Le rôle de la respiration dans le BDSM ou dans les cordes
Note 1 : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique, ils ont à la fois la valeur d’un féminin et d’un masculin.
Note 2 : Dans cet article, je vais essayer de vous parler du rôle de la respiration dans l’accompagnement de la personne soumise ou encordée dans le BDSM ou dans les cordes selon mon point de vue.
Il existe un outil tout simple pour commencer à reprendre le contrôle, la maîtrise sur soi : la respiration !
Souffle et cerveau sont si étroitement liés que la respiration a une influence décisive sur le psychisme. Elle module aussi bien la conscience de soi que les capacités cognitives et les émotions.
La respiration est une fonction bien particulière : comme les pulsations cardiaques, elle est automatique, fonctionnant même pendant le sommeil, et autorégulée ; mais à l’inverse de ces dernières, il est aussi possible de la commander volontairement. On peut ainsi retenir son souffle pour nager sous l’eau, éviter une mauvaise odeur, être le plus silencieux possible… mais également s’en servir pour communiquer, que ce soit à travers un simple soupir d’exaspération ou par le biais de la parole : en court-circuitant le contrôle automatique de la respiration, nous sommes capables de doser subtilement notre souffle pour produire des mots, des intonations ou des phrases.
Cette particularité de contrôler sa respiration, est permise par un double système de contrôle : certaines zones du tronc cérébral assurent le pilotage automatique et inconscient de la respiration, tandis que des régions corticales peuvent prendre le dessus et imposer un rythme particulier.
Le contrôle et la maîtrise de la respiration sont essentielles à la conscience de soi !
Dès qu’une zone cérébrale nommée “insula” détecte une anomalie ou une simple modification (par exemple un essoufflement), il fait émerger la respiration dans la conscience. On parle d’intéroception, littéralement la perception de l’intérieur. L’objectif étant de sonner l’alarme en cas de danger pour l’organisme.
Les informations respiratoires ont un effet sur le système nerveux. Plusieurs études ont montré chez l’homme, qu’elles modulent en continu l’activité cérébrale, cela favorise l’éveil et la vigilance, tout en ayant un rôle synchronisant.
Jay Gottfried, à l’université Northwestern, a ainsi découvert que l’activité de nombreuses régions cérébrales oscille au rythme de la respiration. Ils ont découvert que pendant la phase d’inspiration, on mémorise mieux et on reconnaît plus vite une expression apeurée sur un visage que lors de l’expiration. c’est avantageux dans une situation dangereuse, car la peur nous pousse alors à déséquilibrer notre souffle en faveur de l’inspiration, déclenchant un salutaire petit coup de fouet cognitif.
La respiration participerait aussi à la construction par l’organisme de sa propre identité, de la conscience de soi corporelle (en anglais bodily self-consciousness). C’est elle qui nous permet de savoir à tout instant que notre corps nous appartient et que nos expériences conscientes lui sont liées, sans avoir à le bouger ou le tester.
La conscience de soi dépend de la respiration, même si, bien sûr, ce n’est pas exclusif. Pour la construire, notre cerveau intègre de multiples informations. Certaines viennent de l’intérieur de l’organisme, comme celles issues de la proprioception (la perception de la position des différentes parties du corps), d’autres de l’extérieur, fournies par exemple par les cinq sens. La respiration, quant à elle, est au croisement des deux. Elle collecte en effet aussi bien des informations sur l’intérieur du corps (issues des muscles, des articulations, des poumons…) que sur l’extérieur (l’humidité de l’air, les odeurs). Conséquence de cette influence de la respiration sur le psychisme, quand l’une est perturbée, l’autre l’est aussi. Un certain nombre de capacités cognitives sont également affaiblies. Avoir du mal à respirer diminue ainsi la perception de la douleur (on commence là à voir des informations fortes intéressantes pour permettre aux personnes soumises de contrôler, de gérer, de maîtriser la douleur, afin d’aller au-delà, c’est à dire dans leur subspace), perturbe la réalisation de tâches simples (on met par exemple plus de temps à se lever, marcher trois mètres et revenir se rasseoir), dégrade les capacités d’attention soutenue et altère la capacité à reconnaître des émotions chez les autres (encore une information fort intéressante dans le BDSM, cela va donc aider à lâcher-prise -> oublier l’environnement, les autres, pour aller dans sa bulle).
Cela s’explique sans doute en partie par un effet attentionnel (difficile de se concentrer sur une tâche intellectuelle quand l’esprit est obnubilé par la souffrance), mais on soupçonne aussi une compétition pour les ressources corticales. En effet, quand le tronc cérébral ne parvient plus à assurer une respiration normale, le cortex vient à sa rescousse. Du coup, il est moins disponible pour les tâches cognitives, et ce qui aide la personne soumise à beaucoup moins prendre conscience de son environnement, à beaucoup moins réfléchir à ce qu’il se passe, elle lâche le garder-prise pour aller vers le lâcher-prise.
Le neurologue Lionel Naccache, a démontré que délivrer le cortex de la tâche de respirer libère des ressources pour d’autres fonctions cognitives. Mais c’est surtout sur l’état émotionnel que le souffle exercent son influence. La respiration est en effet sous la surveillance étroite des circuits cérébraux dits limbiques. Quand elle devient difficile, ces circuits, impliqués dans les émotions, s’activent intensément (ce qui devient aussi très intéressant pour guider la personne soumise vers son voyage (subspace)). Le souffle fait alors irruption dans la conscience, suscitant une déferlante d’émotions négatives : le plus souvent l’anxiété et la peur, mais parfois aussi la frustration, la colère et un abattement intense. Voilà pourquoi il est plus qu’important qu’avant d’amener la personne soumise ou l’encordée vers son voyage (subspace), il faut qu’elle ait une pleine confiance en la personne dominante, qu’elle ressente une grande chaleur humaine, qu’elle ressente une pleine maîtrise, une énorme assurance chez la personne dominante, sinon cela va provoquer l’angoisse, l’anxiété… Elle n’aura qu’une seule envie, qu’on cesse tout, tout de suite ! Toute personne soumise qui était en connexion avec la personne dominante lors d’une scène BDSM ou de cordes, a connu cet instant d’angoisse, de peur, d’anxiété… et à ce moment-là, un travail sur sa respiration l’a libéré de ces émotions négatives déferlantes.
Si ce travail de mise en confiance, d’assurance, de rassurance n’est pas fait avant, alors la personne soumise ou encordée rentre dans un cercle vicieux : la peur la fait respirer plus fort, et respirer plus fort lui fait peur. En conséquence, son cœur s’accélère, son corps se couvre de sueur, son visage se déforme sous l’action de l’angoisse et de la souffrance…
Il faut agir sur sa respiration pour agir sur son esprit !
Le pouvoir du souffle sur nos émotions peut aussi être utilisé pour le bien-être ! L’abondance d’informations respiratoires qui remontent au cerveau a une conséquence fondamentale : il est très facile de “défiltrer” des informations, simplement par la pensée. Autrement dit, en se concentrant sur sa respiration, on peut accéder à toutes sortes de sensations associées : on perçoit l’air qui passe dans le nez, on l’entend s’engouffrer en nous, on sent les poumons et le ventre se gonfler… Cela permet de se recentrer sur soi, et donc d’oublier l’environnement.
Il faut donc travailler sur la respiration pour atteindre cette faculté de “déflitrer” ! Cela permet d’obtenir deux types de résultat :
- D’une part, une respiration consciemment perçue et contrôlée ;
- D’autre part, une respiration plus lente, plus ample, plus régulière.
Cela exerce un réel effet apaisant. Une respiration lente et profonde stimule le système dit parasympathique, qui apaise l’organisme. En effet, les poumons et les bronches sont dotés de multiples récepteurs nerveux, captant notamment l’ampleur de leur étirement. Ces récepteurs sont connectés au système parasympathique et leur activation intense provoque la mise en jeu de ce dernier, avec un effet inhibiteur destiné à éviter que l’appareil respiratoire ne s’abîme en se gonflant trop. Cet effet inhibiteur s’étend aux pulsations cardiaques, qui ralentissent, et agit également sur certains centres cérébraux des émotions. Au final, il se traduit par un effet relaxant, qui aura pour effet de permettre à la personne soumise de se dépasser, d’aller au delà de la douleur, pour partir dans son voyage, son subpsace.
Notons que si on aborde la réflexion par une approche corps-esprit, respirer “par le ventre”, autrement dit en contractant le diaphragme, parce que cela active davantage le système parasympathique. Une inspiration diaphragmatique gonfle davantage les lobes inférieurs des poumons, qui sont bien plus grands que les lobes supérieurs ; elle active donc davantage de récepteurs pulmonaires, d’où une plus grande stimulation du nerf vague. En outre, elle comprime le contenu abdominal, abondamment innervé par ce nerf, qui s’active encore davantage.
Un second mécanisme tient à la focalisation des ressources cérébrales sur la respiration. C’est une façon de s’extraire du monde extérieur et de mettre à distance des éléments préoccupants ou stressants. Savoir que l’on respire et agir consciemment sur son souffle donne aussi un sentiment de contrôle réconfortant, la perte de contrôle est en effet particulièrement anxiogène, et pousse vers le garder-prise.
En 2018, Jose Herrero, de l’institut Feinstein de recherche médicale, à New York, a montré que lorsqu’on prête attention au souffle, des régions qui n’étaient pas synchronisées sur la respiration le deviennent ; c’est le cas du cortex cingulaire antérieur, une zone impliquée dans la conscience de soi. Les conséquences sur l’état psychologique de la personne soumise ou encordée va l’aider à réaliser son voyage (subspace). Moduler le souffle influence aussi certaines zones émotionnelles du cerveau via des connexions directes avec les centres de contrôle respiratoire, ce qui va aussi aider la personne soumise ou encordée à réaliser son voyage (subspace).
Cet exercice respiratoire (contrôle, maîtrise) peut modifier durablement l’organisation et le fonctionnement de certains circuits cérébraux, au travers de mécanismes de neuroplasticité. la représentation corticale du diaphragme augmente en taille et en sensibilité après quelques scènes ou cordes où la personne encordée ou soumise a travaillé sa respiration diaphragmatique. La maîtrise et et le contrôle de sa respiration lors de scènes ou de cordes modifie aussi l’activité de nombreuses aires cérébrales, voire leur volume. L’insula devient ainsi moins réactive et déclencherait moins facilement du stress et de l’anxiété dans les situations de vie difficile. Voilà certainement une des raisons pour laquelle les personnes pratiquants le BDSM ou des cordes sont statistiquement plus équilibrées que les personnes vanilles. Un peu comme ce qu’on observe chez certains athlètes adeptes des efforts extrêmes : leur insula réagit de façon moins intense à une stimulation respiratoire désagréable (inspirer à travers une valve), car elle est habituée aux essoufflements importants.
Qu’en est-il de la cognition ? Étant donné l’influence de la respiration, travailler sur le contrôle, la gestion et la maîtrise de la respiration améliore-t-ils la concentration et la mémorisation ? Hélas non ! C’est même l’inverse. Toute personne qui a fait du sport sait, que lorsqu’elle réfléchit sur sa respiration, elle perd ses moyens, d’où la nécessité d’avoir une énorme condition physique pour mieux réfléchir pendant son effort. Conclusion, réaliser un exercice respiratoire implique de focaliser l’attention sur le souffle et de mobiliser des ressources corticales, ce qui a un impact négatif sur la réalisation simultanée d’une autre tâche. Il peut être utile d’effectuer un tel exercice pour calmer son stress, mais au moment de passer à l’action, il ne faut plus penser à respirer ! C’est contre-productif…
Par le biais du contrôle volontaire, la respiration offre un puissant moyen d’influer sur l’état psychologique. Par un autre biais aussi, d’ailleurs : voir ou entendre quelqu’un respirer calmement est apaisant, rassurant (pensez-y lorsque vous encordez ou que vous êtes la personne dominante dans une scène). La personne soumise ou encordée n’a alors qu’à se laisser bercer par le souffle de l’encordeur ou de la personne dominante ; en quelques secondes, elle devrait sentir son stress refluer…