L'obéissance et se faire obéir dans le BDSM
Note 1 : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique, ils ont à la fois la valeur d’un féminin et d’un masculin.
Note 2 : Dans cet article, je vais essayer de vous parler de l’obéissance et de se faire obéir dans le BDSM selon mon point de vue.
“Ton Maître tu honoreras” Ce commandement, connu ou au moins reconnu dans les mœurs BDSM, et qui met en valeur le modèle BDSM.
Ce même commandement, dont l’observation impliquait le rôle prépondérant de la forme, n’est plus aussi récité qu’il le fut jadis. Loin d’avoir été abattu par les fluctuations des idéologies et des comportements, il continue à concourir à l’ordre social dans le BDSM. De grandes évolutions sociales ont modifié les relations, plaçant l’être humain dans sa singularité au cœur des valeurs occidentales. Dans la sphère privée, les violences des parents envers leurs enfants n’ont pas disparu, mais elles sont honnies dans la sphère publique où un enseignant ne pourrait plus se targuer de faire obéir un élève en lui tapant avec une règle sur les doigts comme nous l’ont raconté nos grands-parents. Les donneurs d’ordre ne peuvent plus ignorer que l’individu se trouve au point de rencontre d’un genre, d’une classe d’âge, d’un milieu d’origine, d’une confession, etc., et qu’il est le plus souvent perméable aux interactions des comportements du groupe qui l’entoure, ceux-ci s’inscrivant eux-mêmes dans une hiérarchie plus ou moins claire de dominations. Mais si les soumises n’obéissent plus aussi assidûment que par le passé, elles savent toujours qu’elles doivent respect, sincérité et obéissance à leur Maître.
“Ton Maître tu honoreras” n’a pas été désavoué, mais le respect de cette règle, la façon dont elle est comprise, acceptée et mise en pratique ont pris des formes nouvelles.
Une évidence : le mot “obéir”, précédé d’un pronom personnel, ne s’utilise plus qu’avec parcimonie. Il va à l’encontre de la priorité donnée à la liberté individuelle et s’associe facilement aux excès de nos jours. Mais si le mot est rarement employé dans la sphère civile, si les châtiments corporels ou l’humiliation ne sont plus ouvertement utilisés pour se faire obéir, si l’obéissance s’attache plus au fond qu’à la forme, elle est toujours bien présente dans le BDSM.
Plus personne ne se souvient de nos jours, que les règles et codes BDSM viennent du monde militaire (voire Leathermen et Old Guard (Vielle Garde) ou les origines du BDSM). Certains diront que les militaires obéissent sans penser, comme le suggèrent les défilés et revues dont la mécanique sans faille ne laisse aucune place à l’improvisation ou à l’adaptation. C’est oublier qu’existe depuis 1966 dans le Règlement de discipline générale et depuis 1972 puis 1975 dans le Statut général des militaires un devoir de désobéissance, prévu par ces textes au cas où les ordres donnés ou exécutés seraient contraires aux lois, aux coutumes de la guerre et aux conventions internationales. C’est également oublier qu’aujourd’hui encore plus qu’hier une obéissance fondée sur la crainte ou le seul “drill” est vouée à l’échec. Mais le principe de désobéissance est certainement plus facile à brandir loin du terrain que dans le feu de l’action. Car s’il est rare de devoir désobéir, il est aussi difficile de le faire. La désobéissance se pense et se décide, s’endosse. Elle est peut-être, plus souvent que l’obéissance, la décision d’un individu face à un autre individu, alors que la culture militaire est surtout connue pour donner la primauté au collectif. À cette règle pérenne s’en juxtapose une autre bien en phase avec le BDSM : la responsabilisation de la personne, l’obligation du choix, une situation peu fréquente dans l’action militaire, mais possible.
Dans ce mouvement ambivalent, le Maître joue un rôle clef. Son autorité découle de sa position hiérarchique et de sa position de leader. Lorsque celle-ci est acceptée, son pouvoir est perçu comme légitime ; pouvoir de sanction, de récompense, de compétence, de référence, pouvoir qui intègre la dimension affective dans le temps de l’action. C’est lui qui, transmet la culture BDSM, qui englobe autant les valeurs que l’histoire comme exemple ou contre-exemple, l’organisation, la structure sociale, les codes et règlements, les rites et coutumes, les cérémonies. Transmise de personne à personne, la culture BDSM “fait lien”, au risque de se perdre si l’identité forte qu’elle peut faire naître prend le pas sur toute autre considération. Complexité de l’action et de l’autorité expérimentées, pratiquées, mêlées l’une et l’autre, indissociables, à partir desquelles chacun écrit son aventure humaine. Si le Maître fait autorité, s’il fait confiance à sa soumise, il sera en retour reconnu et obéi.
Élément de la culture BDSM, l’obéissance est loin d’être, de nos jours, un réflexe pavlovien ; elle est plutôt, au niveau individuel et du groupe, une décision qui résulte d’interactions où de multiples facteurs interviennent sans que l’on puisse savoir d’emblée ce qu’ils vont faire advenir… Son contraire, la désobéissance, ne l’est pas plus, sinon encore moins. Car désobéir, c’est “lâcher“ la communauté, dénier l’autorité et donc prendre le risque de ne jamais être reconnue, quitter son Maître pour s’avancer, seule, vers des contrées inconnues.
L’obéissance est donc une règle respectée, admise, alors que l’on craint de devoir désobéir.
Qui au xxie siècle oserait demander une obéissance aveugle ou irréfléchie à un ordre ? Qui s’étonnerait du sens des responsabilités qui se développe à tous les niveaux que l’on ne pratique plus comme avant, au prix, comme dans la société vanille, de souffrances individuelles lorsque l’individu n’est pas en mesure de prendre une décision réfléchie et préfère l’ordre, la norme et la structuration des activités à la responsabilité ? Mais au moins les militaires s’adossent-ils à un groupe constitué qui,
Normalement dans le BDSM, on connaît le sens de son action et où chacun dépend de l’autre dans une solidarité partagée. Ce n’est pas le cas dans la sphère vanille où l’individu doit aussi, en solitaire, “se gérer”, “se prendre en main”, “définir et avoir un projet”, sans qu’il soit souvent possible d’y trouver un fondement. Les uns obéissent, les autres agissent seuls (ou le croient) dans l’incertain existentiel, chacun tirant fierté de ses choix.
La discipline passive du passé, est devenue active à nos jours, l’adhésion au Maître qu’elle implique impose de partager ses valeurs, qui ne peuvent être que celles de tout à chacun, et de s’en savoir responsable, chacun à son niveau, pour prendre, si nécessaire, les initiatives qui s’imposent pour qu’elles soient respectées.
la “discipline formelle” se différencie bien de la “discipline intellectuelle”, la dernière l’emportant toujours. Concrètement, l’obéissance intellectuelle se donne pour but d’atteindre l’objectif qui a été défini par le Maître. Elle peut cependant être une désobéissance dans la forme, une désobéissance de fait couvrant une initiative destinée à atteindre l’objectif donné par le Maître, sachant que ses modalités respectent les codes et les règles du BDSM.
Les règlements de discipline générale des armées empruntent les habits de leur époque et de la société qui les édictent. Après avoir demandé une obéissance par soumission en 1933, puis par discipline en 1966, ils invoquent l’adhésion en 1975. En 1998, le chef d’état-major de l’armée de terre écrit : « Dans une armée professionnelle, le devoir de tout cadre investi d’une fonction de commandement est de rendre progressivement autonome et apte à se déterminer par lui-même le personnel qui sert sous ses ordres. » La raison est mise en exergue sans renier la formule du général Frère : “Obéir d’amitié.” Quand est-il dans le BDSM ?
Injonctions passées de mode, “obéis et tais-toi” et son pendant machiste “sois belle et tais-toi” appellent automatiquement une réponse, qu’elle soit exprimée à voix haute ou non : “Pourquoi obéir et pourquoi me taire ?”
L’autorité sert un projet, et ce projet comme ses finalités sont à connaître pour que chacun en soit responsable. Ses modalités de réalisation se réfèrent à une éthique partagée ; celle-ci indique ce qu’il faut faire, puis ce qu’il est possible de faire dans l’action, la déontologie exprimant au final ce qu’il est préconisé de faire. Obéir et se faire obéir se relèvent d’une connaissance (savoir), d’une capacité (savoir-faire), et d’un comportement et attitude (savoir-être).
Les règlements portant sur l’obéissance et la façon dont on se fait obéir reflètent l’état visible de la morale et de l’éthique d’une société et celui des relations intra et interindividuelles dans un groupe donné. Dans le BDSM, le soumise est fréquemment considérée comme une personne “qui obéit mais ne pense pas”. Il faut reconnaître que beaucoup de personnes Dominantes ont oeuvré et oeuvrent encore dans cette dernière maxime : » obéit mais ne pense pas”, il est plus facile pour eux de dominer une personne qu’ils manipulent en les enfermant dans une omerta (loi du silence) et en leur interdisant ou en leur contrôlant tout mode de réflexion et de communication. Il a toujours été plus facile de manipuler et de dominer un objet qu’un individu réflexif.
La désobéissance dans le BDSM ne devrait être acceptée que lorsqu’elle refuse un ordre ou une demande contraire aux lois, et dans la mise en danger de l’intégrité de la personne soumise. L’obéissance, quelle que soit sa forme, reste un mécanisme structurant parce qu’elle est le produit d’une interaction et d’une construction individuelle qui se cherche face à des pressions normatives. Pourtant, ni son rôle ni sa nécessité dans ce processus n’évitent la question que se pose toute personne : “Pourquoi ?” et “Pour quoi ?” De nos jours, obéissance, sens de l’action et éthique sont indissociablement liés.
source : Line Sourbier-Pinter.