L’esprit, la pensée critique au service du BDSM et des cordes
Note 1 : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique, ils ont à la fois la valeur d’un féminin et d’un masculin.
Note 2 : Dans cet article, je vais vous parler de l’esprit, de la pensée critique au service du BDSM et des cordes, selon mon point de vue, mon observation et mon expérience.
Préambule : au fur et à mesure que j’écrivais cet article, je n’ai pas pu m’empêcher de me demander si j’avais cette pensée, cet esprit critique, où si moi-aussi j’étais soumis à des biais cognitifs. Finalement écrire permet aussi de se remettre en cause, de se questionner soi-même.
Dans une société saturée d’informations et de théories parfois indémêlables, il est de plus en plus crucial de distinguer ce qui est crédible de ce qui ne l’est pas.
Sur Internet, voire même dans le monde réel lors de rencontre, nous sommes souvent, abreuvés de fausses informations et de thèses complotistes sur un ou des individus Dom ou soum, sur des lieux, sur des pratiques…
Pour les individus qui ne pratiquent pas ou que très peu, on trouve souvent chez eux une attitude qui trouve à redire à tout.
On peut illustrer cela avec en faisant le lien avec l’ “allégorie de la caverne” de Platon. Des hommes sont immobilisés dans une caverne. Ils tournent le dos à l’entrée de celle-ci. Ils ne peuvent voir que leurs ombres et celles d’objets se trouvant derrière eux.
L’un d’eux est libéré de ses chaînes et emmené vers la sortie. Il est d’abord ébloui par la lumière du jour, puis, alors qu’il persiste à regarder, il voit le monde dans sa réalité. Il souhaite alors en faire part aux autres, toujours prisonniers. Mais ceux-ci refusent de le croire.
La pensée critique est une manière de voir le monde et peut être perçue très négativement lorsqu’une personne tente d’aborder autre chose que ce que les gens connaissent.
Malheureusement sur Internet, que ce soit Fetlife, facebook, les tchats ou autres, les passions pénètrent la raison, les ignorants se croient savants, la mauvaise foi et la langue de bois répandent partout leur venin. Résultat : les plus crédules des contestataires passent pour des champions de l’esprit critique. On confond esprit critique et esprit de contradiction, intelligence discursive et attaque ad hominem, et finalement pensée éclairée et conviction subjective.
Tant bien est que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) considère aujourd’hui que la diffusion des fausses informations sur les réseaux sociaux constitue l’un des principaux dangers pour la santé des populations, idem pour la santé des BDSMistes.
Quand une information nous parvient sous une forme ou une autre, qu’en faisons-nous ? Prenons- nous une attitude critique ?
Vous posez-vous ces types de questions ?
- Ai-je encore une attitude critique ?
- Ai-je une position critique ?
- Est-ce que je développe mon sens critique ?
- Est-ce que je laisse toutes ou certaines informations me percuter sans les réfléchir, les discuter, voire parfois, les mettre en doute ?
- Comment est-ce que j’appréhende et je comprends mon ou l’univers BDSM, mon contexte de vie BDSM, mes pratiques, ma D/s, mon SM ? Est-ce que j’adopte une position critique et réfléchie ?
Malgré ce que l’on peut penser, aujourd’hui, l’esprit critique est le cœur de notre faculté de penser, le geste interrogatif qui impulse toute enquête de vérité. Il faut un continuel travail sur soi pour mettre à distance ses propres biais (cognitifs). L’esprit critique a besoin des autres : qu’on “pense avec” ou qu’on “pense contre”, on ne pense jamais seul. La rationalité a besoin de se mesurer à une altérité. Elle n’est pas l’habileté solitaire à laquelle la psychologie la réduit parfois. C’est une compétence relationnelle, qui exige de l’information, de la pédagogie, du débat et de la maîtrise.
Le doute est au cœur de tous. Le doute est une boussole dans l’exploration de la vérité. Notre pensée peut venir s’échouer sur bien des écueils, qui vont de la pensée scepticiste (s’abstenir de toute opinion), au relativiste (ce qu’autrui dit vaut autant que ce que je dis), au nihiliste (tout ce qui se fait est dangereux et destructeur), ou au complotiste (attitude hypercritique, car tout mérite critique).
De la même manière, tout un chacun est limité dans son raisonnement, dans son empathie, dans ses affects.
À voir certaines personnes sur Internet, ou en réel se définissant comme BDSMiste, ils pensent leur recherche d’alter égo de la même manière que s’ils jouaient au loto. Sans pensée critique, sans esprit critique, avant tout sur eux-mêmes, ils n’ont guère plus de chance de trouver une personne soumise ou dominante avec qui ils pourront construire une histoire BDSM qui tiendra longtemps dans le temps que de gagner au loto. À savoir que statistiquement, on a plus de chance de trouver une pièce de dix centimes d’euro sur un stade de football que de gagner au loto.
Leur incapacité de se remettre en cause, en question, vient très souvent de biais cognitifs. Ils ont des automatismes de pensée qui les conduisent à adhérer à de fausses idées. Le sophisme du BDSMiste qui pense que l’échec qu’il/elle vient de vivre aura tendance à se compenser avec la prochaine personne soumise ou dominante qu’il/elle trouvera. Alors qu’en réalité, la probabilité reste strictement la même, quels que soient les résultats précédents, sauf si il/elle se remet en cause, en question.
Le doute est important, car il peut facilement nous sauvegarder dans certains cas, mais notre analyse ne doit pas être biaisée par nos affects, par notre esprit conservateur, par un biais de confirmation (privilégier les informations confortant nos opinions). Il est intéressant de réfléchir sur les indices de fiabilité et de compétences que nous utilisons avant d’accorder notre confiance. Malheureusement, le cerveau est fait de telle manière, qu’il nous est plus facile de renforcer nos croyances que de changer d’avis. Nous avons aussi tendance à nous rabattre sur des croyances intuitives, même si elles sont fausses, plutôt que de prendre le temps de comprendre des réalités moins évidentes au premier abord.
Accorder de l’importance à nos croyances, c’est laisser libre cours à notre imagination, à nos fantasmes, à nos rêves, et nous avons tendance à croire que si nous détruisons une croyance, alors notre monde va s’écrouler, ce sera la fin de tout. “Un des apports majeurs de la psychologie est d’avoir révélé la prévalence du système intuitif sur le système analytique et ses conséquences dans les décisions que nous prenons” Thierry Ripoll, 2020. Donner de l’importance à notre système analytique fait mal, fatigue, et fait peur, l’homme a toujours eu peur de l’inconnu, le plus dur comme souvent étant la première fois. Cette première fois fait tomber le masque de cette peur.
Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie, a identifié ce qu’on appelle des biais de raisonnement au sens où nous utilisons des heuristiques nous permettant de prendre des décisions rapides, mais très souvent peu rationnelles nous conduisant à faire des choix qui nous sont défavorables. La rationalité humaine est beaucoup plus limitée que nous le pensions. Notre capacité même de raisonner est extrêmement réduite et, dans bien des cas, nous évitons de le faire, préférant largement nous laisser guider par nos intuitions, fussent-elles parfaitement fausses.
L’intervention de beaucoup d’individus, notamment sur Internet, démontre qu’ils sont bien dans des biais de raisonnement. Ils sont aussi dans des biais de confirmation, préférant et accordant davantage d’attention aux informations confortant leurs opinions, au risque d’occulter les faits allant à leur encontre. Leur vision est réduite, ils ne prennent pas suffisamment de recul, cela démontre leur faiblesse à faire preuve d’humilité.
Les biais cognitifs des “BDSMistes” s’enfermant dans un monde virtuel, refusant d’entrer dans le monde réel du BDSM, refusant d’affronter le regard critique des pairs, préfèrent rester dans leurs croyances magiques. Cette capacité à générer des croyances magiques est extrêmement difficile à s’en débarrasser pour la simple raison que les processus cognitifs qui en sont responsables sont parfaitement inconscients, et le BDSMiste virtuel est un peu comme la rivière, il choisira toujours le chemin le plus facile pour écouler sa vie.
S’enfermer dans les jeux, s’enfermer dans des théories fallacieuses, sont des manières aisées d’occulter la réalité, une réalité qu’ils refusent d’admettre. Les jeux simplifient la vie, alors qu’en réalité, elle est complexe. Prendre conscience de la complexité d’un problème nous rend généralement plus ouverts à une diversité de points de vue et à une remise en cause de notre point de vue.
Douter de tout n’est pas forcément l’attitude la plus rationnelle, même s’il est vrai que la France est un des pays où le niveau de défiance est le plus élevé. Il est parfois plus simple de partir du principe que certaines idées sont probablement vraies, même si nous n’avons aucun moyen de les vérifier par nous-même. C’est une forme d’humilité que d’accepter des faits contre-intuitifs, mais consensuels au sein d’une communauté d’experts, ou d’une personne plus experte que nous.
Il faut apprendre à se méfier de nos intuitions et de nos conclusions hâtives que nous produisons naturellement.
Les personnes soumises, notamment la mienne, sont souvent soumises et/ou victimes des biais cognitifs. Elles peuvent vivre dans une scène de cordes, d’impact, ou autre, par exemple, l’effet de “l’escalator cassé” : le corps persiste à anticiper un mouvement et à adapter sa posture en vue de garder son équilibre, alors que l’esprit lui dit que ça ne sert à rien et que cela risque même d’entraîner une chute, ce qui joue des tours à leur self-control. Une personne dominante ou un encodeur dans la maîtrise de ce qu’il fait, pour faire vivre un “voyage” à la personne soumise ou encordée, peut justement aller jouer avec des biais cognitifs.
On pourrait définir la pensée critique à la manière d’Albert Piette (Ethnographie de l’action. L’observation des détails, 1996) par : apprendre à discipliner sa pensée. En déduire la définition de l’esprit critique par : apprendre à discipliner son esprit, pour cela, il faut mettre en œuvre des processus cognitifs.
Pour John Dewey, le philosophe pragmatique qui a inspiré le mouvement américain du “critical thinking”. Pour lui, l’esprit critique relève plutôt du jeu de coopération. C’est une politesse de la pensée, qui fait place à l’autre et prend au sérieux ses arguments, fussent-ils désagréables, pour les passer au tamis de la raison. « Cette attitude implique le réel désir d’entendre plusieurs points de vue, de porter attention aux faits, quelle que soit la source d’où ils proviennent, de reconnaître la possibilité de l’erreur même pour les croyances qui nous sont les plus chères », précise J. Dewey.
L’enjeu de l’esprit critique dans le BDSM n’est pas seulement d’explorer la vérité ; il est de préserver la liberté de tout un chacun. Il ne faut pas faire une société ou une communauté BDSM ou de cordes qui régresse dans le temps. Ce temps ou la religion imposait son joug et le politique muselait les dissidents. Tout le monde parle du consentement dans le BDSM, dans les cordes, mais imposer son joug, est-ce du consentement ? Tout comme personne ne doit imposer son joug ou museler ceux qui ne pensent pas comme nous.
Il y a un réel danger lorsque le débat fait place au relativisme des opinions, quand la critique se crispe en défiance ou en “bratitude” (qu’on soit Dom ou soum d’ailleurs), quand les vérités factuelles se retrouvent au même plan que les préjugés. Brouiller les esprits sur internet est aisé, cette oralité seconde favorise toutes les stratégies de “bratitude” et/ou de mainmise idéologique.
Peut-être que les guerres virtuelles ou réelles entre ancien et nouveau BDSMistes, ne sont en réalité qu’une différence d’esprit, de pensée critique.
Les anciens BDSMistes sont peut-être trop dans le rationaliste, dans les évidences rationnelles et ont du mal à prendre en compte dans leur pensée critique aux possibilités alternatives qu’offrent les différentes évolutions sociétales et BDSM. La non prise en compte du cœur dans l’esprit et la pensée critique, une approche trop intellectualisée et empathique.
Les nouveaux BDSMistes, eux sont peut-être trop dans un monde émotionnel et individualiste. L’esprit critique a une forme de dénonciation.
Je pense que la solution se trouve au carrefour des anciens et des nouveaux. L’esprit critique devrait avoir une forme d’exploration. La personne dominante devrait chercher à rendre sensible ce qui est n’est pas perçu, à mettre en partage des émotions (des joies et des colères), à orchestrer des échanges “vivants”. De cette manière, il devrait toujours encourager l’autonomie de pensée, la liberté de conscience, mais il doit tenter d’emporter les cœurs et les corps dans un voyage, dans une “transe” la personne soumise ou encordée.
Nous ne sommes pas médecins, nous n’avons pas pour rôle de sauver la personne soumise. Nous ne sommes pas dans un BDSM ou dans des cordes thérapeutiques. Il y a des personnes professionnelles, qui ont fait des études, qui ont des diplômes pour faire cela.
Adopter une attitude de résistance face à la simplicité, accepter la complexité sont de solides outils intellectuels pour développer notre pensée et esprit critique. Il faut adopter une posture plus humble s’agissant de nos propres convictions, et en même temps plus bienveillante, vis-à-vis des idées différentes, opposées aux nôtres, ou encore des analyses contre-intuitives de personnes plus expérimentées que nous. L’esprit critique est une discipline exigeante, à exercer vis-à-vis de soi et avec les autres.
Pas de vérité ni de liberté sans questionner les évidences…