Le jeu du gamer dans le BDSM 2.0
Note 1 : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique, ils ont à la fois la valeur d’un féminin et d’un masculin.
Note 2 : Dans cet article, je vais essayer de vous parler du jeu du gamer dans le BDSM 2.0 selon mon point de vue.
Pourquoi un nombre croissant d’individus s’investit-il dans les mondes imaginaires du BDSM ? Pourquoi sont-il inspirés des jeux de rôles sur table des années quatre-vingt ?
Alors que notre société revendique de plus en plus ses ambitions prophylactiques (qui prévient la maladie) au nom de la protection des personnes, de la santé des populations. La production de manifestations dangereuses et violentes semble davantage se développer. Un des exemples les plus édifiants de cette tendance paradoxale est celui du phénomène social des jeux BDSM dangereux et violents, qui semble toucher de plus en plus les nouveaux adeptes du BDSM. En effet, nous observons depuis quelques années chez les novices et les gamers, un intérêt croissant pour des pratiques “ludico-dangereuses” et “ludico-violentes”. La diversité, la sévérité ainsi que la précocité de toutes ces pratiques mettent en difficulté les players dans l’identification et dans la prévention.
Le but de cet article cet article est une réflexion sur la phénoménologie de tous ces jeux pratiqués par les novices ou les gamers, voire même des fois des personnes qui pensent ne pas être novices. On peut classer en quatre types de jeu cette phénoménologie : les jeux physiques, les jeux psychiques, les jeux “edgeplay” et les jeux de défi.
Jouer est un phénomène qui peut être compris comme produit et comme producteur de culture. Les jeux deviennent dans cette perspective le théâtre de visions du monde qui mettent en scène des constructions identitaires. Ils sont un moment fort d’expressivité de l’individuel et du collectif, et recèlent en cette qualité un profond potentiel interprétatif. La célébration doit néanmoins composer avec nombre de contraintes : celles du corps, du social, du culturel et les règles du jeu. Il est à se demander comment s’articulent ces contraintes avec l’expressivité et comment un tel contexte permet la projection, l’édification et la reconnaissance du soi. Comment l’”adversité” permet la réalisation de l’identité ? Jouer devient-il une manière d’explorer les contours du corps, de l’individualité, de la culture ? Est-ce que jouer est une manière de (re)négocier son identité ?
Le jeu de rôle a vu le jour en 1974. Jouer à un jeu de rôle c’est simplement réunir des gens pour y effectuer une sorte de performance théâtrale intimiste, raconter une histoire, la personne dominante est garant des règles plus ou moins complexes qui permettent la mise en place d’un univers partagé.
Olivier Caïra ( sociologue français) explique qu’en tant que mode de communication et d’énonciation spécifique, cette pratique ludique avait besoin d’un contexte lui aussi particulier pour prendre la forme qu’on lui connaît. Selon O. Caïra ce que la période a apporté c’est un contexte culturel riche et dense, contexte générationnel lié au renouveau du cinéma de genre américain, des comics, à la littérature populaire, à tout un ensemble qui explicite le fait que la pratique du jeu de rôle « n’est possible que dans une civilisation saturée de références fictionnelles » (Jeu de rôle, les forges de la fiction, Olivier Caïra).
Faire un jeu de rôle à un coût cognitif, cela demande des ressources et des compétences pour arriver à mobiliser, et à faire advenir un univers qui peut-être le cadre de l’expérience ludique et théâtrale. Il faut que les protagonistes dans la scène aient assimilé les règles, mais du fait du peu de connaissances pratiques, théoriques, disciplinaire et de la D/s des gamers durant la soirée, durant la scène, il devient nécessaire de partager des références communes, même si ces références n’ont rien à voir avec le BDSM 1.0. De ce fait, les références sont une chose importante, déjà dans les interactions entre gamers qui partagent souvent une culture commune (sexuelle et libertine très souvent), et pour la représentation de l’univers BDSM qu’ils en ont.
La grande majorité des jeux de rôle dans le BDSM sont directement issus d’univers pré-existants ou alors s’en inspirent fortement, issus d’un imaginaire virtuel du monde de l’internet ou de lectures de livre, ou issus de vidéo ou d’images de l’internet. Tous s’inspirent plus ou moins directement de fantasmes ou d’imaginaires déjà codifiés et cela leur permet de se plonger plus rapidement dans leur rôle. Cela peut même poser quelques soucis, car cela donne le sentiment que le jeu de rôle est un milieu un peu fermé et dur d’accès car les codes sont tous différents en fonction des gamers, qu’ils ont même du mal à définir la codification qu’ils utilisent lors de la soirée ou de leur scène. Ils feraient même une sorte de codage “clinique”. Je définis le BDSM clinique par un BDSM 2.0 exercé directement sur la personne soumise sans étude, analyse, compréhension, réflexion, anticipation préalable. Un BDSM 2.0 qui est pratiqué comme ça vient, on découvre au fur et à mesure qu’on pratique. Dans le cas du codage clinique, on génère nos codes au fur et à mesure de notre besoin, sans aucune éthique, réflexion, analyse, des codes qui nous permettent de nous placer, de légitimer nos pratiques, attitudes ou comportements. On invente nos propres règles du jeu au fur et à mesure que l’on joue.
Pour ces gamers, le jeu de rôle dans le BDSM 2.0 leur permet d’ajouter une dose de fantasy et/ou de fantaisie à leurs jeux qui étaient auparavant basés sur une culture et tradition vanille qui leur imposait des limites dans leur imagination et dans leur fantasme. Ainsi ce nouveau jeu (gaming) change leurs anciens jeux qui devient plus incarné plus personnel, le personnage qu’ils jouent devient un double d’eux, qui les suit et évolue, un véritable avatar.
Ce nouveau jeu de rôle comme la culture geek naît dans un contexte social complexe et spécifique, nous sommes dans un pays qui est en pleine remise en question politique, sociale et culturelle, et derrière tout cela, de manière sous-jacente, exemplifiée et exacerbée par ces phénomènes il y a une évolution de la question identitaire.
De cette remise en question naît un nouvel individualisme. L’individu comme élément de base de la société, qui doit réussir, s’épanouir, montrer qui il est, être singulier, unique. Ce nouvel individualisme qui guide beaucoup de nos comportements, mais en réalité c’est une construction historique.
Des années 1960-1970 (avec en France mai 1968 en point d’orgue), une seconde rupture, qui couvait depuis la fin du XIXe, s’est faite jour petit à petit, c’est pour cela que certains, comme le sociologue Anthony Giddens, la nomment modernité seconde (d’autres parlent de troisième modernité pour la période actuelle). L’humain reste un projet, mais le collectif ne devient central que parce qu’il valorise l’individu et son épanouissement. L’individu doit pouvoir choisir sa voie pour être le mieux possible. Nous sommes toujours dans des luttes identitaires, qui morcellent notre société qui n’est plus considérée comme un tout mais comme l’agrégation de plein de micro-groupes faits d’individus singuliers.
On retrouve ces micro-groupes faits d’individus singuliers dans les soirées BDSM, groupes que certains nomment “clans”, ainsi que dans la multiplication des groupes sociaux, des associations, etc.
L’idée est que ce qui nous définit n’est plus un ordre supérieur comme la vieille garde BDSM, mais qu’on peut sortir de cette vieille garde par choix, pour se trouver soi-même (c’est aussi la mode du développement personnel). Les sociologues disent qu’on ne sort pas si simplement de toutes ces forces socialisantes et que la notion de soi-même comme existant en dehors de toute influence collective est une illusion. Mais cette idée devient un modèle vers lequel on doit tendre et l’artiste comme personne qui sait exprimer au mieux son individualité devient un symbole de ce nouvel individu différent, comme tout le monde. Comme le résume Christian le Bart, on passe des « identités prescrites aux identités choisies » comme modèle de société. On retrouve parfaitement ces individus dans le BDSM 2.0, ces gamers qui chassent d’eux cette identité prescrite, et choisissent leur nouvelle identité, d’où cette appellation de “nouvelle garde” ou de “gamer”.
Internet par exemple, est un monde virtuel, un espace où (en théorie) vous pouvez choisir de montrer ce que vous voulez de vous, de vous construire une identité en choisissant les éléments à mettre en avant. C’est pour ça que les gamers ont très vite investi le web aussi, ils pouvaient faire un profil sur un forum puis sur un réseau social sans préciser leur genre, leur âge, ni montrer leur photo mais uniquement en disant ce qui les définit, Dom, soum, Maître, Baron, Duc, esclave, etc… Évidemment, encore une fois, on en dit toujours un peu plus que l’on voudrait et la singularité totale n’existe pas, mais comme optimum vers lequel tendre elle est devenu une norme pour certains. On passe du fait d’incarner un groupe homogène, d’une communauté BDSM au fait d’incarner un individu spécifique justement à la période où cette seconde modernité (aussi appelée modernité réflexive car l’individu fait en permanence un retour sur soi) arrive en force. L’évolution sociale à influencé la pratique rôlistique. Soyez qui vous voulez, c’est aussi pouvoir être autre chose que soi et incarner un être unique, c’est prendre en compte de manière ludique que dans un jeu ce qui compte ce sont les choix uniques d’un individu unique.
Suite dans un prochain article qui parlera de l’individu hypermoderne : la construction identitaire dans la troisième modernité a fait le BDSM 2.0 et le gamer.
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