Quel sens donner à notre BDSM ou sommes-nous dans une crise existentielle ?
Note 1 : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique, ils ont à la fois la valeur d’un féminin et d’un masculin.
Note 2 : Dans cet article, je vais parler de ma vision de la crise existentielle que l’on peut voir dans le BDSM ou dans les cordes aujourd’hui.
Après s’être intéressée pendant des décennies à identifier les facteurs qui contribuent au bonheur, la psychologie se tourne vers une nouvelle question, et je me pose cette même question face à cet arrivage massif de jeunes de moins de trente ans dans le BDSM ou dans les cordes : qu’est-ce qui donne le sentiment du sens ? Ce sentiment serait-il finalement plus important que le bonheur ?
Un malaise aujourd’hui provoqué par un manque de sens et par la difficulté que l’on éprouve parfois à le trouver. Demander à un jeune la raison pour laquelle il vient dans le BDSM ou dans les cordes, le met dans une posture inconfortable, il a du mal à trouver de la logique de la raison à sa démarche.
En dépit de tous les avantages que la vie d’aujourd’hui peut offrir comparée à celle du siècle dernier, les individus ont du mal à absorber les nouvelles logiques qui sont en oeuvre dans ce nouveau monde.
Il y a eu le burn-out, qui consumait les gens par excès de pression, puis le bore-out, qui les faisait mourir d’ennui, et on parle depuis peu de brown-out, une perte de repères liée au sentiment de ne pas savoir à quoi on sert, d’être perdu dans leur environnement, dans le monde dans lequel ils évoluent.
Dans le mode de vie frénétique dans lequel des jeunes de moins de 30 dans le BDSM ou dans les cordes évoluent, ils sont dans l’hyperconsommation, dans le consumérisme. Certainement qu’ils consomment pour oublier.
Les enjeux ultimes de l’existence
L’angoisse est le carburant de la souffrance psychique et des troubles psychologiques. Les angoisses les plus fondamentales, celles qui se trouvent liées aux enjeux ultimes de notre existence sont :
- La mort
- L’isolement ontologique (la solitude) : la limitation dans la relation à autrui
- L’absence de sens : compréhension du monde et quel sens donner à sa vie
- l’absence de détermination : même si “nous n’avons pas demandé à naître” , à partir du moment où nous sommes conscients, nous sommes inéluctablement responsables de notre existence, de nos actes, de nos engagements, de ce que nous sommes. Nous ne pouvons échapper à la nécessité de faire des choix et, et notre liberté nous semble souvent beaucoup trop lourde.
Pour échapper à ses angoisses, deux possibilités :
- Vivre une illusion de fusion avec autrui : ce qui entraîne une dépendance affective, une passivité…
- Un comportement héroïque : ce qui entraîne une indépendance excessive, une recherche de perfection, une immersion dans le travail, à l’isolement…
Les modalités défensives sont nombreuses, qui peuvent nous amener à de la rigidité, et à systématiser sans cesse.
Les conséquences de ses défenses sont diverses : mal-être, crises d’angoisse, troubles psychotiques, dépression, mais aussi perte de sens, dépendance affective, difficultés relationnelles, addictions, comportements à risque, répétition des échecs, etc.
Exemples de défenses :
- La fusion et la dépendance : Il fuit ses responsabilités et les délègues à ses proches. Il souffre alors d’une incapacité à grandir, à s’affirmer, à agir, à se séparer d’autrui.
- Le masochisme : il s’efface, se “sacrifie” à autrui, et croit ne pouvoir vivre que dans la domination d’un autre, lequel le domine et le confirme dans l’idée qu’il n’est “rien” .
- L’hyperactivité sexuelle : il dénie son angoisse de mort par le biais d’une activité sexuelle compulsive et obsessionnelle censée exprimer les débordements de la vie, mais dont la fonction est aussi de dénier ses propres responsabilités (impulsion).
- Les conduite d’échec : il se démène mais aboutit régulièrement à l’échec.
- L’esquive des responsabilités
- …
Il y a donc un problème identitaire, un problème existentiel, une crise du sens chez certains individus de moins de 30 ans. Ils ont du mal à tracer leur chemin dans une société devenue trop complexe, surchargée d’informations qui peuvent aussi être excluante. Ils ne trouvent pas de sens à leur vie.
Les addictions telles que les réseaux sociaux ou les mondes virtuels leur proposent un échappatoire face au vide de leur vie, face à leur manque de sens. Ils ont trouvé un moyen pour échapper à se vide de sens, c’est en se réfugiant dans des mondes virtuels, dans des réseaux sociaux, les liens sociaux sont forts, il se passe toujours quelque chose, ils peuvent trouver une forme de reconnaissance.
Le sens n’est plus donné par la société, par l’école, par les religions, par les traditions, par les cultures, il faut donner du sens à sa vie soi-même.
Plus j’apprends, plus j’accumule de l’information, et plus je prends conscience de l’immensité de ma méconnaissance, plus je prends conscience que je sais peu. Socrates fut l’un des premiers à le dire : “je sais que je ne sais rien, et c’est là mon plus grand savoir” . Cette prise de conscience peut générer de l’angoisse : quelle signification à notre existence au milieu de cet océan ? La perception d’un sens à notre existence à un impact sur notre existence, sur notre bien-être.
Le BDSM ou les cordes ne doivent pas être pris comme un substitut à notre manque de sens existentiel. Pour entrer dans le monde des cordes ou du BDSM, il est nécessaire de ne pas être dans une crise existentielle. Il est nécessaire que notre vie soit posée. Il faut que le BDSM ou que les cordes répondent à un besoin de complétude à notre vie.
“La plupart des gens se rendent bien compte, au bout d’un moment, qu’il est illusoire de vouloir trouver le sens de la vie, comme s’il pouvait exister de manière absolue et générale” Tatjana Schnell, psychologue de l’université d’Innsbruck, en Autriche.
D’après Tatjana Schnell, le sens que chacun peut trouver dans son existence se reconnaîtrait à quelques caractéristiques :
- La signifiance : ce que nous faisons n’est pas indifférent, mais est au contraire important, pour nous et pour les autres.
- L’appartenance : le sentiment d’avoir sa place dans le monde, la société, la planète, la famille, tout ce qu’on voudra.
- La cohérence : le fait que ce qui arrive dans notre vie n’est pas totalement chaotique mais obéit à un certain ordre, voire une harmonie.
- L’orientation : savoir quelles valeurs on défend et quels buts on poursuit.
“Nous voulons tous savoir à quoi nous sommes bon, et apporter quelque chose au monde. Cette générativité est un des pilier du sens” selon T. Schnell. La générativité désigne le fait de mettre en œuvre des actes qui apportent quelque chose à la postérité (même à petite échelle) ou au monde qui nous entoure, que ce soit en dispensant un savoir, en s’engageant dans la politique ou le bénévolat. “Celui qui vit de manière générative a de grandes chances de percevoir sa propre existence comme pleine de sens”, selon T. Schnell.
La personne qui cherche du pouvoir, l’accroissement de ses performances, sa liberté et son individualisme ne trouvera en cela que peu de sens, car cela fait plus référence à la réalisation de soi qu’à une quête de sens. L’individu trouvera du sens dans sa vie en allant puiser dans au moins trois éléments (cités plus haut) : signification, appartenance, cohérence, orientation.
Prendre ses responsabilités et prendre conscience de l’impact qu’ont nos actes sur la vie d’autrui influeront sur notre recherche de sens. De plus selon Batthyany, “Celui qui est tourné vers la vie, parce qu’il est là pour les autres ou parce qu’il accomplit un devoir, évite que ses pensées gravitent en permanence autour de soi-même.”
On voit de plus en plus apparaître un nouveau phénomène chez les jeunes l’indifférence existentielle. Ils sont de plus en plus existentiellement indifférents, ce n’est qu’avec l’âge, en grandissant que cette posture devient plus rare. Sans doute une des raisons pour laquelle on voit de plus en plus de personnes entre 15 et 30 ans dans le BDSM ou dans les cordes. Une sorte d’ordalie, une appétence traumatophilique ou traumatotropique, ils s’en remettraient à “Dieu” afin de trouver du sens à leur vie, à leur existence. L’appétence traumatophilique ou traumatotropique explique que c’est autour de la recherche de l’excitation et de la recherche des limites de l’excitation que viennent se nouer des dynamiques. “Je fais l’hypothèse (…) que les particularités et les difficultés que présentent l’abord et le traitement psychanalytique des adolescents et de certains post-adolescents renvoient à l’existence – au moins chez ces patients et peut-être de manière générale chez tous les êtres humains – d’une sorte d’appétence ou besoin traumatophilique, ou traumatotropique, impliquant une recherche des limites de l’excitation.» (J. Guillaumin 1985). La perception d’un sens dans l’existence a un impact profond sur le quotidien. Les recherches montrent que lorsqu’on sent que sa vie a un sens, on est globalement plus satisfait, optimiste, davantage inséré socialement et plus apte à affronter le stress.
La quête du bonheur ne donnera pas de sens à votre vie. Selon Alexander Batthyany “Le bonheur est un bien inestimable, lorsqu’on a la chance de le posséder. Mais il ne peut pas être le but d’une vie. Quand il s’agit de faire en sorte que le bonheur ne soit pas qu’une humeur qui va et qui vient, il doit être maintenu dans le sens de notre existence.” Il faut comprendre que pour le bien-être de tout individu, le sens compte plus que le bonheur.
Le psychologue Jinhyung Kim, en 2016, a démontré que l’orientation vers le sens se reflète aussi dans le comportement de consommation. Oishi et Diener ont tout de même pu montrer que le sentiment de communauté et la dimension spirituelle sont de très forts pourvoyeurs de sens. Dans les nations industrialisées, il est montré que l’activité à laquelle les individus consacrent le plus de temps après le sommeil, est le travail. Le travail serait pour eux une activité porteuse de sens car le travail permet de réaliser son potentiel personnel, et d’être utile à la société. Pourtant d’après Tatjana Schnell : les personnes qui attendent de leur travail qu’il leur délivre du sens sont plus facilement frustrées. Les psychologues américains Stuart Bunderson et Jeffery Thompson en 2009, ont montré que placer le sens de sa vie dans le travail peut aussi comporter des désavantages.
Pour trouver du sens dans sa vie, il faut au préalable se poser les bonnes questions, avoir le courage de se poser des questions liées à l’existence. Selon Tatjana Schnell : il est bien souvent douloureux de s’apercevoir que la vie qu’on mène n’est pas compatible avec ce qui nous semble correspondre à nos aspirations ou notre personnalité. Il est alors important de prendre le temps et l’espace de s’occuper de cette question centrale. Ce dont le quotidien nous offre rarement l’occasion. Il faut savoir observer, et observer de manière active, il faut prendre conscience que notre environnement, que notre existence est riche de sens.
0 thoughts on “Quel sens donner à notre BDSM ou sommes-nous dans une crise existentielle ?”
Visitor Rating: 3 Stars
Visitor Rating: 4 Stars