâtrale, dès lors qu’il faut lui prêter une réalité, par un acte de volonté, en le mettant en scène. Ces passions BDSM ou de cordes sont inéluctablement inauthentiques pour certaines personnes, sans autorité sociale, car elles ne s’inscrivent pas dans notre société vanille. Comment faire cette différence ? Comment distinguer le vrai du faux ? Comment distinguer l’individu histrionique de l’individu dit “normal” ?
Le mélodrame de la scène BDSM autorise une représentation histrionique de la passion. La scène donne toute la place au jeu de la représentation. La mise en scène, la consommation ostentatoire de cette représentation histrionique autorise la théâtralisation, l’exagération et l’exhibition.
Ce show d’extravagance histrionique et de l’excès génère le spectacle, spectacle d’ailleurs que le spectateur attend et s’en délecte.
Cette représentation, ce show permet d’effacer l’inauthenticité implicite dans la mise en scène dramatique des émotions passionnelles. Le mode spectateur fait oublier le paradoxe profond de la fausseté des passions exprimées.
Comment voir, apercevoir la tragédie qui peut se cacher derrière une représentation, un show histrionique d’une scène BDSM ou de cordes ?
L’individu histrionique
Certains individus dans le BDSM ou dans les cordes paraissent et/ou montrent une relation, une vie BDSM d’emprunt, ou empruntée : ils jouent à vivre et ne vivent pas. On retrouve chez ces individus comme un manque de sincérité. Une insincérité qui fait apparaître une forme d’histrionisme et d’inauthenticité. Ils sont dans une forme d’art de vivre en artifice, de philosophie de vie en artifice.
Le terme histrionique vient du latin “histrios” qui a donné “histrion”, terme qualifiant les artistes de théâtre et particulièrement les mimes dans l’antiquité romaine. Il s’applique de nos jours à des personnes qui cherchent à captiver l’attention des autres, à s’attacher leurs faveurs en utilisant pour ce faire leurs charmes et toutes leurs capacités de séduction. Ce terme recouvre maintenant les comportements excessifs et théâtraux que l’on qualifiait antérieurement d’hystériques.
L’histrionique se distingue par son insatisfaction et son inauthenticité, par un mode relationnel centré sur la manipulation et la séduction, par l’assujettissement à ce qu’attend l’autre dans son désir.
Qu’est-ce qu’un BDSMiste ou encordiste histrionique ?
C’est un individu dans la communauté BDSM ou des cordes qui a une émotivité disproportionnée par rapport aux situations et un besoin de s’exprimer de manière ostentatoire, qui a des consommations ostentatoires (la satisfaction non pas de besoins de base, mais d’un désir de standing et d’une volonté de paraître – dixit le Larousse).
L’individu histrionique est toujours en quête d’attention de l’entourage, la séduction devient un besoin. Très préoccupés de son corps et de son apparence, sa volonté de plaire et l’érotisation à outrance animent ses relations aux autres, alors que le déploiement de ses charmes lui confère parfois un théâtralisme qui en fait le centre d’attention.
L’individu histrionique est insatiable d’attention et l’expression excessive des émotions devient son mode d’expression habituel. Inquiet de lui-même, il cherche constamment à recueillir l’approbation des autres afin d’être rassuré. Les liens ainsi créés sont le plus souvent superficiels et égocentriques évoluant au fil des plaisirs que lui procure sa vie BDSM.
L’individu histrionique cherche constamment à maintenir un haut niveau d’intensité émotionnelle dans ses relations, souvent au détriment de son sens des responsabilités.
Cette personnalité qu’il s’est créé se définit par un ensemble de comportements, d’attitudes, de motivations qui déterminent ses actions et constitue son individualité, sa singularité, ce qui lui permet de ressembler aux autres et de s’en différencier.
Théâtralisation
Les attitudes, la conduite, le comportement, voire la tenue vestimentaire, le maquillage, les propos, tout cela a pour but d’attirer l’attention, de plaire et/ou de séduire.
Le BDSMiste histrionique évite les rencontres authentiques avec autrui, comme si le masque qu’il/elle porte cachait toujours la personne elle-même.
Dans cette recherche constante de l’attention de l’autre, et dans sa grande plasticité, tant dans son attitude que dans son discours, il/elle s’adapte en fonction de ses interlocuteurs.
L’hyperféminité, l’hypermasculinité fréquente se traduit dans le vêtement, dans l’exhibition, dans la provocation, dans l’excentricité, tout cela à la fonction de masque.
Le BDSMiste histrionique craint ses lacunes au niveau corporel mais aussi au niveau de l’intelligence, de l’esprit et de la culture. Il ne s’aventure pas sur ces terrains, mais il va plutôt là où le terrain se prête à la parure, ou à la parade.
Suggestibilité
Le BDSMiste histrionique joue le rôle que l’autre est censé attendre de sa part.
Labilité émotionnelle
L’affect est souvent l’outil de prédilection pour le BDSMiste histrionique, cela lui permet de s’inscrire dans une dialectique relationnelle là où il parvient à attirer et à mener l’autre dans son jeu. Il a cette capacité à se faire victime pour maîtriser et dominer l’autre.
Mythomanie
Son énorme puissance due à sa grande imagination. Le BDSMiste histrionique, par la mythomanie, falsifie aisément ses rapports avec autrui. Cette falsification de la réalité, en fonction de ce qu’il veut im-poser dans le champ du désir de l’autre. On est dans un mode de pensée plutôt imaginaire qu’il faut penser comme l’infiltration dans la réalité des fantasmes.
Egocentrisme
Le BDSMiste histrionique est centré sur lui, il est incapable d’envisager le point de vue d’autrui.
Dépendance affective
Il n’est pas rare d’observer chez le BDSMiste histrionique des attitudes et des comportements infantiles, immatures, on peut le retrouver dans le AgePlay (Big, Daddy, little, baby…).
Trouble de la sexualité
On trouve fréquemment des troubles de la sexualité chez le BDSMiste histrionique, qui apparaîtront par une théâtralisation de leur sexualité.
Caractéristiques attitudinales et comportementales du BDSMiste histrionique
On retrouve généralement chez le BDSMiste histrionique de l’intolérance aux frustrations, de l’égocentrisme, de la manipulation ainsi que de l’inconsistance émotionnelle se traduisant par une inconstance relationnelle où l’autre n’est perçu qu’en fonction de ce qu’il apporte de sentiment de protection ou de plaisir à la relation.
L’importance primordiale accordée aux émotions et à la recherche du regard de l’autre porte le BDSMiste histrionique à une certaine superficialité.
Sous des aspects extérieurs de vantardise et/ou d’exhibitionnisme, le BDSMiste histrionique cache une faible estime de lui-même et un fort sentiment de dévalorisation maximisé par la courte durée de ses relations BDSM. Sa faible capacité d’introspection le rend inconscient de sa situation. Il en résulte que ses relations se distancient, se délitent ou se rompent et ces multiples brisures sont alors intérieurement vécues comme autant d’échecs qui le désolent, le déçoivent et le font glisser dans une déprime voire dans une dépression.
Caractéristiques propres d’un individu histrionique selon Margot Phaneuf.
Cas particulier de personnes BDSMistes histrioniques montrant des symptômes dissociatifs
Pour certains BDSMistes histrioniques, leur scène ou leur vie BDSM peuvent s’accompagner de symptômes dissociatifs, de sentiments d’irréalité, de confusion, de dépersonnalisation, avec la sensation d’être spectateur de leur vie, d’être toujours à côté des événements, et ils montrent une certaine inadaptation dans leur relation aux autres.
On peut remarquer chez certains BDSMistes histrioniques, une anesthésie émotionnelle et physique qui se sont installés parallèlement aux symptômes dissociatifs, ce qui aggravent encore la sensation de décalage dans ses relations avec les autres. Cette anesthésie émotionnelle et la dépersonnalisation qui l’accompagnent donnent à leur entourage un sentiment d’inauthenticité, et de représentation.
Ces BDSMistes histrioniques souffrent d’une mémoire traumatique qui s’allume souvent, avec de nombreux épisodes de dissociation, il devient rapidement impossible d’être dans le ton juste et c’est excessivement douloureux et pénible.
Ces BDSMistes histrioniques se retrouvent à s’écouter, à s’observer parler, dans une distance continuelle avec eux-mêmes. Comme il n’y a aucune réaction naturelle possible, cela les oblige à inventer une posture, une réaction, un état émotionnel et à les jouer comme un acteur avec toujours le risque de sur-jouer, d’être excessif, ils se retrouvent dans l’histrionisme, ou de sous-jouer, d’être trop froid, pas assez réactif, trop déconnecté.
Une solution peut être de se caler sur les autres, de les observer puis de les imiter pour arriver à être à peu près en phase. Pour ne pas se retrouver à jouer tout le temps les caméléons, ils doivent se créer un rôle qui tienne la route malgré les effets de la dissociation et jouer la personne qu’ils veulent être, ou la personne que ses interlocuteurs désirent trouver en face d’eux, en modélisant un personnage BDSM.
Mais cette théâtralisation correspondra de moins en moins à ce qu’ils sont et à leur histoire, ce qui entraînera une succession de mensonges “logiques”. Leurs symptômes dissociatifs sont à l’origine d’une grande difficulté à maintenir un semblant d’unité, et donnent l’impression de n’avoir aucune personnalité stable, seulement des personnalités d’emprunt.
Derrière tout ce jeu de scène se cache une sensation de vide intérieur et un désespoir terrible.
Devant leur incapacité à nouer des relations normales avec les autres, ils développent souvent une seconde vie imaginaire (second life) dont ils ne parlent à personne, dans laquelle ils s’absorbent parfois presque totalement, avec un ou des scénarios complexes beaucoup plus riches en événements que leur vie réelle et/ou BDSM. Ces BDSMistes histrioniques donnent l’impression d’être toujours ailleurs, d’être absents.
Conclusion
Pour l’histrionique, le paraître prime sur l’être.
Source : Silla Consoli, Michel Delbrouck, Nicole Guédeney, Leo Bersani, David M. Halperin, Jean-Yves Hayez, Michael Lucey, Guy Pomerleau, Muriel Salmona.