Amour et sexualité dans le BDSM ou dans les cordes
Note 1 : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique, ils ont à la fois la valeur d’un féminin et d’un masculin.
Note 2 : Dans cet article, je vais essayer de vous parler de l’amour et de la sexuatlité dans le BDSM ou dans les cordes selon mon point de vue.
Sexualité et amour dans le BDSM ou les cordes sont en général associés, mais il est des cas où amour et sexualité sont disjoints : on s’aime sans avoir de relations sexuelles ou l’on a des relations sexuelles avec un (ou des) partenaire(s) que l’on n’aime pas. Là il ne s’agit pas seulement d’analyser les rapports entre amour et sexualité, mais entre amour, sexualité et BDSM ou cordes.
Il est indéniable que même dans le BDSM ou les cordes, la recherche d’identité est importante. Or, la conquête de l’identité est rendue difficile parce que les processus grâce auxquels elle peut se construire sont soumis à des déterminismes puissants et divergents :
- Un déterminisme biologique, lié à l’instinct d’attachement
- Un déterminisme psycho-familial qui se cristallise sous la forme de l’inconscient sexuel infantile
- Un déterminisme social, assigné socialialement d’un genre par l’état civil, sur la base de sa morphologie
- Un déterminisme environnemental dans le milieu BDSM ou des cordes, sur la base ou autrui pour exister a besoin de vous attirer dans son univers, “j’existe parce que les autres sont comme moi”
Lutter pour construire son identité personnelle dans le BDSM ou dans les cordes consiste à rechercher, voire à inventer, des compromis entre ces trois déterminismes, qui tendent constamment à fragmenter le BDSMiste, l’encordeur ou l’encordée et à le déstabiliser. C’est par l’éducation, une forme singularisée de compromis que l’individu parvient à affirmer son identité sexuée originale. C’est au niveau de l’identité, que se concrétise et s’affirme, au niveau subjectif, ce qui relève en propre de la liberté de chacun.
L’identité psychologique du BDSMiste, de l’encordeur ou de l’encordée se définit comme la recherche d’un sentiment d’unité de la personnalité, en dépit des pressions d’éclatement exercées par les différents déterminismes qui s’exercent sur ses conduites, en dépit des contraintes qui tendent à la morceler, que ces dernières proviennent des circonstances extérieures ou des mouvements pulsionnels qui l’affectent de l’intérieur. Dans cette conception de l’identité, donc, l’aliénation (perdre son identité) est première et l’identité comme lutte pour l’émancipation est seconde.
L’amour dans le BDSM ou dans les cordes n’est pas lié à des rapports sociaux de reproduction, cela n’a rien à voir avec un quelconque déterminisme social. L’amour dans le BDSM ou dans les cordes est autre chose que le sexuel et autre chose que la biologie. L’amour ne joue pas non plus un rôle dans les rapports de domination ou de servitude dans la sphère du BDSM ou des cordes, il ne joue pas non plus un rôle dans l’espace privé du couple BDSM ou de cordes. Pour l’exprimer autrement, les rapports de domination ou de servitude dans la sphère privée d’un couple BDSM ou de cordes s’étayeraient et se nourriraient de la dépendance affective qui lie entre eux les partenaires d’une relation amoureuse et non sexuelle. Une autre manière de définir ce que peut être la connexion dans un couple BDSM ou de cordes.
L’identité est essentiellement une relation de l’individu à soi-même, alors que l’amour est une relation à l’autre. Les relations entre amour et identité ne sont pas toujours concordantes.
Il n’y a jamais de neutralité de l’amour vis-à-vis de l’identité. Aimer quelqu’un c’est déposer en lui le pouvoir énorme de déstabiliser mon identité. L’amour implique non seulement un risque pour l’identité, mais un risque pour l’économie érotique. La rencontre érotique avec l’être aimé peut allumer le désir, mais elle peut aussi conduire à l’expérience critique de la frigidité, de l’effacement de l’excitation, voire du vide et de l’anesthésie affective vis-à-vis de l’être aimé. L’amour représente un risque majeur pour la subjectivité.
L’amour implique aussi de l’attachement, l’attachement est un comportement instinctif et inné. C’est sur cet attachement que se base et se développe la communication au sein du couple BDSM ou du couple de cordes, et c’est aussi de cet attachement et de cette communication que la connexion prendra corps et vie.
Ce comportement instinctif est vectorisé vers l’autre et constitue la base irremplaçable du développement physique et psychique en même temps que la base biologique sur laquelle se développe la communication. Lorsqu’un enfant manifeste ce comportement d’attachement à l’égard d’un adulte, il déclenche, chez ce dernier, un comportement d’enveloppement ou d’embrassement, de soin, de maternage, de protection, d’alimentation, etc., qu’on désigne sous le nom de retrieval. Ce rapport entre attachement et retrieval est en quelque sorte l’onde porteuse de la relation primaire de l’être humain qui permet à l’adulte de mobiliser ses ressources (y compris culturelles) pour les ajuster aux besoins du corps de l’enfant, en fonction des modifications qui se produisent dans ses milieux intérieurs. La relation de soin est progressivement contaminée, puis subvertie par le sexuel venu de l’adulte. Ce processus a été analysé sous le nom de “théorie de la séduction généralisée” (Laplanche, 1987).
Ce qui distingue l’économie érotique, stricto sensu, de l’économie de l’amour, c’est précisément que dans cette dernière la dimension résiduelle de l’attachement se trouve engagée en même temps que celle de l’érotique. L’attachement entre deux êtres se constitue dans l’ombre de la relation amoureuse cependant que le sexuel en est la partie visible. La stabilisation de cet attachement contribue à la formation de la relation amoureuse en tant que telle.
Mais le rapport d’attachement est aussi et fondamentalement une relation de dépendance psychique (de l’esprit) à l’autre et, en ce sens, elle introduit dans la relation amoureuse, à la différence de la relation érotique sans amour entre les partenaires, une dimension d’aliénation (perdre son identité). Il n’y a à proprement parler d’amour dans une relation entre deux personnes que quand se trouve engagée la dimension de l’attachement et, avec elle, l’aliénation d’une partie de soi dans l’autre. Ainsi l’amour est-il un composé de trois éléments : l’identitaire, le sexuel et l’attachement.
Dans le BDSM, l’hypothèse de l’attachement s’avère n’être plus une hypothèse, mais une réalité, il y a donc des incidences non seulement sur l’organisation de la relation amoureuse, mais aussi sur l’organisation de toute la sphère domestique, sur les relations de service dans le couple D/s et aussi sur les relations dans un environnement “vanille”.
La relation d’attachement est aussi une relation de dépendance, c’est-à-dire d’aliénation (perdre son identité) de sa propre autonomie psychique (de l’esprit) dans l’autre. L’aliénation de l’autonomie subjective ouvre sur la soumission à la volonté de l’autre (c’est en cela aussi, que souvent des personnes affirment par erreur que dans tous les couples BDSM, en réalité, c’est la personne soumise qui dirige le couple). Car dans le même mouvement, l’aliénation ouvre donc un espace à la domination.
Conclusion, si l’amour est une relation réciproque, cela suppose que de part et d’autre existe une propension à la soumission.
Mais l’épreuve de la soumission peut se jouer ou se négocier de différentes façons et il se peut que la forme stabilisée dans laquelle elle se concrétise et se stabilise entre deux êtres ne soit pas identique pour les deux partenaires.
Il est en effet évident qu’en promouvant le registre soumission/domination la relation d’attachement expose à l’épreuve des rapports de force et à l’inégalité des positions dans le couple, mais dans un couple BDSM, cette inégalité est un choix consensuel, accepté, volontaire et voulu.
La relation d’attachement dans le BDSM est une relation entre deux types de comportements très dissemblables et complémentaires : le comportement d’attachement déclenche, en retour, un comportement de soin. Il est vrai que bien souvent la forme que prend cette relation de soin pour les “gamers” est le sexuel, pour les “players”, elle sera la tendresse. Dans les rapports de domination/soumission pour les “players”, le comportement de retrieval se trouve dans la relation de soin, et dans la relation de service. Au pôle opposé du retrieval le comportement d’attachement peut se donner à voir comme une quête de tendresse, de caresses et d’embrassements (au sens étymologique du terme, “tenir dans ses bras”), de câlins, etc., mais, en cas de privation, il donne naissance à des comportements de colère et de violence contre l’autre qui se dérobe. L’attachement est toujours du côté de la demande, le retrieval du côté du don de soi en tant que don engageant le corps (Bowlby, 1969-1973).
La dépendance-aliénation dans la sphère amoureuse dans le BDSM ou dans les cordes a une particularité, c’est qu’elle se joue entre deux adultes consentant et qu’elle mobilise donc chez chacun d’eux à la fois des comportements de retrieval et des comportements régressifs de demande d’attention ou de nursing, ce qui a tendance à conduire le couple vers une relation Daddy/little ou Daddy/brat, la personne dominante prendra la posture dans le triangle dramatique de “sauveur”. Quand, dans une relation amoureuse, l’un des partenaires tend à s’éloigner, il est possible de le ramener à soi en jouant sur la relation attachement-retrieval :
- soit en le menaçant de le priver de soins et de l’abandonner, suscitant ainsi chez lui une nouvelle demande de tendresse et une soumission, mais en risquant aussi de déclencher sa colère ;
- soit au contraire en offrant du retrieval par une attitude de soumission dans le domaine sexuel ou dans les attentions aux besoins du corps de l’autre.
Or si, en principe, ces jeux de positions peuvent s’inverser dans un sens puis dans l’autre chez les deux partenaires, en pratique ce n’est pas ce qui se passe. On observe plutôt une polarisation de ces relations vers l’inégalité stabilisée, qui normalement dans le BDSM est voulue, consensuelle, acceptée et recherchée.
Vis-à-vis de l’économie de l’attachement, les deux positions de domination et de soumission peuvent être équivalentes : celui qui domine ne peut plus se passer de celui qui se soumet. En le dominant, il se l’attache. À l’inverse, celui qui se soumet peut aussi rendre l’autre dépendant par ses services et ainsi la relation est faite !
Le problème psychologique s’analyse mieux lorsque surgit un conflit. Au cours des crises dans le couple BDSM, on se retrouve souvent aux limites de la rupture, là où commence le chantage à la séparation. Si l’aliénation (perdre son identité) est capable de l’emporter sur la volonté de séparation, il faut bien que l’un des deux cède, grosse difficulté dans le couple BDSM, si le Maître cède, est-il toujours à sa place, est-il toujours le Maître dans le couple D/s, la soumise, est-elle toujours à sa place ? Pour que la relation reste saine, il faudrait que la soumise cède toujours, ce qui demande de la maîtrise pour le maître dans le sens où il ne doit pas abuser de sa posture pour légitimer ses erreurs et son manque d’analyse. Donner du sens à sa posture, c’est aussi mettre la “lumière” sur sa soumise et non l’éteindre !
L’origine des rapports sociaux et des relations 24/7 dans le BDSM ou dans les cordes ne se trouveraient pas dans le sexuel, dans l’anatomique (genre) ou dans l’infantile. L’origine des rapports sociaux et des relations 24/7 dans le BDSM ou dans les cordes sont assurément non sexuelles et sont une construction sociale au sens plein du terme, tel que le précise Christine Delphy (2001).
Aimer dans le BDSM ou dans les cordes, c’est illuminer l’autre.
Source : Christophe Dejours