Seuils d’acceptabilité des risques dans le BDSM ou dans les cordes
Note 1 : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique, ils ont à la fois la valeur d’un féminin et d’un masculin.
Note 2 : Dans cet article, je vais essayer de vous parler des seuils d’acceptabilité des risques dans le BDSM ou dans les cordes selon mon point de vue.
Y a-t-il des seuils d’acceptabilité du risque dans le BDSM ou dans les cordes, c’est-à-dire des seuils en deçà desquels des risques seraient jugés acceptables, un niveau d’exposition aux risques considéré comme admissible ? Ces seuils sont-ils façonnables, c’est-à-dire peut-on agir sur eux en vue de favoriser une plus grande ou moins grande acceptabilité des risques ? Qu’est-ce qu’une telle action engage et à quel niveau de la vie ?
N’oublions pas que le risque est tout d’abord une façon d’ordonner l’incertitude et d’appréhender le futur sur un mode probabiliste. C’est aussi une façon de se représenter des événements ou des situations à venir de telle sorte qu’ils puissent être décidables. Il convient également de se donner une définition opératoire de la culture.
Évaluons-nous le risque par ses réalités matérielles ou symboliques ou par notre vision du BDSM et/ou des cordes, c’est-à-dire par nos croyances et nos valeurs qui nous permettent de justifier nos actions ou nos dires ?
Il est vrai qu’évaluer les risques dans le BDSM et/ou dans les cordes, c’est admettre que l’on a des incertitudes, c’est mettre à la poubelle toutes les certitudes qui nous emmurent dans une homéostasie régressive. Le but de l’évaluation des risques est donc de réduire nos incertitudes en étant conscient que le risque zéro n’existe pas.
Il nous faut appréhender les conséquences, positives ou négatives, des risques auxquels nous sommes exposés, à savoir qui en est responsable, comment y répondre…
Les questions relatives à l’acceptabilité ne peuvent pas obtenir de réponse unique, parce que le risque est une catégorie d’appréhension de réalités diverses qui n’a de sens qu’en fonction de ces réalités.
Dire qu’il n’y a pas de risque zéro revient à se poser la question du niveau de risques, des marges d’incertitudes qu’on peut accepter et des conséquences que cela comporte pour notre organisation. On peut aussi se poser la question des domaines dans lesquels des risques sont acceptables et jusqu’à quel niveau, des domaines dans lesquels ils ne sont pas acceptables.
Comme le risque est par définition une probabilité, la question des seuils acceptables s’appréhende à travers un niveau de dommages éventuels tolérables. N’oublions-pas que les risques réalisés ont, le plus souvent, des conséquences pour des pratiquants plus particulièrement exposés réellement, dans l’espace BDSM publique, privé ou dans le cyberspace. Les questions relatives à l’acceptabilité ne concernent pas les individus qui restent cachés dans l’anonymat dans le cyberspace.
Le BDSM ou les cordes ouvrent aussi sur des questions relatives aux enjeux de pouvoir, pouvoir de décider pour soi ou pour autrui en situation d’incertitude, domination qui s’exerce par les attributions des risques.
Le risque est aussi une catégorie ancrée dans des réseaux sociaux et que la connaissance qu’en ont les personnes dépend des filtres et des biais cognitifs que leur affiliation à ces réseaux génère. Dans mon observation des réseaux sociaux, j’ai pu dégager plusieurs enseignements :
- Un premier enseignement concerne le processus de sélection des risques. Par définition, on ne peut pas connaître toutes les incertitudes et tous les dangers auxquels on est confronté. On sélectionne certains risques auxquels on apporte des réponses et on en ignore d’autres. Comme tout processus de sélection, celui-ci est très largement culturel, ancré dans les modes de vie et dans les valeurs qui soutiennent le groupe social dans le réseau auquel on évolue.
- Un second enseignement concerne le type de risques qui retiennent l’attention. A force de fantasmer son BDSM, il arrive un moment où l’on est défié, on doit prouver par le réalisme, la réalité le BDSM qu’on décline, cela apporte forcément une dimension d’incertitudes et de dangers. L’exposition aux risques est ainsi un moment nécessaire du déroulement de la trajectoire des individus. Le risque est alors accepté, y compris avec ses issues négatives, parce qu’il est une composante nécessaire et obligée pour l’acquisition d’un statut reconnu.
Le BDSM privilégie l’initiative individuelle, la prise de risques est valorisée pour autant qu’elle permet d’étendre les réseaux d’alliances, de richesse et de pouvoir. Malheureusement pour les gamers, il y a des enjeux de pouvoir. Ces enjeux maintiennent et privilégient une hiérarchie et engendrent une fuite des règles communautaires (codes, valeurs et principes). Les règles apportent le conformisme, et le conformisme s’oppose à la prise de risque. Le conformisme définit des limites par les règles, donc définit un seuil d’acceptabilité des risques.
En refusant les règles communautaires (codes, valeurs et principes), certains BDSMistes ou pratiquants des cordes peuvent être appelés à prendre des risques, du fait de l’absence de règles communautaires et la mise en place de règles individuelles, règles qui d’ailleurs souvent, sont plus ou moins clairement définies. Les règles individuelles sont très souvent définies par l’interprétation, la subjectivité, les émotions et les affects. Là où l’identité d’une communauté réglementée devrait être privilégiée pour définir un seuil d’acceptabilité des risques, le refus de certains pratiquants des règles communautaires, engendre une menace collective. La confrontation aux risques est alors largement condamnable.
Les règles communautaires participent à la réaffirmation des principes, codes et valeurs qui organisent les relations sociales au sein de toute communauté. Il faut comprendre que ces règles communautaires assurent une protection et ainsi définissent un seuil d’acceptabilité des risques.
Prendre l’étiquette et/ou se définir BDSMiste ou pratiquants des cordes, c’est appartenir à une communauté BDSM ou de cordes. C’est aussi se doter de règles qui permettent d’organiser les relations selon des modalités stables et prédictibles. L’acceptabilité des risques est définie par les réponses collectives aux situations d’incertitudes et au sentiment de protection que la communauté assure. La maîtrise et le respect des règles communautaires encadrent l’évolution et apportent une aide précieuse dans l’éducation des BDSMistes aux pratiques.
J’ai fréquemment observé que ce soit dans l’espace publique ou dans le cyberespace des confrontations entre experts et profanes dans un contexte où les risques deviennent, selon diverses formes, un enjeu de pouvoir. Les uns et les autres prennent en compte des risques en compte selon les connaissances dont ils disposent et selon les conceptions et perceptions du BDSM ou des cordes qu’ils mobilisent :
- Les profanes s’appuient sur un savoir virtuel et subjectif. Ils mobilisent leur attachement à leur mode de vie pour estimer les incertitudes auxquelles ils sont confrontés, en juger de l’acceptabilité et élaborer leurs réponses ;
- Les experts appréhendent les risques en fonction de leurs expériences et selon les règles d’énonciation qui gouvernent le collectif de pensée dans lequel ils évoluent. Ils ne produisent généralement pas de certitudes relatives à des relations de causalité, mais le plus souvent des scénarios plausibles à partir desquels ils envisagent des niveaux d’acceptabilité des risques.
Ces deux approches des risques sont ainsi structurellement marquées par des conflits de perspectives parce que, par delà de la notion de risque qu’elles partagent, elles ne partent pas des mêmes prémisses, ne font pas référence aux mêmes réalités. Les procédures de communication sur les réseaux sociaux ne font qu’accroître les risques et renforcent les profanes dans leur adversité à l’égard des experts.
La prévention permet de réfléchir sur les seuils d’acceptabilité des risques de façon plus ouverte. L’enjeu en matière de prévention porte sur l’appropriation par les profanes des risques tels qu’ils sont définis par les experts et la loi. Il concerne donc la façon dont ces profanes inscrivent les risques dans leur mode de vie et dont ils les interprètent pour être en capacité de se déterminer à l’égard des marges d’incertitude auxquelles ils sont confrontés. On peut alors dire qu’un risque devient acceptable s’il est incorporé au contexte dans lequel l’individu agit et si ce dernier a le sentiment de pouvoir le maîtriser en fonction des ressources sociales et communautaires dont il dispose.
Comme les contextes sont différenciés, un risque ne sera jamais totalement acceptable ; il peut conduire à des craintes démesurées. C’est avec l’existence de variations dans l’appropriation des risques que la question du seuil est abordée.
Conclusion
La question du seuil façonnable des risques ne peut pas être abordée exclusivement de façon experte à partir des risques, mais elle doit prendre en compte l’environnement dans lequel on évolue. En ce sens, il est un enjeu social et culturel. Il devient donc important d’intégrer une communauté BDSM ou de cordes.
Ferdinand Tönnies (Communauté et société, 2010) : « Alors que la communauté est caractérisée par la proximité affective et spatiale des individus et se définit donc comme « une communauté de sang, de lieu et d’esprit » où le tout prime sur l’individu, la société, en revanche, est le lieu d’un individualisme débridé et destructeur, d’une concurrence généralisée entre les hommes désormais isolés et séparés les uns des autres, le règne de l’intérêt personnel désormais au fondement de tous les rapports sociaux.
Alors que l’homme de la communauté ne choisit pas ses appartenances mais se trouve immergé au sein d’un tout organique qui détermine sa manière de se rapporter aux autres, l’homme de la société choisit arbitrairement ses relations en fonction de l’intérêt, essentiellement pécuniaire, qu’elles représentent pour lui.
Alors que dans la communauté, les rapports humains sont fondés sur des rapports authentiques et essentiels, sur des liens affectifs, biologiques et traditionnels qui conditionnent l’ensemble de l’existence, dans la société, « chacun est un marchand » obéissant à son pur et simple égoïsme. » Voilà pourquoi j’ai préféré parler d’intégrer une communauté et non d’intégrer une société.
Toute communauté se caractérise par la prise en compte et la maîtrise de certaines incertitudes. Les manières d’être et de faire qui la caractérisent permettent à ses membres d’organiser leurs relations sur des bases prévisibles. C’est la réalité collective qui rend certains risques acceptables.
L’acceptabilité des risques doit s’inscrire dans la loi aussi.
Peut-on dire que l’appropriation culturelle des règles dans la communauté BDSM ou des cordes garantissent les risques ? Forcément que non, l’appropriation culturelle des règles ne définit qu’un seuil d’acceptabilité des risques par anticipation.
Source : Marcel Calvez