De la dépendance vers l’allonomie (2ème volet)
Note 1 : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique, ils ont à la fois la valeur d’un féminin et d’un masculin.
Note 2 : Dans cet article, je vais essayer de vous parler de la dépendance, de l’allonomie, de l’hétéronomie et de l’autonomie dans le BDSM selon mon point de vue.
Note 3 : Cet article fait suite à celui sur l’emprise dans le BDSM
Les situations de dépendance existent dans le BDSM, il ne faut pas se voiler la face. Pour faire l’expérience de l’allonomie, il faut d’abord conscientiser l’état de dépendance dans lequel la soumise arrive lorsqu’elle choisit une personne Dominante et que cette dernière accepte sa soumission.
Allonomie dans le sens où le Dominant ou la soumise ne prennent pas leurs propres lois, règles :
- Le Dominant prend les règles et loi de la relation qu’il y a entre la soumise et lui. Le “autre” (allo) signifiant que ce ne sont pas ses propres lois et règles, mais celles de la relation, le “autre” étant la relation.
- La soumise prend les règles et loi du Dominant, le “autre” (allo) signifiant que ce ne sont pas ses propres lois et règles, mais celles du Dominant.
Entrer dans une relation BDSM, c’est créer une différence significative. Celle-ci survient lorsque des comportements humains se transforment. Pour un BDSMiste dans une relation BDSM, il y a une recherche constante de mieux comprendre l’autre pour faire évoluer la connexion et réaliser des œuvres qui comptent, à savoir des œuvres qu’un Homme n’aurait pu réaliser seul.
Les concupiscences
Etymologie : concupiscence vient du latin concupiscentia : convoitise (concupiscere : convoiter).
Selon Pascal, La concupiscence naît avec le péché d’Adam, avec l’amour de la créature qui se substitue à l’amour de Dieu. C’est le contraire de la charité.
Au départ des trois concupiscences, se trouve une citation de saint Jean, dans la Première épître (II, 16) : “Car tout ce qui est dans le monde est ou concupiscence de la chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil des yeux”, dans la traduction de Lemaistre de Sacy.
Saint Augustin posa l’équivalence de la triade de saint Jean avec les trois formes que peut prendre la libido, ou le désir : convoitise de la chair (libido sentiendi), convoitise des yeux, c’est-à-dire curiosité de savoir (libido sciendi), et convoitise de la puissance (libido dominandi).
Le terme “concupiscentia” est très proche de celui de “cupiditas“ ou “cupido” pour exprimer un désir qui porte l’âme vers un bien absent ; et déjà deux précisions s’imposent sur l’usage, soit de “desiderium”, soit de “cupido” en rapport avec “concupiscentia”.
En français, le désir comme la concupiscence s’adressent toujours, l’un et l’autre, à un objet absent ou futur : on ne désire plus ce qu’on possède ; on n’en a plus la “convoitise”. Il n’en était pas de même en latin pour les deux termes desiderate et cupere : c’est ce qui ressort des explications d’Augustin : (concupivit anima mea desiderate iustificationes tuas ? (Convoiter (concupiscere), est-ce autre chose que désirer ?). Il explique que la convoitise (concupiscentia) peut comporter un désir, mais pas toujours : La concupiscence, en effet, se porte et sur ce qu’on a et sur ce qu’on n’a pas ; car c’est par la concupiscence que l’on jouit des choses que l’on a ; mais par le désir, on convoite ce qu’on n’a pas. Qu’est donc le désir sinon la convoitise ou concupiscence de ce qu’on n’a pas ?
Dans la concupiscence, il y a un mouvement affectif vers l’objet s’il est absent ; mais la concupiscence demeure, si l’objet est présent, pour en jouir et le savourer.
Avec le temps, la concupiscence a perdu sa notion de “desiderium”, il ne reste plus que la notion de “cupiditas” ou “cupido”, il devient synonyme de convoitise, il sera donc rangé, classé dans la catégorie du mal moral. Il désigne donc un penchant libidineux, il évoque donc les plaisirs de la chair.
Une des conséquences de la concupiscence est la mise en rapport avec la connaissance et avec le jugement de la raison, car dans notre société, seul un tel jugement donne à l’acte humain sa valeur morale.
On voit ainsi apparaître un rapprochement entre le BDSM et les concupiscences, des concupiscences découlent tous les vices de la personne Dominante. Les 3 sources de la corruption de la personne Dominante.
La concupiscence de la volonté, libido dominandi (orgueil, puissance)
Convoitise de la puissance !
C’est la tentation du pouvoir, la volonté de puissance, elle est au principe de toutes les concupiscences, puisque le péché originel a été un péché d’orgueil, une rébellion orgueilleuse contre Dieu. On retrouve ici l’analyse pascalienne de la grandeur et de la force : l’orgueil des grands, comme celui des riches, consiste dans l’idée qu’ils se font de leur force.
Concupiscence de la chair, libido sentiendi
Convoitise de la chair !
C’est la tentation du plaisir, un désir déréglé de volupté.
Concupiscence de l’esprit, libido sciendi (curiosité)
Convoitise des yeux !
C’est la volonté excessive de savoir, non pas la volonté de connaître les sciences légitimes, mais de connaître ce qui n’est pas destiné à être connu de l’homme (vice moral, la curiosité est une vertu intellectuelle quand elle s’exerce à bon escient). La mauvaise science recherche la connaissance des vérités divines, lesquelles ne sont pas faites pour l’esprit humain parce qu’elles dépassent ses capacités naturelles. On ne doit pas chercher à pénétrer les secrets de Dieu : eritis sicut dii scientes bonum et malum, « vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal », dit le serpent à Ève pour la tenter, dans la Genèse (III, 5, trad. Lemaistre de Sacy).
La différence significative
La personne Dominante doit lutter contre elle-même, pour ne pas faire de l’autre un objet de réalisation de son désir, ou sa volonté de gouverner est toute entière contenu dans sa libido dominandi, cette envie de dominer qui le taraude depuis bien souvent des années.
Créer une différence significative consiste à être conscient de ce qui nous anime, de nous départir des visées instrumentales posées sur l’autre et d’adopter un comportement d’allonomie. L’allonomie est l’opposé de l’autonomie. L’allonomie c’est se tourner vers les autres créer avec eux une forme d’interdépendance voulue pour progresser ensemble. Ce point est excessivement difficile car cela nous fait abandonner la totale maîtrise de nos actes pour s’en reporter à l’impact des actes de l’autre.
Pour aller vers l’allonomie, il faut abandonner les pratiques manipulatoires et l’adoption de comportements pro-sociaux (actes volontaires dirigés vers autrui dans le but de lui apporter un bénéfice ou d’améliorer son bien-être. Aider, partager, consoler, réconforter -> le sauveur dans le triangle de Karpman (triangle dramatique)). Se mettre à rechercher et faire grandir l’œuvre connective, relationnelle plutôt que sa seule autonomie et son pouvoir d’agir fait partie de ces différences significatives. Comment parvenir à abandonner ses ambitions et sa sécurité pour la connexion, la relation ? C’est bien un enjeu nouveau qui se met en place dans une nouvelle relation BDSM !
L’autonomie
Un des grands mythes fondateurs de la modernité est celui de l’autonomie. Dans la Grèce antique, était autonome une cité souveraine, c’est-à-dire une cité qui se donnait ses propres lois plutôt que de les recevoir d’une autre ou d’un empire étranger. Idée politique associée à la liberté et opposée à l’esclavage, Kant reprendra la notion d’autonomie à Rousseau pour lui insuffler un sens proprement philosophique, en lui opposant celle d’hétéronomie. Kant rappelons-le, définissait l’Aufklärung, c’est-à-dire le projet de la modernité, comme le devenir adulte de l’Homme, sa “sortie hors de l’état de minorité”, c’est-à-dire de l’enfance, par l’exercice de sa raison, à distance des dogmes religieux et politiques imposés de l’extérieur. L’autonomie, littéralement “se donner ses propres lois” est donc, chez Kant, le projet de sortie de l’hétéronomie, à savoir d’un état de dépendance dans lequel les lois proviennent de “l’extérieur”. De projet strictement politique, l’autonomie est devenue le projet global de la société et du sujet modernes définis contre “l’esclavage” hétéronome de la religion et de la pensée théologico-politique.
L’autonomie désigne la capacité d’un individu à se gouverner soi-même, selon ses propres règles. Elle fait référence aux propriétés d’une entité qui est capable de fonctionner de manière indépendante, sans être dirigée et contrôlée de l’extérieur.
Le souci dans le BDSM étant que l’autonomie pousse les individus vers l’individualisme, et du coup, cela repousse la connexion et l’allocentrisme !
L’hétéronomie
L’hétéronomie est le fait de ne pas être autonome, de subir, d’être influencé par des facteurs extérieurs ou par le milieu environnant. C’est l’état d’un groupe ou d’un individu qui se soumet à des règles ou à des lois extérieures.
Inversement à l’autonomie, l’hétéronomie est l’incapacité à établir ses propres lois et à se gouverner d’après elles.
En philosophie, chez Emmanuel Kant, l’hétéronomie est le caractère de la volonté quand elle se détermine en fonction de principes extérieurs à elle-même. Il l’oppose à l’autonomie qui est la capacité de se donner à soi-même ses propres lois, ce qu’on ne peut valablement concevoir que dans le domaine de la liberté morale.
L’allonomie
C’est l’obéissance à des lois externes, c’est-à-dire à ce qui ne relève pas de notre libre arbitre. Mais ces lois sont bien perçues comme externes, c’est-à-dire qu’on peut s’y soumettre, les choisir, les subir, ou les contester.
Forcément que la soumise qui entre dans une nouvelle relation avec une personne Dominante, entre par la porte de l’hétéronomie. Elle est donc dépendante de la personne Dominante. Un des travaux qu’aura la personne Dominante sera de lui donner les moyens de quitter son cycle de la dépendance et de guider la personne soumise à travers les différentes étapes de la dépendance (dépendance, contre-dépendance, indépendance, interdépendance) pour lui permettre d’accéder à l’allonomie.
Suite dans un prochain article : le cycle de la dépendance
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