Les étapes de la dépendance (4ème volet)
Note 1 : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique, ils ont à la fois la valeur d’un féminin et d’un masculin.
Note 2 : Dans cet article, je vais essayer de vous parler des étapes de la dépendance dans le BDSM selon mon point de vue.
Note 3 : Cet article fait suite à celui sur le cycle de dépendance.
Le passage psychologique de l’état de dépendance à l’état d’interdépendance est théoriquement réalisé à travers un processus évolutif.
Dans les années 1970, Katherine SYMOR, analyste transactionnelle américaine, a modélisé un “cycle de la dépendance” permettant le développement de l’autonomie. Il existe 4 phases dans ce processus : la dépendance, la contre-dépendance, l’indépendance puis l’interdépendance. Personnellement je préfère dire que ces 4 phases mènent à l’allonomie plutôt qu’à l’autonomie.
Étymologiquement, l’autonomie vient du grec autos : soi-même et nomos : loi, règle et l’allonomie vient du grec ancien allos : autre et nomos : loi, règle.
La description de ces différents stades de développement de l’autonomie peut permettre de redécouvrir des schémas inconscients et de prendre conscience des motivations qui sont sous-jacentes à nos désirs et à nos besoins profonds. Parallèlement, la prise de conscience de nos zones de vulnérabilité, des émotions qui y sont associées, permet de rentrer en introspection avec nous-même. Cela permet d’ouvrir une réflexion avec notre conscience pour nous permettre de redéfinir nos choix, d’identifier ce qui peut évoluer dans nos comportements et enfin d’accéder à la 4ème phase du cycle : l’interdépendance.
Dans le BDSM, je préfère parler d’allonomie plutôt que d’autonomie, et donc cette interdépendance permettra de vivre une véritable allonomie. Le souci avec l’autonomie étant que l’“auto” mène vers l’individualisme, or dans une relation BDSM, il ne faut pas aller vers l’égocentrisme ou l’autocentrisme, mais vers l’allocentrisme. On pourra trouver l’autonomie au stade de l’indépendance.
Dans ce schéma des dépendances, chaque étape doit être franchie pour passer à l’étape suivante.
La dépendance
La dépendance est une phase de soumission à l’autre. L’autre est responsable des choix, des actions et des résultats. La personne dépendante a besoin des autres pour obtenir ce qu’elle veut. La personne dans cette phase se sent démunie et pense qu’il n’est pas possible de faire évoluer la situation.
Si elle est pathologique, elle correspond au rôle de “Victime” dans le triangle dramatique. Lorsqu’elle est authentique, elle répond à une situation d’oppression, d’inégalités et de manquements réels.
La dépendance est de connotation positive quand il qualifie un échange, une relation. La dépendance devient péjorative lorsqu’elle traduit la subordination, la soumission, l’asservissement.
En psychologie, psychiatrie, la dépendance peut correspondre à une stratégie élaborée par quelqu’un qui se sent faible “Victime” vers quelqu’un qu’il juge fort, capable de l’aider “Sauveur” (voir le triangle dramatique).
Rousseau décrit trois formes de dépendance morale qui conduisent l’individu à agir selon un intérêt qui n’est pas à proprement parler le sien, la dépendance morale, la dépendance économique et la dépendance politique. Ces trois types de sujétion de la volonté conduisent à distinguer une relation d’autorité qui se traduit par une altération intentionnelle de la volonté d’autrui, qu’elle soit bienveillante ou malveillante, d’une adaptation spontanée de la volonté face au jugement social ou à la représentation que l’individu s’en fait. La première est étroitement associée au statut des inégalités morales dans la société. Plus la société se structure autour d’un rapport à l’inégalité, plus la sujétion de la volonté est nécessaire au maintien de ladite société. Le poids des inégalités morales est renforcé par l’importance accordée au jugement de l’autre dans la construction de l’identité de l’individu. Elle se traduit par une hétéronomie totale de la volonté et l’uniformisation des préférences.
Le souci de la dépendance la plupart du temps dans le BDSM se fonde sur la relation de pouvoir. Du fait que l’on a dans le BDSM une relation inégalitaire (Dominant/soumise), les BDSMistes souvent en déduisent qu’il y a une inégalité entre individus aussi, or il y a une égalité entre individu, entre un top (Dominant ou Maître) et une bottom (soumise ou esclave). Cette idée d’autorité est liée à l’idée d’une obéissance consentie librement.
L’obéissance ne peut être maintenue durablement par la force. Pour être total, le pouvoir doit apparaître comme le fruit même de la volonté de ceux qui y seront assujettis : « l’autorité la plus absolue est celle qui pénètre jusqu’à l’intérieur de l’homme, et ne s’exerce pas moins sur la volonté que sur les actions » (Rousseau 1964a, p.251).
Dans le cas d’une autorité BDSM légitime, la soumise qui obéit suit toujours son véritable intérêt ; elle accomplit une volonté qu’elle peut aisément et rationnellement reconnaître comme sienne.
L’étape de la dépendance est saine lorsqu’elle se déroule sur un temps réduit, elle ne doit pas être prolongée excessivement sous peine de dégénérer en devenant toxique. Reste à savoir si cela provient de la bottom (manque de confiance en soi, ou tout simplement incompétence), du Top (style autocratique par trop directif, voire manipulateur), ou des deux.
La soumise reçoit de cette autorité (celle du Dominant) la sécurité, la protection, les informations et règles pour agir, la reconnaissance (positive ou négative) dans son éducation à la soumission. Cette relation lui permet de se construire en recevant.
La contre dépendance
Afin de sortir de son état de dépendance, la soumise va entrer dans un processus d’opposition.
Dans le BDSM, cette étape est intéressante dans la mesure où la soumise va se démarquer en se forgeant sa propre identité BDSM, c’est une étape qui peut être difficile à vivre pour le Dominant, car le recadrage ne fera qu’accroître la rébellion.
Lorsqu’elle est pathologique, elle se caractérise par un rôle de Persécuteur dans le triangle dramatique ou de l’agressivité passive. Si elle est authentique, elle est fondée sur une vision claire des déficiences et manquements des personnes et systèmes dont la personne était dépendante.
Par contre si la contre-dépendance se prolonge trop longtemps avec un positionnement “rebelle” systématique, alors par contre il est temps que les protagonistes de cette relation (Dom et soum) se remettent en question.
L’indépendance et l’interdépendance
L’autonomie désigne la capacité à se gouverner soi-même, sans faire appel à une source extérieure ou à une autorité. L’individu trouve en lui-même le principe des lois auxquelles il consent à se soumettre librement. L’autonomie est donc synonyme de liberté. Plus précisément, elle apparaît comme le résultat d’un processus d’émancipation.
Si l’indépendance est pathologique elle prend la forme du rôle de Sauveur dans le triangle dramatique. Si elle est authentique elle permet l’exploration saine de nouveaux systèmes, de nouvelles structures et normes.
L’autonomie mobilise l’opposition entre le BDSM “traditionnel” et le BDSM “moderne” :
- Le BDSM “tradionnel” montrerait davantage une interdépendance entre BDSMiste, une allonomie entre pratiquants, montrerait du playing. Le BDSM “traditionnel” se caractérise par la priorité normative donnée à la communauté, le BDSMiste étant réduit, plus ou moins strictement, à son statut de “membre” de la communauté. Le BDSMiste est indifférent à la question de la liberté en général. Les BDSMistes “traditionnels” se réclament d’une approche communautarienne.
- Un BDSM “moderne” montrerait lui plutôt une indépendance entre BDSMiste, une autonomie entre pratiquants, montrerait du gaming. Le BDSM “moderne”, à l’inverse, met le BDSMiste et ses droits (sociaux et/ou moraux) au-dessus de la totalité sociale à laquelle il “appartient” néanmoins, mais selon un lien d’appartenance qui n’implique, idéalement du moins, aucun élément de soumission puisqu’il est délibéré. Le BDSMiste est dans un mouvement de “subjectivation”, mouvement individuel (il fait passer ses affects avant sa raison), on voit là apparaître la problématique de l’autonomie.
On voit là deux façons symétriques de se représenter l’articulation entre les deux processus de l’individualisation et de la socialisation, c’est-à-dire deux conceptions de la société BDSM au sens où une société, c’est ce qui permet justement de penser l’articulation de ce double mouvement de l’individualisation et de la socialisation. Dans la première de ces formes (BDSM “traditionnel”), le BDSMiste n’existe qu’en raison de sa participation au tout, alors que dans la seconde (BDSM “moderne”), c’est la société BDSM elle-même qui n’existe qu’en vertu d’un contrat, réel ou hypothétique et dont les modalités sont variables, que les BDSMistes passent entre eux pour mettre en commun certains biens (ressources, compétences, etc.), en vue d’augmenter leur puissance d’agir. Dans le BDSM “traditionnel”, le BDSMiste est au service du BDSM, de la relation, dans le BDSM “moderne”, c’est le BDSM, la relation qui est au service du BDSMiste.
Dans la première (BDSM “traditionnel”), le BDSMiste est soumis aux règles de la communauté, aux traditions et n’a aucun droit à opposer à cette domination exercée sur lui par les traditions, par les règles de la communauté puisque c’est seulement en raison de son appartenance à ce BDSM “traditionnel” qu’il peut se prévaloir de certains droits et qu’il peut, plus généralement, revendiquer une existence comme BDSMiste. Aucune contestation de cette appartenance n’est possible puisque c’est elle qui rend possible, entre autres droits, le droit à la contestation. Dans le BDSM “traditionnel”, c’est l’individu qui dépend de la communauté car il n’existe que par elle.
Dans la seconde (BDSM “moderne”), à l’inverse, c’est l’individu et ses droits, qui sont souvent définis comme “naturels” pour bien marquer leur indépendance par rapport au collectif dans lequel cet individu s’inscrit. Dans le BDSM “moderne”, le BDSMiste se sert du BDSM à des fins personnelles, il y a une volonté de signifier cette appartenance de la société aux individus.
Lorsque le BDSMiste est au stade de l’indépendance, il appartient à une société individualiste, lorsqu’il est au stade de l’interdépendance, il appartient à une communauté holistique.
Cette opposition entre liberté des anciens et liberté des modernes ne traduit pas une opposition anthropologique entre BDSM traditionnel (historique) et BDSM moderne (anhistorique) mais permet, en réalité, de distinguer deux approches, chacune conservant leur pertinence.
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