Bondage, théorie érotique des cordes et de l’attachement, de Magali Croset-Calisto
Article copié de http://www.lelitteraire.com/?p=32291 écrit par
Jean-Paul Gavard-Perret
Invitation au bondage
Grâce à des artistes
comme Misungui Bordelle, le bondage sort peu à peu de sa subversion
et de son confinement. Certes, la pratique japonaise inventée au
XVème siècle reste encore sulfureuse et parfois incomprise. Un
certain féminisme n’y retrouve pas ses marques. Le nouage de cordes
sur un corps est pourtant un jeu d’équilibre entre partenaires
consentants. Ils choisissent le scénariser leurs fantasmes
érotiques selon des règles saines, sécuritaires et consenties pour
inventer de nouvelles propositions et articulations charnelles.
Une telle pratique ouvre des perspectives sur ce qu’on nomme
attachement ou lien. La corde qui enserre la peau crée une
inscription et une sculpture. Comme le rappelle Magali
Croset-Calisto, certains psychiatres ont théorisé cette expérience
artistique et existentielle. John Bowlby a montré combien ce «
montage/montrage » par delà l’expérience du plaisir et de la douleur
permet une sorte d’acuité de la conscience. L’acte de contention crée
une révélation que le rituel entretient et renforce. Toute une
esthétique du pli, de l’écartement, de la distorsion par effet de
sillons imprime le corps. Se produit ce que l’auteure nomme « un exosquelette de cordes ». Celles-ci boursouflent le corps. Immobilisé, il vit d’une autre vie et selon d’autres données.
Le « pillow-book » — de
même origine culturelle mais pour lequel la peau n’est que surface —
se transforme en sculpture. Elle appelle à son horizon un autre type
de rapport à l’autre. Celui-là vient au besoin combler la vacuité des
relations dites normales par une écriture proche de l’incision mais
qui laisse le corps indemne. Sa matière intacte s’ouvre à une autre
interprétation. Entre celle ou celui qui ligote et sa ou son
partenaire apparemment plus passif se crée un dialogue. Dans le
silence, les gestes remplacent les mots en une reconstruction ludique
et amoureuse. Une communication nouvelle s’instaure au sein d’une
telle cérémonie. La chair s’exhausse au moment même où les
communications numériques éloignent des partenaires qui se
contentent de faire l’amour de manière virtuelle.
Existe donc un retour aux sources. Il est sans doute exacerbé et
demande en conséquence aux participants un équilibre mental sans
quoi le jeu est tronqué. La quête d’un contact perdu se réalise là où
le lien matériel devient l’outil capable d’explorer de nouvelles «
articulations » amoureuses jusque là inconnues. Une poétique de
l’espace et des volumes devient l’invitation au voyage.
jean-paul gavard-perret
Magali Croset-Calisto, Bondage, théorie érotique des cordes et de l’attachement, Editions La Musardine, 2017.