L’engagement dans le BDSM ou dans une relation BDSM
Note 1 : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique, ils ont à la fois la valeur d’un féminin et d’un masculin.
Note 2 : Dans cet article, je vais essayer de vous parler de l’engagement dans le BDSM ou dans les cordes selon mon point de vue.
Qu’est-ce que l’engagement ? Engagement vient du suffixe “en” -> dans, avec le radical “gage” -> exprimer un avis avec une promesse et le suffixe “ement” -> qui exprime une action. L’engagement, c’est se lier par une promesse qui doit être exécutée, par une convention, codification qui doit être respectée.
Ça c’était avant…
L’engagement hier qui avait une notion de militantisme, d’intellectualisation engagée, d’un syndicalisme acharné, qui était communautaire, collectif, s’est orienté aujourd’hui vers une individualisation.
L’engagement hier avait une mise en forme autoritaire et autorisée, il était codé, communautaire. Il exprimait une vocation (mouvement intérieur ressenti comme un appel, se consacrer à). Aujourd’hui la crise de vocation est devenue une crise d’évocation (action d’appeler, de faire venir). Les individus n’attendent plus les effets de l’engagement sur le monde, mais les effets de l’engagement pour soi. On retrouve aussi fréquemment dans le monde BDSM l’engagement sous une forme d’invocation (appeler à son secours, à son aide), ce que j’appelle le BDSM thérapeutique, je ne parlerai pas ici de cette forme..
Aujourd’hui…
De cet engagement sous forme de convocation de la raison, c’est devenu l’expression d’une motivation. L’autorité des engagements traditionnels a laissé la place à la sincérité de l’engagement individuel. “Toutes les feuilles de vigne sont fanées. Il ne nous reste plus que la sincérité” Gombrowicz, 2001. Sincère sur le plan individuel, mais sceptique collectivement, l’engagement a changé d’expression. Il est désenchanté pour ne pas dire désabusé.
L’engagement craint la statique de l’institution, de l’autorité, lui privilégiant la dynamique de l’intuition. Mais que ce soit par vocation ou par motivation, l’engagement n’en demeure pas moins l’expression la plus haute de notre liberté. Mis-à-part notre liberté, que met-on d’autre en gage dans l’engagement ?
L’étymologie rappelle que l’engagement suppose de “mettre quelque chose en gage”, l’engagement n’est donc pas gratuit. Il coûte, il est coûteux, voire onéreux. Le prix à payer de l’engagement, c’est la mobilisation de sa liberté.
D’une société aujourd’hui procédurière avec une forte demande de prise d’initiative, naît un énorme paradoxe. Comment prendre de l’initiative si demain je me fais attaquer en justice suite à mon initiative ? Il est vrai que l’obédience peut aisément paralyser l’esprit d’initiative, comment demander à une personne soumise d’être active dans sa soumission et d’avoir de l’initiative ? Comment dans une obédience peut-on mobiliser l’engagement individuel ?
La dérive de l’engagement dans la tentative de vivre la liberté, est d’ouvrir les portes à la tentation de se prendre pour une “incarnation de la vérité”. “Incarnation de la vérité” que l’on retrouve assez fréquemment sur les réseaux sociaux.
Et la raison ?
L’engagement se trouve toujours tiraillé entre la raison d’agir et l’envie d’agir, ce qui peut aisément engendrer une tension chez la personne soumise. Si les envies d’agir nous poussent vers l’activisme, les raisons d’agir nous interrogent sur les valeurs des envies d’agir.
L’engagement ouvre le temps aussi, car il nous permet d’entrer. L’engagement ouvre une brèche dans la clôture des possibles que signent nos certitudes et ce par sa puissance de libération. “Reprise de l’initiative, il sera peut-être la chance d’un à venir. Porteur de la puissance de l’impulsion, il coupe court aux tergiversations, sans nécessairement savoir où il va” … “De l’envie de s’engager aux raisons de s’engager, la conséquence n’est pas nécessairement bonne” Jean-Philippe Pierron, 2006.
Et la motivation ?
Au niveau de la motivation dans l’engagement, il y a les envies d’agir. Les raisons d’agir les informeront et les mettront en forme. La motivation, quant à elle, questionne l’engagement sur le terrain du passage à l’acte. Dans ce passage à l’acte, la puissance de soi va devoir faire taire la résistance du réel, les raisons d’agir pourront nous faire prendre conscience des conduites à risque.
Entre les motivations et le BDSM, il y a la capacité de se projeter dans le temps. Aussi, ne pas élever ses motivations a pour effet de voir le passage à l’acte, au lieu de se faire projet d’engagement dans le BDSM, se fait projection sur soi-même dans des conduites à risque.
La force de l’engagement dans le BDSM se mesure “sur le tas”, c’est dans sa mise en œuvre qu’on constate l’engagement. Il est ainsi pris entre une spontanéité mal contrôlée, l’impulsivité, la fougue et l’expertise rationalisée, maîtrisée, contrôlée. L’engagement relève d’une logique du risque, là où la maîtrise, le contrôle relèverait d’une logique de l’assurance.
Et la fidélité ?
Il y a forcément des mobiles et des motifs psychiques puissants dans l’envie d’agir, ce qui engendre indubitablement une audace ! On trouve dans l’engagement, la mesure de la raison, une forme de motricité de la spontanéité, il faut être motivé ! Le souci dans le BDSM étant d’inscrire cette spontanéité dans le temps, afin d’atteindre la fidélité.
L’engagement suppose d’être volontaire. Mais ce dernier se parodie lorsque, prenant la forme pour le fond, l’engagé se fait obstiné, entêté et borné. La volonté se fait alors tyrannique et déraisonnable. La fidélité à une promesse faite de s’engager, “îlot de certitude dans un océan d’incertitude” (Arendt), ne se confond pas avec l’obstination exaltée de qui croit être l’incarnation définitive de la vérité ni avec l’intransigeance du têtu. Il ne faut pas tenir son engagement sous prétexte qu’on a dit qu’on le tiendrait. L’engagement dans le temps connaît des évolutions, des changements. Tenir son engagement revient alors le renouveler en tenant compte des circonstances, et ce n’est pas le “retourner sa veste” par opportunisme !
Conclusion
L’engagement dans une relation BDSM doit conduire à un activisme maîtrisé, contrôlé et non à un emportement, une agitation, un divertissement, à l’apathie d’un léthargique, à une tergiversation sempiternelle due aux indécisions de la conscience.
L’engagé dans une relation BDSM, dans une soumission est un décidé parce qu’il s’est décidé. Il ne faut et ne peut pas prendre les ratiocinations (action de raisonner d’une façon subtile et pédante (wikipédia)) de l’indécis pour des raisons !
Les raisons de s’engager, dans une relation BDSM, imposent une explicitation des finalités de l’action dans un projet, mais exigent également une vigilance critique. À l’intelligence de l’engagement doit faire écho l’exigence de la lucidité.
On tient son engagement dans le BDSM, dans une soumission parce que c’est le sceau d’une liberté d’être, d’agir, de vivre. L’engagement dans le BDSM, dans une soumission n’est pas renoncement à la liberté, comme le pense l’inconséquent, le versatile ou le capricieux. Ce dernier croit, à tort, qu’être libre, c’est faire ce que l’on veut dans l’inconstance du caprice.
Source : Jean-Philippe Pierron