Neurophysiologie de la douleur et du plaisir
Note 1 : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique, ils ont à la fois la valeur d’un féminin et d’un masculin.
Note 2 : Suite de l’article “Mettre des mots sur leurs é-maux-tions”.
Note 3 : Je tiens, là aussi, avant tout à m’excuser, car je risque de dire pas mal de bêtises. J’avance là dans un monde inconnu, ou peu de personnes se sont aventurées, et je mesure à quel point le chantier qui reste à faire, à découvrir est impressionnant. Je vous prie de lire cela comme une ébauche de réflexion que je souhaite partager avec vous. C’est un peu une exploration dans un monde connu et tout autant fort inconnu.
L’effet « portillon » (Gate Control) selon Melzack et Wall
La neurophysiologie de la douleur explique qu’il y a deux voix fondamentales, deux systèmes qui interviennent dans l’explication de la douleur :
- les voies ascendantes de la douleur : un phénomène qui est lié à tout ce qui est de l’ordre du somatosensoriel et qui fait que la douleur est bien de l’ordre d’une sensation, d’une perception ;
- le contrôle descendant de la douleur : une intervention du système limbique, les voix de la douleur suivent tout un système lié à l’affectif qui explique pourquoi il peut y avoir un décalage, le fait qu’un individu ait une lésion physique et qu’en même temps il dise, qu’il n’éprouve aucune douleur.
Exemple d’un sportif qui est blessé et qui ne sente pas sa douleur. La douleur réelle perceptive de la sensation est bien là, mais l’importance apportée affectivement et cognitivement à l’enjeu du jeu fait qu’il ne sente pas qu’il ait mal.
Mais du coup, inversement un individu peut avoir une douleur extrême mais qu’il n’ait aucune lésion tissulaire. ça va dans les deux sens.
Un individu, comme l’insensibilité congénitale, peut dire qu’il a mal, que la sensation est réelle, intense, mais qu’elle n’est pas douloureuse.
La douleur peut être réelle, l’individu a une douleur intense, mais elle n’est pas ressentie comme désagréable. Il y a un phénomène de dissociation réactionnelle qui fait qu’il peut y avoir une dissociation entre l’aspect physiologique de la douleur et l’interprétation affective ou cognitive du phénomène et ça va dans les deux sens.
La théorie du Portillon (Gate Control) nous démontre qu’entre la douleur (physique) et la souffrance (mentale), il peut y avoir une souffrance qui correspond à l’image de la douleur, mais qu’on peut diminuer la souffrance d’une douleur, ou qu’on peut augmenter la douleur d’une souffrance.
Donc dans l’expérience de la douleur, il y a deux voies : la voie du somatosensoriel, et la voie de l’affectif. Ce n’est pas parce qu’en théorie, l’expérience de la douleur suit ces deux voies que dans la réalité, ce soit le cas, il faut dissocier ces deux types de voies.
Dans la neurophysiologie du plaisir, il y a déjà moins de recherche, mais le plaisir n’est pas une sensation, c’est la réaction à une sensation. Il fait intervenir majoritairement le système limbique. On ne peut pas rendre compte de l’expérience du plaisir comme on peut rendre compte de l’expérience de la douleur. On ne peut donc pas associer le couple douleur/plaisir, ils mettent en cause des mécanismes différents.
Aristote pensait que le but ultime de l’homme était le bonheur, Epicure lui, croyait qu’il s’agissait du fondement de la vie.
On peut comprendre alors que pour le plaisir, on parle plutôt d’un système de récompense/punition, de stimulus/réponse, ceci explique le problème réactionnel du plaisir.
Le fait que ce soit le système limbique qui intervient plus majoritairement dans les mécanismes émotionnels du plaisir, explique pourquoi il est très difficile de dissocier le plaisir du désir, très difficile de dissocier le plaisir de l’émotion, très difficile de dissocier le plaisir d’une éducation de notre sensibilité au plaisir.
Le système limbique fait intervenir tous les états émotionnels, affectifs mais aussi cognitifs. S’il y a une dimension cognitive extrêmement importante dans l’expérience du plaisir, on peut comprendre que le plaisir soit un “tout”, une certaine forme d’hédonisme, ce qui impose aussi une forme de discrimination des éléments tout, et qu’il puisse y avoir des degrés dans l’expérience du plaisir, qu’il peut y avoir une éducation.
Tous les mécanismes descendants de la neurophysiologie le montrent aussi bien pour la douleur que pour le plaisir, il peut y avoir une éducation de notre sensibilité au plaisir, de notre sensibilité à la douleur qui dépendent jusqu’à un certain point de tout un chacun.
Ce qui explique qu’il y a des plaisirs plus sophistiqués que d’autres, des plaisirs qui nous conduisent plus évidemment à une forme de bien-être, voire à une forme de bonheur que d’autres. Cela signifie qu’on est en droit d’introduire une gradation dans l’ordre des plaisirs, une hiérarchie, mais pas du tout pour introduire une valorisation ou un jugement moral, mais pour goûter encore mieux de ce qui est bon et souffrir encore moins de ce qui est mauvais. Une conception hédoniste, eudémonisme, étroite purement existentialiste ne permet pas d’analyser comme il le faut ce couple douleur/plaisir.
Les voies ascendantes et le contrôle descendant de la douleur
D’où part la douleur et dans quel type de fibre nerveuse elle voyage ? Essayons de comprendre ce qu’est la douleur rapide (ou aiguë) et la douleur lente (ou sourde).
Les voies ascendantes de la douleur(🄯)
Il faut comprendre déjà que ce sont des voies nociceptives, les informations sont transmises par des fibres nociceptives qui viennent des nocicepteurs, récepteurs sensoriels de la douleur. Ces nocicepteurs envoient une information au cerveau lorsqu’un stimulus d’une intensité suffisamment élevé peut menacer l’intégrité de l’organisme, autrement dit lorsqu’il est susceptible d’entraîner une lésion.
Toutes ces fibres nociceptives relient les organes périphériques à la moelle épinière, mais leur diamètre diffère grandement, de même que l’épaisseur de la gaine de myéline qui entoure la fibre nerveuse ou axone. Or le diamètre et la myélinisation influencent tous deux la vitesse de conduction de l’influx nerveux : plus le diamètre d’une fibre est grand, plus elle est alors myélinisée, et plus cette fibre conduira l’influx nerveux rapidement. Avec ces deux critères, on distingue les fibres sensorielles suivantes :
À noter que les axons de même diamètre que les fibres A alpha, A bêta, A delta et C issus non pas de la peau, mais des muscles et des tendons, sont aussi désignés groupes I, II, III, et IV.
Les différentes vitesses de conduction des deux types de fibres nerveuses nociceptives (A-delta et C) expliquent la façon particulière dont on ressent la douleur lorsqu’on se blesse : d’abord une douleur aiguë, vive et précise qui fait place quelques secondes plus tard à une douleur plus diffuse et plus sourde.
Les voies ascendantes nociceptives sont formées de fibres A-delta et C peu ou pas myélinisées (comparé aux fibres tactiles et proprioceptives très myélinisées : A-alpha et A-béta). Elles empruntent plusieurs voies d’origine évolutive plus ou moins anciennes afin de permettre la localisation et la connotation émotive désagréable de la douleur par le cerveau.
Ceci expliquant pourquoi certaines douleurs venant de divers artefacts sont ressenties immédiatement et pourquoi d’autres douleurs ne sont ressenties qu’après une certains temps, la douleur n’arrivant que plus tard au cerveau.
La perception subjective de la douleur est aussi grandement influencée par une multitude de facteurs cognitifs ou psychologiques. Certains sont reconnus pour augmenter notre perception douloureuse, comme le stress ou la dépression, alors que d’autres vont systématiquement l’amoindrir, comme une attitude optimiste et sereine.
Parmi les facteurs cognitifs qui amplifient la douleur, la détresse et l’anxiété sont parmi les plus fréquents. D’autres études ont démontré qu’un autre facteur qui peut augmenter grandement la douleur, c’est simplement l’attention qu’on lui porte ou que notre entourage lui porte.
Le contrôle descendant de la douleur
Il ne s’agit pas de voies rigides qui transmettent les messages nociceptifs intégralement et sans déformation de la périphérie jusqu’au cerveau. Les nocicepteurs peuvent être très activés sans qu’il y ait douleur, comme la soumise qui souffre derrière le fouet qui à un moment donné ne ressent plus la douleur, n’éprouve plus de souffrance et pourtant le fouet continue à l’impacter. Ceci est rendu possible grâce au contrôle descendant de la douleur (la voie descendante).
Il s’agit de voies nerveuses qui vont descendre des structures centrales pour aller réduire le signal nociceptif en provenance du corps qui chemine dans les voies ascendantes.
Du côté des facteurs cognitifs qui peuvent diminuer nos perceptions douloureuses, la simple distraction a mainte fois prouvé son efficacité. Expérimentalement, on a ainsi démontré que le seul fait d’écouter des sons durant l’application d’un stimulus douloureux diminue la perception subjective de cette douleur.
Dans le BDSM, les soumises nous montrent fréquemment lors de scènes SM, qu’il peut y avoir à un certain moment une atténuation de la douleur.
La signification que la soumise attribue à sa douleur peut donc aussi en influencer l’intensité perçue. Quand elle trouve une signification positive à sa douleur, cela a des effets bénéfiques sur la perception de son intensité.
Conclusion
L’idée que nous sommes entièrement conscients du monde qui nous entoure a été mise à mal par de nombreuses données expérimentales. Il semble en effet que notre environnement soit beaucoup trop riche et complexe pour que notre système nerveux puisse traiter toute cette information en temps réel à tout moment. Contrairement à la conscience globale du monde que propose le modèle classique de la conscience, nous ne portons finalement attention qu’à une infime partie de notre environnement et nous négligeons tout le reste.
Face à ces capacités conscientes restreintes, l’évolution aurait donc favorisé l’émergence de deux phénomènes complémentaires : les processus attentionnels et les processus inconscients. L’attention, la conscience et les processus inconscients découlent ainsi d’une même nécessité, celle de favoriser une action efficace dans un environnement complexe.
Les processus attentionnels entretiennent une relation très intime avec la conscience. Certains chercheurs pensent même que la conscience ne pourrait être qu’une extension du mécanisme d’attention associée à de la mémoire de travail.
Chose certaine, il existe beaucoup de théories sur l’attention mais toutes disent qu’on est attentif à quelque chose lorsqu’on sélectionne. L’attention survient en effet lorsque nous mettons le focus sur un certain stimulus, en lui accordant une sensibilité plus grande qu’aux autres.
Le corollaire de cet aspect sélectif est que si la soumise porte attention à quelque chose, elle peut arriver à négliger automatiquement beaucoup d’autres choses. Par exemple lors d’une scène d’impact, lorsque la soumise met son focus davantage sur la connexion, sur le lien, sur l’intention de son Maître que sur les impacts qu’elle reçoit. Nos ressources attentionnelles sont limitées et peuvent difficilement être affectées à plus d’un objet à la fois.
Seuls accèdent donc à la conscience les stimuli qui ont été sélectionnés comme dignes d’attention.
Il n’y a pas de ligne directe qui relie des récepteurs de la douleur à des « centres de la douleur » dans le cerveau. Et d’autre part, les voies de la douleur sont mieux décrites en terme d’influences ascendantes et descendantes concomitantes : une véritable symphonie d’activité neuronale se produit simultanément dans les deux directions, et c’est la rupture de ce fragile équilibre en faveur des messages nociceptifs excitateurs qui produit la douleur.
La douleur devient donc davantage une « opinion » que l’organisme se crée sur son intégrité physique qu’une réponse réflexe à une lésion.
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