Un don sans contre-don, donc sans dette dans le BDSM ou dans les cordes
Note 1 : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique, ils ont à la fois la valeur d’un féminin et d’un masculin.
Note 2 : Dans cet article, je vais essayer de vous parler du don sans contre don, donc sans dette dans le BDSM ou dans les cordes selon mon point de vue.
Il est aisé de penser, même de voir dans le BDSM que le Top (Dominant ou Maître) donne et que le bottom (soumis ou esclave) reçoit. Le Top donne, car c’est lui qui “fait”, il est l’émetteur de l’action, de l’attitude et du comportement, la raison pour on dit fréquemment que le Top éduque sa bottom. Le bottom reçoit, car il est le récepteur de l’action, le récepteur de l’éducation. Quant à l’origine de l’action, le Top, bien évidemment est à l’origine, puisqu’il est le décideur, mais le bottom peut aussi être à l’origine de l’action, il peut provoquer l’action. On retrouvera ce principe aussi dans les cordes.
Dans la forme primitive du BDSM ou des cordes : le Top donne, le bottom reçoit ; l’encordeur donne, l’encordée reçoit. Une forme que j’ai défini aussi comme étant le gaming. Si l’on regarde le BDSM plutôt par une approche playing, on remarquera que le Top, l’encordeur, comme le bottom ou l’encordée se donne. Donner dans la forme gaming, c’est donner quelque chose ; donner dans la forme playing, c’est se donner dans ce que l’on donne.
Don avec contre-don, don avec dette
Dans les sociétés traditionnelles, la plupart du temps, un don entraîne un contre-don, il y a une force culturelle, sociale, judéo-chrétienne dans la chose qu’on donne, qui fait que le donataire la rend. Le don se retrouve-là enfermé dans un carcan utilitarisme et des lois économiques (lois du marchés).
Dans la forme gaming du BDSM ou des cordes, l’échange entre les protagonistes est bel et bien dans une forme utilitariste, une forme de matérialisation des relations sociales.
Dans la forme playing du BDSM, la raison profonde de l’échange-don vise davantage à être qu’à avoir.
Dans le gaming, ce sont les individus qui relient le groupe, alors que dans le playing, ce sont les échanges. Les échanges portent davantage sur des biens symboliques dans le playing, alors qu’ils porteront sur des biens matériels dans le gaming.
Dans les réunions de gamers, dans un groupe de gamers, on trouvera une forme de compétition dans le don/contre-don. Une forme de surconsommation, d’hyperconsommation qui malheureusement mènera assez rapidement à la destruction. Leur honneur, leur fierté, leur orgueil, leur prétention, leur égo sont en jeu, ainsi que leur rang dans la réunion ou dans le groupe. La hiérarchisation dans le couple BDSM ou dans le couple de cordes se fera assez naturellement, car le don exprime toujours une supériorité du donateur sur le donataire. Le don façonne dans ce type de relation la dette. Le don et le contre-don crée du lien social et simultanément de la différence sociale. Le but principal de ces échanges dans le gaming n’est pas l’accumulation de richesse ou l’évolution de la maîtrise mais la conquête et la confirmation du prestige et de l’honneur.
La logique de cet échange chez les gamers vise à toujours donner plus dans l’idée de rompre la réciprocité du don et retourner la situation à leur profit. La pérennisation d’un tel déséquilibre est aux sources même du “pouvoir sur”.
Derrière des pratiques d’apparente maîtrise, générosité, gratuité et liberté se cache un cadre très strict de règles et codes sociaux qui oblige à donner, à recevoir et à rendre. Le refus de donner, recevoir ou rendre signifierait une rupture des rapports sociaux. Refuser de donner, négliger d’inviter, comme refuser de prendre, équivaut à déclarer son infériorité et “être un petit joueur” ; c’est refuser la communion, donc la connexion.
Ne pas pouvoir rendre, ou ne pas pouvoir rendre à la hauteur de ce que l’on a reçu, c’est aussi se maintenir dans une position d’infériorité vis-à-vis du donateur, tel que l’a exprimé Marcel Mauss : “La sanction de l’obligation de rendre est l’esclavage pour dette” (Mauss, 1968). Ne pas pouvoir donner suffisamment c’est perdre son rang et tout le prestige qui y est associé.
Le don est à la fois ce qu’il faut faire, ce qu’il faut recevoir et ce qui est cependant dangereux à prendre. En effet, lorsque le donateur (Top ou encordeur) donne, que le donataire (bottom ou encordée) reçoit et qu’il accepte de prendre alors ce dernier se retrouve avec une dette, et cette dette sous-tend la notion de crédit. Si le donateur (Top ou encordeur) fait durer la scène ou la corde, en laissant durée dans le temps l’aftercare, ce délai implique un accroissement proportionnel de la dette.
Pourquoi rendre après avoir reçu ?
Qu’est-ce qui oblige le bottom ou l’encordée à rendre après avoir reçu ? Dans aucune règle, contrat, code ou principe BDSM ou de cordes, le bottom ou l’encordée à l’obligation, le devoir de rendre. Il semblerait que ce soit “l’esprit de la chose donnée” qui obligerait à rendre. Ce qui oblige, c’est que ce qui est reçu n’est pas inerte, même si c’est donné, donc abandonné par le Top ou l’encordeur, cela est et reste quelque chose de Lui, une part de Lui ! Ce qui est donné ne cesse jamais d’appartenir à celui qui a donné, un lien qui est impossible à sectionner, même si la chose donnée disparaît, ce lien mental demeurera toujours, une ancre qui relie le donnataire ou donateur (tel défini dans la PNL : Programmation Neuro-Linguistique). Tel que le dit Mauss : “présenter quelque chose à quelqu’un, c’est présenter quelque chose de soi (Mauss, 1968) ; et un peu plus loin “On comprend donc clairement et logiquement, dans ce système d’idées, qu’il faille rendre à autrui ce qui est en réalité parcelle de sa nature et substance”.
Celui qui donne rend donc dépendant celui qui reçoit. Il devient nécessaire lorsque le Top ou l’encordeur d’un couple BDSM ou de cordes sollicite une tierce personne pour faire vivre une situation (chose) à la personne soumise ou à l’encordée du couple, de faire entrer vers la fin de la scène ou de la corde le Top ou l’encordeur du couple, afin de donner la dette de la personne soumise ou de l’encordée au Top ou à l’encordeur du couple. Ainsi ce n’est plus la personne soumise bottom ou l’encordée qui a une dette, il n’y a plus cette notion de crédit pour la personne soumise ou l’encordée. Le Top ou l’encordeur prend donc ce crédit à sa charge, il garde donc son “pouvoir pour” faire vivre des situations (choses) à sa personne soumise ou encordée.
Un player fera entrer le Top ou l’encordeur du couple dans la scène ou dans la corde, alors qu’un gamer ne le fera pas entrer. Le gamer cherche le jeu et s’il est dominant, il cherchera à dominer le couple et il prendra aussi son plaisir dans le crédit que la personne soumise ou encordée aura. Crédit qui génèrera souvent un malaise chez la personne soumise ou encordée. Malaise qui peut même conduire à accepter un acte de nature sexuelle. la scène ou la corde dans ce cas aura été toxique.
Don sans contre-don, donc sans dette
Dans le don, il ne s’agit pas d’avoir pour avoir mais d’avoir pour être !
Pour éviter la dette, il ne faut pas donner, il faut se donner, là est toute la différence. Dans le fait de “se donner” on n’attend pas de retour , ainsi on ne crée pas de dette.
Lorsqu’on se donne, on sort d’une forme de relation égocentrée, on entre dans une relation allocentrée, le donataire n’a plus de dette, donc plus de crédit, on lui laisse le choix de se donner à son tour on non, et on accepte son choix. On crée donc une scène ou une corde sans dette.
Source : Marcel Mauss