Approche ethnologique de la douleur dans le BDSM ou dans les cordes
Note 1 : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique, ils ont à la fois la valeur d’un féminin et d’un masculin.
Note 2 : Dans cet article, je vais parler de ma vision de l’ethnologie de la douleur
Plus on pense à sa douleur et plus on a mal, c’est-à-dire, plus on investit sa douleur et plus on a mal. Paradoxalement, lorsque l’on donne le meilleur de soi, on peut en oublier la douleur.
On a l’image de la douleur qui est négative, destructrice. Il y a des douleurs qui construisent, des douleurs qu’on choisit. La douleur peut être imprégnée de sens.
La signification de la douleur va induire la manière dont elle est ressentie, et il y a des douleurs qui sont associées à des souffrances, qui sont destructrices, celles qui s’imposent à nous comme des violences, celles que l’on subit. Il y a aussi d’autres formes de douleurs, dont la souffrance est quasiment inexistante. La personne aura mal, mais sera dans le contrôle. Là, c’est une douleur qui n’écrase pas la personne soumise mais qui au contraire qui la murit, qui lui donne le sentiment de ses limites, qui lui permet de savoir quelle femme, quelle soumise elle est. Il y a aussi des douleurs qui nous interrogent sur notre fond.
Que comprendre des conduites à risque de certaines personnes soumises ?
Ces conduites à risque leur permettent de combattre une souffrance dans leur vie, qui cette dernière n’est pas contrôlable : la souffrance de l’inceste, des abus sexuels, la souffrance de ne pas être aimée, la souffrance d’être rejetée par son père, plus rarement par sa mère, etc, là nous avons une personne soumise dans une immense détresse personnelle qui va s’agripper à son corps sous les auspices de la douleur paradoxalement pour réussir, pour continuer à exister, pour ne pas mourir, on pourrait parler de “technique de survie”.
La souffrance peut aussi complètement écraser les ressentis de la douleur, là ce sont des personnes qui sont dans une telle détresse de vie, que les douleurs en sont devenues négligeables. Le corps là n’est plus narcissisé, il est laissé à l’abandon.
Dans le BDSM, des personnes peuvent prendre du plaisir dans la douleur. Mais ces personnes-là, si ils se font agresser dans la rue ou ailleurs n’éprouveront pas de plaisir, pas plus de plaisir que les personnes qui ne sont pas masochistes.
La douleur attire, la douleur fascine, comme dans le sport, ce n’est pas une douleur infligée, c’est une douleur décidée par la personne elle-même. Le bonheur de la douleur peut être lié au sacrifice que l’on fait pour atteindre le but désiré, recherché.
La douleur est toujours imprégnée de sens, il n’y a pas de douleur sans signification, il n’y a jamais de douleur purement organique. Toute douleur est toujours une perception, et une émotion, jamais une sensation. C’est un processus d’interprétation lucide ou pas, ce n’est pas une position réflexive. La douleur, on l’interprète. Elle n’est pas neurophysiologique, elle mêle la biologie et la signification intime. Toute douleur est une somatisation (soma -> le corps (grec)), et une sémantisation (sema -> le sens (grec)), tout somatisation est une sémantisation. la souffrance pourrait se définir par l’intensité de la douleur, la souffrance est donc l’évaluation subjective de la douleur. Il n’y a pas de douleur sans souffrance, mais il peut y avoir des souffrances insignifiantes, et des souffrances terrifiantes. La souffrance est donc la manière dont chacun de nous va ressentir sa douleur.
La douleur nous transforme, la douleur est un opérateur de modification du rapport au monde. La douleur peut nous détruire, elle peut nous transformer pour le pire, quand on ne l’a pas choisie, quand elle s’oppose violemment à nous. La douleur subie détruit. Par contre, quand la douleur est choisie, elle nous transforme pour le meilleur.
La douleur subie
C’est elle qui transforme, qui dépersonnalise, qui déshumanise. Cela génère le sentiment de ne plus s’appartenir, de ne plus se reconnaître.Un sentiment d’irréversibilité, d’être au coeur de l’enfer. Dans le cas de douleurs subies extrêmes, comme la torture, la personne torturée peut faire une dissociation de son corps, une forme d’OBE (Out-of-Body Experiences (expérience de hors-corps)), la personne est suspendue dans l’espace, et voit une personne en train de torturer son corps, et la personne n’est pas altérée par cela, elle ne ressent rien.
La douleur choisit
C’est une douleur ou la souffrance est minime, elle sera vécue de manière “positive” . La personne pourra dire qu’elle a eu mal, que c’était difficile, mais enfin, qu’elle a réussi à tenir le coup. Pour la quasi totalité des personnes soumises qui mettent de l’intensité dans leur BDSM (du SM), il y a cette volonté que cela fasse mal, car c’est un moment important pour ces personnes soumises. Pour elles, une scène BDSM sans aucun ressenti physique et psychique n’a aucun intérêt. Il y a une valorisation paradoxale de la douleur.
On retrouve des fois, dans le masochisme masculin des formes de rites de virilité, de rites que l’on pourrait appeler “sauvages”, c’est très intuitif, très anthropologique. Ces rites de virilité leur permet de mieux dominer la personne dominante, ils prennent ainsi de l’ascendant sur la personne dominante, la raison pour laquelle on parle de soumination : l’art de soumettre afin de mieux dominer autrui. L’avantage avec la soumission dans le BDSM, c’est qu’ils savent qu’ils peuvent s’arrêter à tout moment, chose qui n’est pas possible lorsqu’ils poussent plus loin leur soumission en s’engageant dans un esclavage.
On retrouve aussi ces rites de virilité ou “sauvages” chez les personnes dominantes :
- Certains hommes dominants ne maîtrisent plus leur sadisme, ils entrent dans un “bad DomSpace”, ils ne prennent plus en compte la personne soumise, que cette personne vive une douleur choisie ou subie, leur importe peu. Ce qui leur importe c’est d’exprimer leur virilité afin de montrer au monde qu’ils sont de “vrais hommes”, de “vrais dominants”, qu’ils n’ont peur de rien, il est vrai qu’ils n’ont pas à avoir peur, car ils n’ont aucune douleur.
- Certaines femmes dominantes ne peuvent pas dominer physiquement un soumis sans artefact. Elles iront chercher leur domination dans l’humiliation, dans le “edgeplay” , dans le fouet, c’est-à-dire dans les extrêmes. Ont-elles un “lourd passé” ? Ont-elles des “comptes à régler” avec la gente masculine ? Pour certaines, elles iront même chercher leur domination dans leur féminité.
- Certains personnes dans le BDSM avec un “lourd passé” vont chercher leur masochisme dans des appétences traumatophiliques (fort désir de valider son existence en la risquant), et d’autres iront régler leur passé avec leur domination.
Certaines personnes aussi chercheront à travers leur masochisme à vivre l’extase de la douleur, une forme d’extase chamanique, une grande spiritualité individuelle, dans un subspace, qui leur permet de mieux se connaître, d’aller plus loin dans leur recherche intérieure, que l’on pourrait définir par : expérience du sacré. Expérience qui est impossible à partager, car on est dans l’ordre de l’intime. Ils ressentent la douleur, mais ils ne ressentent aucune souffrance. A tort, beaucoup de personnes pensent que ces masochistes aiment la douleur, ce qui est totalement faux ! Vous ne verrez jamais une personne soumise masochiste mettre ses doigts dans le chambranle d’une porte et fermer la porte pour aller dans leur extase, dans leur expérience du sacré ! Souvent ces personnes récusent l’idée qu’ils sont de grands masochistes, ils n’aiment absolument pas la douleur, mais dans un contexte particulier, la douleur fait partie de leur expérience.
Dans ce cas-là, la douleur est choisie, la souffrance est à minima, la personne en ressort transformée.
Il y a aussi des personnes qui pour lutter contre la souffrance morale de leur vie, qu’ils ne contrôlent pas, qui les écrasent, vont lutter par la douleur. Elles cherchent par là à reprendre le contrôle de leur vie par la douleur. Elles vont chercher le mal pour lutter contre le mal. Par la douleur, elles cherchent à faire sortir toute la souffrance morale qu’elles ont en elles, qu’elles ont emmagasiné pendant des années. Elles cherchent dans leur masochisme à expulser leur souffrance morale, à faire sortir cette ébullition intérieure. Une fois la scène finie, lorsque l’ “aftercare”, le “subdrop” passés, elles redeviennent elles-mêmes, libérées pour un temps de cette souffrance morale, comme si un poids était parti. La douleur leur permet d’oublier leur souffrance. Dans les conduites à risque, dans les pratiques extrêmes, les personnes masochistes s’agrippent à leur corps. Souvent elles n’ont plus que leur corps auquel elles peuvent se rattacher pour ne pas mourir, pour ne pas être détruite, bien qu’elles exprimeront toujours par leur communication non-verbale : “faites ce que vous voulez de mon corps, mais vous n’aurez jamais mon âme !”. C’est une forme de provocation, afin que la personne dominante aille plus loin dans la scène afin de permettre à la personne soumise d’aller chercher l’extase de la douleur par l’expulsion de leur souffrance morale. La blessure, les marques de la personne dominante, leur permet de ne pas mourir, c’est un peu pour elles le prix à payer.
Lorsque l’on prend en charge ces personnes soumises avec ce type de masochisme, il faut savoir que si l’on maîtrise notre domination, on sera attentionné, on reconnaîtra leur visage, on reconnaîtra leur histoire, on les accompagnera, on soulagera leur souffrance morale, peu à peu ces personnes soumises vont réinvestir leur corps, vont se renarcissiser, et en renarcissisant leur corps, elles vont tout doucement à ressentir la douleur. La douleur peut être vue comme un luxe, pour ressentir la douleur, il faut aimer la vie. Leur vie doit redevenir suffisamment importante pour qu’elles puissent ressentir la douleur. Ces personnes vont sortir petit à petit du masochisme, voire du BDSM, pour revenir à une vie vanille. Elles peuvent enfin réinvestir leur vie, et envisager un avenir.
Pour que le masochisme éprouve son orgasme mental, son plaisir, il doit être dans son scénario, si l’on décale son scénario, il ne pourra pas éprouver d’orgasme mental, il ne faut donc pas rire, plaisanter ou autre dans une scène. La ritualité SM implique le sérieux de l’événement. Souvent c’est un échange de fantasme qui est et qui doit rester très contractualisé. Dans une scène SM tout est régulé.
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