BDSM mental ou D/s : théories de l’attachement et caregiving
Note 1 : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique, ils ont à la fois la valeur d’un féminin et d’un masculin.
Note 2 : Dans cet article, je vais essayer de vous parler du BDSM mental ou de la D/s en utilisant les théories de l’attachement et le caregiving dans le BDSM selon mon point de vue.
Je tire l’origine de cet article dans la « théorie de l’attachement » dans les travaux portant sur la psychologie de l’attachement chez l’enfant, selon le modèle pionnier de John Bowlby (1907-1990).
Pour sortir de ce pattern de l’attachement et du caregiving (le caregiving constitue le “prendre soin”, voir plus loin) qui décrit une soumission passive. Il suffit que la personne bottom (soumise ou esclave) soit dans une soumission active, c’est à dire qu’elle assume, qu’elle prenne ses responsabilités, qu’elle fasse preuve d’initiative, qu’elle ne soit pas sans cesse dans l’attente qu’on s’occupe d’elle, qu’on prenne soin d’elle…
La personne bottom (soumise ou esclave), en réaction aux interactions avec son Top (Dominant ou Maître), développe des représentations cognitives (mentales) d’expériences d’attachement concernant le soi et les autres :
- Les représentations de soi concernent le jugement de la personne bottom (soumise ou esclave) quant à son mérite de recevoir de l’aide et du réconfort.
- Les représentations des autres concernent la perception de la disponibilité des autres, dont son Top (Dominant ou Maître), de fournir protection et réconfort en cas de besoin.
Si le Top (Dominant ou Maître) répond de manière consistante aux besoins de la bottom (soumise ou esclave), cette dernière développe un style d’attachement sécure. Le modèle mental ainsi développé dans le temps aurait tendance à persister tout au cours de sa relation avec son Top (Dominant ou Maître) et guiderait les attentes, les perceptions et les comportements dans les relations ultérieures, d’où l’extrême difficulté pour une personne bottom (soumise ou esclave) de trouver un nouveau Top (Dominant ou Maître) après une première expérience.
Les individus ont un ensemble de systèmes innés de comportements ou systèmes motivationnels favorisant les relations et qui sont corrigés quant au but par la réponse de l’environnement.
Le système d’attachement favorise la proximité de la personne bottom (soumise ou esclave) avec autrui afin d’obtenir un réconfort lui permettant de retrouver un sentiment de sécurité interne face aux éventuels dangers de l’environnement. Ainsi, toutes les conditions indiquant un danger ou générant du stress pour la personne bottom (soumise ou esclave) activent ce système que ce soient des facteurs internes, comme la fatigue ou la douleur, ou des facteurs externes, liés à l’environnement (tout stimulus effrayant, par exemple la présence d’étrangers, la solitude, l’absence de la figure d’attachement).
Finalement ce système semble plutôt constamment activé, corrigé en permanence quant à l’objectif à atteindre, comparable au fonctionnement d’un thermostat : sous certaines conditions, le système d’attachement est fortement activé, ce qui conduit la personne bottom (soumise ou esclave) à chercher et à n’être satisfait que par le contact ou la proximité avec la figure d’attachement.
En revanche, lorsque les conditions sont perçues comme normales, la personne bottom (soumise ou esclave) est libre de poursuivre d’autres buts et d’autres activités, même si le système continue de contrôler l’environnement comme possible source de stress.
Le système d’attachement est actif tout au long de la relation avec son Top (Dominant ou Maître), plus ou moins stable au sein d’un environnement plus ou moins fixe : seuls les comportements spécifiques utilisés changent en fonction du développement (N. Guédeney, 2009).
Les comportements d’attachement
Pour obtenir cette proximité, la bottom (soumise ou esclave) use de divers comportements innés tels que le sourire, les vocalisations, les cris, le fait de s’agripper, les pleurs… Ces comportements, bien que latents ou présents, ne sont pas encore dirigés vers une figure particulière et apparaissent plutôt indifférenciés mais orientés dans un premier temps.
Mais, lorsqu’elle ressent un certain réconfort lui permettant de trouver ou de retrouver un sentiment de sécurité avec une personne Top (Dominant ou Maître), son attitude et comportement vanille va s’effacer pour laisser place à son attitude et comportement soumise ou esclave.
Quand elle prend conscience que lorsque la personne Top (Dominant ou Maître) quitte la pièce, elle perd son sentiment de sécurité, elle perd cette “chaleur” qui réchauffait son coeur et rassurait son esprit, elle cherchera à attirer son attention afin de le ramener auprès d’elle.
La personne bottom (soumise ou esclave) trouve une forme de quiétude en présence de cette figure d’attachement principale qui est son Top (Dominant ou Maître).
C’est la répétition des expériences de réconfort en situation de détresse qui permet l’émergence progressive d’une meilleure discrimination par la personne bottom (soumise ou esclave) de sa figure d’attachement.
Le système exploratoire
Quand le système d’attachement n’est plus activé, que la personne bottom (soumise ou esclave) est rassurée alors entre en jeu le système exploratoire grâce auquel la personne bottom (soumise ou esclave) apprend sur son environnement et développe des capacités qui seront importantes pour les stades ultérieurs de son développement dans sa soumission auprès de sa personne Top (Dominant ou Maître).
Ce système se développe surtout à partir d’une certaine confiance gagnée. La période, nécessaire à l’obtention de cette confiance, correspond à la mise en place du système d’attachement et à la constitution de cette figure d’attachement spécifique. Avec cette confiance installée, la personne bottom (soumise ou esclave) peut s’éloigner pour explorer et étendre ainsi considérablement son horizon, sa soumission.
Une fois cette confiance installée, elle peut développer, étendre une relation d’attachement, franche et sélective, à une personne spécifique : son Top (Dominant ou Maître).
La figure d’attachement est la personne vers laquelle la personne bottom (soumise ou esclave) dirige son comportement d’attachement. Est susceptible de devenir une figure d’attachement toute personne Top (Dominant ou Maître) qui s’engage dans une interaction sociale et durable animée avec elle, et qui répondra facilement à ses signaux et à ses approches. Ce qui engendre une extrême difficulté pour la personne Top de ne pas se laisser entraîner :
- dans une “doumination” pour le Top (inversement des rôles entre le Top et la bottom, le Top devenant soumis aux signaux et approches de la bottom) ;
- dans une “soumination” pour la bottom (inversement des rôles entre la bottom et le Top, la bottom prenant les rennes de la relation en utilisant le Top afin qu’il réponde à ses envies et besoins).
On peut repérer dans le réseau social de la personne bottom (soumise ou esclave), les figures d’attachement ayant une fonction de “caregiver“ (Le caregiving constitue le “prendre soin”, voir plus loin) à partir des trois critères suivants :
- Il s’agit d’une personne prenant soin physiquement et émotionnellement d’elle ;
- Il s’agit d’une personne ayant une présence importante et régulière dans sa vie ;
- Il s’agit d’une personne s’investissant émotionnellement.
Ces trois critères définissent un Top (Dominant ou Maître) orienté vers une relation allocentrée et non égocentrée ou nynégocentrée.
La bottom (soumise ou esclave) va développer une hiérarchie dans ses relations d’attachement ; celle-ci s’établit en fonction de la force du sentiment de sécurité que lui apporte chaque relation avec ceux qui s’occupent d’elle, liée à la quantité et à la qualité des soins donnés.
Le plus souvent, la personne Top (Dominant ou Maître) qui sera en haut de cette pyramide hiérarchisée deviendra la figure d’attachement principale, deviendra son Top (Dominant ou Maître) parce que c’est celui qui, autour des soins de routine, passe le plus de temps avec elle dans les premiers temps.
La personne bottom (soumise ou esclave) a une tendance innée à s’attacher spécialement à une figure, sa figure d’attachement privilégiée. Ce qui explique la raison pour laquelle les personnes bottoms aient beaucoup de mal à accepter les relations non exclusives, la non exclusivité sera interprétée comme une absence de réciprocité sur les émotions ressenties, sera interprétée comme le fait que la bottom soit une bottom quelconque et non la figure d’attachement du Top.
Les autres figures qui l’élèvent (les autres Top dans sa pyramide hiérarchisée) représentent les figures d’attachement subsidiaires ; en cas d’absence de son Top, la bottom se tournera préférentiellement vers les autres Tops pour rechercher sécurité et consolation. Le délaissement de la bottom la poussera dans les bras d’un autre Top.
Ainsi, toute personne qui s’engage dans une interaction sociale durable avec une bottom et qui répond aux besoins de réconfort de celle-ci lorsqu’elle est stressée, est susceptible de devenir une figure d’attachement, donc son Top.
La sensibilité avec laquelle un Top (Dominant ou Maître) répond aux besoins exprimés par une bottom (soumise ou esclave) conditionne la sécurité de l’attachement de cette dernière.
Cas particulier de l’ABDL, du Kidult et de l’adulescent
L’ABDL (Adult Baby Diaper Lover) est un abandon de soi, une immersion sensorielle dans un état régressif de dépendance à l’état de bébé. Une recherche donc pour la bottom de tendresse, de douceur et de câlins.
On retrouve parmi les états émotionnels de la personne bottom : la jalousie excessive, les caprices, le centre permanent et exclusif ainsi qu’une “boulimie” d’attention, une guerre impitoyable envers toutes personnes qui s’approchent du Top, des envies de régression, une recherche perpétuelle du paradis perdu de la petite enfance, la satisfaction impérative de ses envies et désirs, une libération de toute contrainte, une déresponsabilisation de ses actes.
Le port d’une couche recrée l’épaisseur et la protection qu’on prodigue à un enfant, à un bébé. Le biberon et la couche symbolisant et permettant une régression à l’état de bébé, démontrant un manque affectif subi par la bottom.
Idem avec les tenues d’adolescent, qui eux démontrent un état émotionnel d’adulescent (prolongement de l’adolescence en dépit de l’entrée dans l’âge adulte).
L’adulescence est le prolongement diffus de la crise d’adolescence, fait de tendances régressives “autorisant” l’immaturité psychosociale. L’adulescence est une adolescence perpétuelle consistant à renoncer à être adulte.
Ce comportement exprime une recherche d’indulgence et de complaisance de manière intemporelle, la bottom refusant de vieillir, étant dans une recherche perpétuelle de jeunesse.
Le concept d’adulescent se rapproche du kidult anglais, qui désigne un adulte aux goûts enfantins, et non particulièrement adolescents.
On retrouvera dans l’ABDL, le Kidult ou l’adulescence cette recherche d’attachement et de caregiver de la personne bottom.
Cas particulier du RolePlay et du PetPlay
De la même façon qu’on retrouve les notions d’attachement dans l’ABDL, le kidult et l’adulescence, on retrouve ces notions d’attachement dans le RolePlay (Les BDSMistes peuvent jouer n’importe quel type de situation. Les possibilités sont illimitées :Médecin ou infirmière et patient, Enseignant et étudiant, Patron et employé, Propriétaire et femme de chambre, Policier et criminel, Adulte et enfant, Humain et animal, etc) et dans le PetPlay (adopter, pour un temps donné, les caractéristiques d’un animal préalablement choisi. Le PetPlay fait parti du RolePlay).
La notion de caregiving
Le terme de caregiving peut être traduit par celui de « donneur de soins ».
Bowlby définit le “caregiving” comme le versant parental de l’attachement. Il représente la capacité à prodiguer des soins, à s’occuper d’un plus jeune que soi, aussi bien de pourvoir à ses besoins physiologiques que ses besoins affectifs.
Dans le BDSM, on pourrait définir le Caregiving comme les comportements des Top (Dominants ou Maîtres) ayant pour objet de favoriser la proximité et le réconfort lorsqu’ils perçoivent la détresse d’une bottom ou lorsque celle-ci se sent en danger. Ce système serait la réciproque du système d’attachement et aurait une fonction adaptative : la protection.
Il repose donc sur l’engagement et le sens de la responsabilité dans la protection de sa personne bottom (soumise ou esclave) ; le Top a ainsi tendance à faire passer la protection et le bien-être de sa bottom avant même ses propres besoins. Il se montre sensible aux besoins d’attachement de sa bottom par sa disponibilité émotionnelle, son aptitude à le consoler et l’apaiser.
Lorsqu’il parvient à réconforter sa bottom, le Top, s’il ne perçoit plus de danger, modère ses comportements de caregiving, son système étant alors désactivé.
Le caregiving BDSM dépend des propres expériences de Tops concernant leurs relations d’attachement et les Tops insécures peuvent être plus en difficulté pour répondre aux besoins de leur bottom.
La théorie de l’attachement dans le BDSM permet d’étudier la façon dont la bottom (soumise ou esclave) déstabilisée, stressée demande et obtient du réconfort de la part de son Top (Dominant ou Maître), sa figure d’attachement. C’est une théorie du développement psychique dans le cadre des relations interpersonnelles. Les différents styles d’attachement sécure ou insécure doivent être considérés comme des facteurs de protection ou de vulnérabilité qui s’intriquent avec d’autres aspects tels que le tempérament, les conditions et événements de vie.
En prenant appui sur les travaux d’Ainsworth (1978) et de Schofield et Beek (2010), on peut identifier quatre dimensions du caregiving qui visent à explorer en quoi un caregiving peut aider la bottom (soumise ou esclave) à mieux identifier les tâches nécessaires à la construction de leur base de sécurité dans le cadre de la relation :
- La disponibilité : aider la bottom (soumise ou esclave) à avoir confiance ;
- La sensibilité : aider la bottom (soumise ou esclave) à gérer ses sentiments et ses agirs ;
- L’acceptation : aider la bottom (soumise ou esclave) à construire son estime de soi ;
- La coopération : aider la bottom (soumise ou esclave) à se sentir efficace.
Conclusion
Pour avoir une relation authentique dans le BDSM, il est nécessaire que le Top (Dominant ou Maître) et que le bottom (soumise ou esclave) soient authentiques, et que la relation soit orientée vers une relation allocentrée.
Travailler les systèmes d’attachement au sein du couple BDSM et la fonction caregiver chez le Top renforcera la fonction D/s, apportera de la confiance, du réconfort, de la sécurité et de l’estime de soi à la personne bottom (soumise ou esclave).
Pour qu’une relation BDSM soit réussie cela demande au Top (Dominant ou Maître) de la disponibilité, de la sensibilité, de l’acceptation et de la coopération. Le Top (Dominant ou Maître) devra prendre soin de la bottom (soumise ou esclave) physiquement et émotionnellement, il lui faudra une présence importante et régulière dans la vie de la bottom (soumise ou esclave) et qu’il s’investisse émotionnellement.
Source : John Bowlby, Romain Dugravier, Anne-Sophie Barbey-Mintz.