Une société “adolescentrique” BDSM ?
Note 1 : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique, ils ont à la fois la valeur d’un féminin et d’un masculin.
Note 2 : Dans cet article, selon mon point de vue et mon expérience, je tente d’analyser cette modification sociétale que l’on voit aujourd’hui de plus en plus dans le monde BDSM.
Il est vrai que notre société entretient le doute et le cynisme, la peur et l’impuissance, l’immaturité et l’infantilisme, certains jeunes BDSMistes ont tendance à se maintenir dans des modes de gratification primaires. Ils ont du mal à devenir matures (la maturité se définit notamment par la capacité de différencier sa vie interne du monde extérieur). On trouve de nombreux jeunes BDSMistes qui se maintiennent dans une psychologie fusionnelle (vie interne / monde extérieur), et ils peinent à effectuer cette opération de différenciation (vie interne / monde extérieur). Ce qui est ressenti et fantasmé se substitue souvent aux faits et à la réalité du monde extérieur. Le phénomène est amplifié et nourri par la psychologie médiatique, qui innerve les esprits actuels et l’univers virtuel que développent les écrans et l’Internet.
Ces BDSMistes ont du mal à effectuer les opérations psychiques de la séparation, pourtant c’est ce qu’ils cherchent et revendiquent. Laisser autonomes les débutants, les néophytes, en les considérant libres dans leurs désirs, face aux contraintes relationnelles, aux contraintes des différentes pratiques, leur permettre de disposer à leur guise des codes, des protocoles, est une énorme erreur. Souvent cette autonomie leur est laissée pour des raisons économiques, car la recherche de gain prime sur la qualité, sur la transmission de savoirs, sur le safe de la soirée. La confusion entre cette liberté inconditionnelle laissée aux débutants, aux néophytes, sans avoir le souci de transmettre, de l’éduquer, ainsi que cette autonomie d’actes auront des répercussions psychiques, ce qui va compliquer davantage les tâches de différenciation (vie interne / monde extérieur).
Pourquoi certains jeunes BDSMistes ne parviennent pas à renoncer aux hésitations de l’adolescence pour accéder à un autre âge de la vie, à la sagesse de l’âge ?
Ce qui les caractérise le plus, derrière le côté très convivial qu’ils savent utiliser dans les relations avec les autres, c’est la recherche de confiance en eux-mêmes, d’estime d’eux-mêmes, le besoin de lutter contre la société, les lois, les codes, les protocoles. C’est l’incapacité de construire des projets, de construire une relation sur le long terme, de réfléchir sur la construction de leur posture. C’est la recherche du “tout tout de suite”, de la réponse immédiate à leur pulsion…
Il est vrai qu’aujourd’hui notre société BDSM à tendance à inverser le processus d’identification, ce n’est plus le jeune BDSMistes qui tendrait à s’identifier aux anciens BDSMistes, aux expérimentés, mais le fait qu’il y ait de plus en plus de gamers, de kinksters de tout âge, qui tendent à s’identifier aux adolescents de notre société, une forme d’adulescence BDSM, dévalorisant auprès des jeunes BDSMistes toute identification aux anciens, aux expérimentés et aux références fondatrices du BDSM.
Tout devait se créer à partir de la “liberté” au nom d’un célèbre slogan, néanmoins déréel et dépressif : « Je fais ce que je veux ! » Or, peut-on faire ce que l’on veut toute sa vie au nom d’une “liberté” ? Le concept serait-il de rester dans le gaming, dans les kinks pour rester jeune, pour rester libre ? Il a déjà été démontré que cette conception de la liberté, de la jeunesse est fausse, pourtant, ses effets continuent d’agir sur les représentations sociales et les psychologies dans le monde BDSM.
Quoi qu’on en pense, le gaming, les kinks ont envahi notre monde BDSM. La subjectivité est dominante, l’émotionnel se substitue au rationnel, le fantasme devient plus important que le réel, une vision ludique et médiatique du BDSM s’affirme. On observe la suprématie du couple juvénile BDSM et la rupture comme mode de traitement des crises relationnelles. Il n’y a aucune acceptation des frustrations et des refus. On remarque une forte ambivalence à l’égard des lois, des codes, des protocoles. Le rapport au temps devient éphémère. On observe aussi une forte inhibition à s’engager, un narcissisme expansif, etc. Serait-on dans une forme de société BDSM “adolescentrique ” ?
Sommes-nous dans une société BDSM qui entretient l’immaturité ? Ces gamers, ces kinksters sont le résultat d’une éducation et d’une relation affective qui les maintiennent dans les gratifications primaires. Leurs désirs et leurs attentes ont été tellement sollicités au détriment des réalités extérieures et des exigences objectives, qu’ils finissent par croire que tout est malléable en fonction de leurs seuls intérêts subjectifs. Puis, dès leur entrée dans le monde BDSM, faute de ressources fiables (suffit de voir les images et vidéos sur Internet, de voir ce qui se dit sur les réseaux sociaux, sur les tchats) et d’étayage interne, ils cherchent à développer des relations de dépendance dans des relations de groupe BDSM ou de couple BDSM. Ils sont dans une économie affective, ils veulent être adulés, aimés. Ils passent du monde vanille au monde BDSM en demeurant dans la même économie affective, d’où les échecs successifs qu’ils subissent et qui les rendent de plus en plus aigris, et qui les enferment de plus en plus dans leur game, dans leurs kinks.
Ils sont trop centrés sur leur bien-être affectif, au détriment des réalités, des savoirs, des codes, des protocoles et des valeurs morales, ce qui ne les aide pas à se construire intérieurement. Ils sont davantage dans une expansion narcissique que dans un véritable développement BDSM personnel. Ce qui produit des personnalités certes plastiques et sympathiques, mais aussi superficielles, voire insignifiantes, et qui n’ont pas toujours le sens des limites et des réalités. Ces gamers et kinsksters se mettent en quête de réaliser leurs fantasmes au détriment d’autrui, de la sécurité, de leur propre stabilité psychique. Ils ont ainsi du mal à se différencier et à se détacher de leurs fantasmes pour vivre leur vie. Grandir implique de se séparer psychologiquement, de quitter ses fantasmes et son adolescence, mais, pour beaucoup, cette séparation est difficile parce que les espaces psychiques entre adultes et adolescents sont confondus.
Source : Tony Anatrella