L’autorité dans le BDSM : un enjeu de la relation Dom/soum
Note : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique; ils ont à la fois valeur d’un féminin et d’un masculin.
L’enjeu de la relation d’autorité éducative BDSM
La relation d’autorité est en mutation. Nous sommes en train de passer d’une autorité traditionnelle, patriarcale dites : “autoritariste” , à une autorité d’un autre type, qui parvient difficilement à se fixer aujourd’hui, du fait de la coexistence de plusieurs discours sur (et pratiques de) l’autorité, en particulier de ce que l’on pourrait nommer par “autorité évacuée” .
En premier lieu, définir ce dont on parle est indispensable, car trop souvent encore, le sens commun confond l’autorité avec un pouvoir de contrainte, l’associe à un recours possible à la force.
En ce sens, l’ “autorité autoritariste” est la relation où le détenteur d’une fonction statutaire exerce une domination sur l’autre afin d’obtenir de lui une obéissance inconditionnelle, sous la forme d’une soumission.
L’ “autorité évacuée” est la tendance, répandue dans notre société actuelle et dans les métiers de l’éducation, à refuser l’idée même d’autorité et son exercice, justifiée par son caractère prétendument illégitime et anti-éducatif.
Parler d’autorité à propos de ces deux conceptions n’est qu’un artifice de langage, car ni l’une ni l’autre ne relèvent de l’autorité. L’ “autorité autoritariste” est abus de pouvoir, l’ “autorité évacuée” déficit d’exercice d’autorité. En conséquence, ces deux types d’attitudes comportent des risques pour la personne soumise.
- tout échange entre sujets (donc tout processus éducatif) par l’exercice de la violence ;
- la seconde est finalement indifférente à l’éduqué puisqu’elle le laisse livré à lui-même, l’oblige à se chercher seul ses propres limites. En considérant la personne soumise comme un sujet prématurément responsable de ses actes, donc en ne créant pas les conditions éducatives, pédagogiques, didactiques pour qu’elle s’exerce à accéder progressivement à la responsabilité sur sa propre soumission et dans ses relations aux autres, l’autorité dite “évacuée” suppose le processus éducatif achevé en s’abstenant d’y participer.
Tout l’enjeu de “l’autorité éducative” va alors consister à maintenir quoiqu’il arrive la relation d’éducation. Cela passe à la fois par :
- une posture première de l’éducateur (désirer être là, avoir la conviction de l’éducabilité de la personne soumise, être à l’initiative du respect de l’autre sans condition préalable) ;
- mais aussi, par la formation de cet éducateur tout au long de sa vie BDSM :
- travailler sa manière de se remettre en question ;
- travailler les façons d’influencer et non de manipuler (influencer à des fins personnelles) celle sur lequel on exerce son autorité, sans la soumettre autoritairement mais en obtenant son consentement à obéir, par le développement d’autres savoirs d’action possibles ;
- clarifier son propre rapport au cadre éducatif, au savoir et à l’autorité ; une capacité qui ne renvoie pas à “avoir de l’autorité” mais une capacité à trouver la posture intérieure adéquat pour contenir la personne soumise, une personne pas forcément identique à nous-mêmes, mais néanmoins semblable (elle est un être humain), dont il s’agit de respecter les tâtonnements comportementaux et les balbutiements d’apprentissage, tout en ne renonçant pas à nos exigences BDSM.
Pour aller vers la domination et encore plus vers la maîtrise, il faut modifier ses représentations de l’autorité afin d’appréhender ce qu’est l’autorité éducative est un préalable. Il s’agit de relever ce défi auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés : la capacité à tenir notre place de garants des codes, conduites, principes symboliques dans leur double dimension éducative et limitante.
La notion d’autorité éducative
Les fondements de l’autorité éducative
L’autorité n’est pas un “mal nécessaire” de la relation humaine. Elle se construit dans et par l’action, pour les personnes Dominantes expérimentées on sait que : celui qui fait autorité… n’est pas autoritaire. C’est la compétence qui fait l’autorité et les personnes soumises ne s’y trompent pas. Encore faut-il que cette autorité se traduise par des actions observables.
Daniel Marcelli (2003) qui, à partir de travaux de paléontologues (Picq, Coppens), explique comment cette relation est née chez les premiers hommes. Nous pouvons nous représenter dans quel environnement hostile ils évoluaient : milieux naturels dangereux, climats rudes, agressions par d’autres groupes humains pour s’accaparer la nourriture ou les territoires, attaques de bêtes sauvages… Face à ces multiples dangers où le risque de mort était omniprésent, ces premiers hommes n’ont dû leur survie qu’à des chefs (nous dirions des leaders, en dynamique de groupe) auxquels ils ont accepté d’obéir, car les ordres de ces chefs leur sont apparus raisonnables, de nature à les protéger de ces périls (par exemple se réfugier dans des grottes, ne pas allumer un feu dans n’importe quelle condition pour ne pas se faire repérer…). Certains membres du groupe qui n’avaient pas respecté ces consignes y avaient sans doute laissé la vie et le groupe en avait été témoin. Ces premiers hommes ont donc consenti à obéir à des chefs qui ont assuré leur sécurité (c’est la première fonction de l’autorité, que l’on retrouve dans le Code civil à propos de l’autorité parentale). Un mode de relation analogue s’est instauré dans la relation BDSM, entre les Dominants et les soumis, pour garantir leur sécurité et assurer leur survie. C’est la pérennité de la relation qui était en jeu.
En établissant des liens entre la paléotonlogie et la psychologie du développement, on peut élaborer une socio-psychogenèse de l’autorité éducative du Dominant, la personne soumise construit des représentations intériorisées constitutives d’une limite contenante et structurante, selon trois étapes :
- le premier temps est celui du contenant qui protège : la personne soumise recherche le regard de son Maître, pour savoir que faire, que dire…
- le second temps est celui du contenant qui limite : c’est une phase un peu d’opposition. La personne soumise va aller chercher les limites à son désir de toute puissance (l’omnipotence), par une taquinerie voire une provocation de la personne Dominante.
- le troisième temps est celui de “l’œdipe” , une confrontation de la personne soumise à la limite de son désir et à la nécessité de tenir compte des demandes verbales, non-verbales ou suggérées de la personne Dominante.
Il y a trois conditions d’efficacité à cet échange communicationnel :
- une proximité relative ;
- une répétition suffisante de ce type de séquence ;
- une cohérence dans le contenu.
Sur ce dernier point, il faut insister sur l’adéquation, la congruence entre l’expression du visage (le non-verbale) de la personne Dominante et le contenu de sa communication verbale, car la personne soumise se guide sur le sens préalable et implicite de la communication. Une communication non paradoxale est donc capitale pour que le signal d’autorité soit reçu, l’expression mimique Dominante :
- permissive autorise la personne soumise à poursuivre calmement son exploration ;
- réprobatrice ou inquiète : elle fonctionne alors comme un signal de danger qui ramène la personne soumise près de son Dominant ;
- paradoxale et confuse : elle laisse la personne soumise s’aventurer hors limite sans le guide de ce regard protecteur.
Visage et surtout regard de la personne Dominante sont pour la personne soumise de véritables régulateurs comportementaux. Dominant et soumis intériorisent ainsi durablement un modèle de relation de confiance.
conditions d’apparition de l’obéissance
L’accès à l’autorité sur ses propres décisions passe par l’apprentissage de l’obéissance, non confondue avec le couple pouvoir/soumission.
Un exemple : lors d’une soirée, un Maître constate que sa soumise vient de prendre un flogger (martinet). Il la regarde et lui dit : “pose ça !”. La personne soumise le regarde et ne bouge pas, ne fait aucun geste, 5 secondes après, le Maître ajoute sur un ton légèrement plus ferme et en accentuant le froncement des sourcils : “Tu le reposes tout de suite !”. Quelques secondes se passent encore avant que le Maître complète : “Tu as compris !”. La personne soumise pose enfin le flogger (martinet), le visage du Maître se détend, sa voix devient plus douce et il lui dit : “C’est bien !”. Puis il lui explique pourquoi elle ne devait pas prendre le flogger (martinet) dans ses mains par le manche…
Dans cette séquence, le Maître et sa soumise se regardent et se considèrent l’un l’autre. Le Maître parle à sa soumise et sollicite sa compréhension (ce qu’il ne faut absolument pas confondre avec une explication : dans le cas présent le Maître n’explique rien, le temps de l’explication viendra après). Pendant ces paroles, il n’y a pas d’action, on pourrait dire que le procès est suspendu, un minimum de temps s’écoule. Enfin la personne soumise décide d’ouvrir la main et de poser le flogger (martinet). Elle est active dans cette séquence : c’est elle et personne d’autre qui a choisi de détendre les muscles fléchisseurs de ses doigts ! Cette décision lui appartient et elle participe à la prise de conscience de sa capacité motrice propre : elle en retire un sentiment d’autonomie sur son BDSM. L’obéissance conforte la conscience de soi et le sentiment d’autonomie.
La personne soumise a obéit, le Maître la remercie mais sans excès, elle reconnaît là son autorité… Pour que cette séquence advienne, il y faut des mots, du temps et de la patience, une reconnaissance réciproque. La personne soumise gardera en souvenir le fait qu’elle a choisi d’obéir car c’est elle qui a décidé d’ouvrir la main et qu’elle ne doit pas prendre un artefact par le manche, le manche étant uniquement réservé à la personne Dominante. Elle a gagné dans cette brève interaction un sentiment de liberté et une meilleure connaissance du monde BDSM.
Bien que cette relation soit asymétrique, un lien de confiance réciproque entre le Maître et sa soumise a pu s’établir où l’un a renoncé au privilège d’utiliser sa force ou sa séduction et l’autre lui a accordé en retour une prime d’autorité, reconnaissance supérieure à la soumission craintive provoquée par la force ou au sentiment d’aliénation soumise suscitée par la séduction.
Ainsi donc, Obéir, ce n’est pas se soumettre objetivement, c’est apprendre le sens d’un lien de confiance, c’est découvrir qu’une relation humaine de dépendance peut aussi être enrichissante, source d’augmentation. Il n’y a pas d’obéissance sans lien de confiance préalable, car l’obéissance s’obtient sans utiliser de menace, ni physique ni morale, en quoi elle se distingue de la soumission frustrante et humiliante.
Revenons à l’autorité, mais en référence à l’anthropologie. Là, l’autorité a pour fonction d’assurer la continuité générationnelle, de donner des clés d’entrée dans le monde déjà là, des clés de compréhension du monde à la génération qui vient, de lui ouvrir «doucement la scène du monde» (Locke, repris par Prairat, 2010, p. 43). Et Prairat poursuit : «l’éducateur est celui qui permet au nouveau venu d’être de ce monde, il l’accueille et l’introduit dans l’ordre symbolique de l’humain», car «on n’entre jamais seul dans le monde. (C’est une) vérité anthropologique». La raison pour laquelle j’ai pour habitude de dire qu’un Maître doit toujours avoir 100m d’avance sur sa soumise.
L’autorité est donc un phénomène à la fois personnel et relationnel :
- un phénomène personnel, parce que contrairement au pouvoir, elle est une responsabilité qui ne se délègue pas. Aucun Maître ne peut faire autorité à la place d’un autre, sinon l’autorité de celle-ci disparaît ;
- un phénomène relationnel, parce que l’autorité d’un Maître n’existe pas en soi. C’est toujours dans l’intersubjectivité et dans l’interaction qu’un Maître exerce l’autorité.
Les significations de l’autorité éducative
L’autorité éducative comprend trois significations indissociables : être l’autorité, avoir de l’autorité et faire autorité (Obin, 2001).
Être l’autorité :
L’autorité statutaire (potestas) est un pouvoir légal, un fait d’institution, un préalable, de l’ordre du non négociable. Elle est une condition nécessaire à l’exercice de l’autorité, mais non suffisante.
Elle place son détenteur dans une position asymétrique. De cette place, il peut poser :
- le non négociable de sa place générationnelle : qu’il le veuille ou non, un Maître est d’abord un Dominant aux yeux des personnes soumises, avant d’être identifiés par son statut de Maître. De ce fait, il a un rôle éducatif. Il existe une différence irréductible entre les Dominants, marquée par l’expérience. Au plan symbolique, le Maître est le dépositaire d’une culture BDSM et le garant du respect des interdits anthropologiques fondateurs de toute vie sociale BDSM (interdit d’inceste, de meurtre, de parasitage) qui assurent l’existence, la survie et la pérennité de la société BDSM à laquelle il appartient.
- le non négociable de sa fonction institutionnelle (Dominant/soumis) : dans une soirée, ou dans un club BDSM, le Maître est une personne expérimentée, un expert qui, de sa place, remplit une mission spécifique s’inscrivant dans une mission cognitive de transmission de connaissances, d’attitudes et de comportements.
Ainsi, n’importe quel Dominant n’a pas n’importe quelle place dans une soirée, ou dans un club BDSM. Au départ, c’est le statut qui détermine cette place et définit la mission particulière d’un Dominant, distincte mais complémentaire de celle d’un autre.
Au plan général, cette double place de Maître/expert renvoie à la problématique du non négociable, c’est-à-dire à la capacité à poser et à tenir un cadre éducatif suffisamment contenant ( “ souple-dur” ), fiable c’est-à-dire constant, rigoureux sans être rigide, porteur de limites structurantes. Encore faut-il au préalable que le non négociable soit précisé, défini, explicité et connu de tous.
Le non négociable se distingue du négociable, par le fait qu’il s’applique au novice comme à l’expert et qu’il ne peut être remis en cause ni par l’un, ni par l’autre. C’est en s’appuyant sur ce non négociable que le Maître peut déterminer les situations où il aura à poser un acte, geste ou parole d’autorité par lequel il cherchera à arrêter net l’acte transgressif ou la discussion permanente. L’enjeu consiste à demeurer dans un acte d’autorité éducative, acte non autoritariste, mais qui signifie un “non” sans ambiguïté ni remord. Une fois l’acte posé, une reprise éducative est possible dans un temps différé. Elle passe par l’explication de l’acte, l’écoute et le dialogue limités car il ne s’agit pas de tomber dans la justification.
Avoir de l’autorité :
L’autorité de l’auteur (auctor), qui s’autorise et autorise l’autre (augere). La personne qui a de l’autorité est d’abord celle qui, par l’acquisition de compétences, de savoirs, conquiert la capacité d’être son propre auteur, c’est-à-dire de s’autoriser à accéder à la responsabilité personnelle, à l’autonomie sur sa propre vie dans ses relations aux autres. Être l’auteur de son existence se construit à travers une histoire personnelle qui va développer la confiance suffisante en soi. Cette construction du sujet auteur passe évidemment par d’autres, qui contribuent à renforcer la capacité du sujet à s’autoriser. L’autorité du sujet relève ainsi d’un processus d’autorisation. Elle n’a donc rien de naturel.
L’articulation avec l’augere (autoriser l’autre) apparaît alors, lorsque l’auctor accepte de se confronter à l’autre avec son savoir et ses manques, sans être déstabilisé par le moindre de ses agissements en ayant le souci de l’aider à poser des actes lui permettant d’essayer d’être à son tour auteur de lui-même. C’est-à-dire que cette articulation permet, autorise voire induit la personne soumise à s’inscrire dans une soumission active. Ainsi redéfinie, l’éducation doit générer une relation dissymétrique nécessaire et provisoire, visant à l’émergence d’une personne Dominante et d’une personne soumise, on peut même considérer qu’autorité et éducation sont synonymes.
Faire autorité :
L’autorité est avant tout une capacité fonctionnelle – capacité de l’auteur à permettre, à augmenter, à accroître, à créer (augere) de l’autorisation chez l’autre.
Ainsi, très concrètement, l’autorité pose la question essentielle du “faire” , c’est-à-dire des savoirs d’action, des gestes que le Maître mobilise dans sa pratique de l’autorité, dans une relation avec sa soumise, toujours contextualisée.
Mais bien que “faire autorité” soit constitutif du champ des savoirs d’action, l’ “avoir” et l’ “être” relèvent aussi d’un “faire” en situation :
- comment le Maître met-il en actes son autorité statutaire, dans sa double dimension générationnelle et institutionnelle ?
- comment s’autorise-t-il à être auteur de lui-même (par exemple en osant intervenir dans une situation délicate, en allant au terme du règlement d’un conflit…) ?
- que met-il en place pour permettre à la personne soumise de s’engager dans un processus d’autonomisation dans sa soumission, pour l’autoriser à devenir davantage auteur de soi-même ? Pour aller vers une soumission active ?
Là, était le plus facile. Le plus difficile commence… Poser en acte toute cette belle théorie, réfuter l’autorité autoritariste, l’autorité évacuée entrer dans l’autorité éducative…
3 thoughts on “L’autorité dans le BDSM : un enjeu de la relation Dom/soum”
Bonjour,
Tout ce qui me faut, un Maître qui as tout compris avec l’autorité éducative.
Très bien comme article. Bonne Journée
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