Engagement dans un acte BDSM ou dans une relation BDSM
Note 1 : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes ou des chiens (soumis) sont pris au sens générique, ils ont à la fois la valeur d’un féminin et d’un masculin.
Note 2 : Dans cet article, je vais essayer de vous parler de l’engagement dans un acte BDSM ou dans une relation BDSM selon mon point de vue.
Becker (1960) et Buchanan (1974) utilisent ce concept dans un sens assez proche de celui qu’il a dans le public, être engagé ne signifiant pas autre chose qu’être impliqué. Ainsi, l’engagement dans le BDSM fait-il intervenir les attitudes et les comportements que l’on peut avoir à l’égard du BDSM proprement dit (on aime ou on n’aime pas), le désir que l’on a de rester ou non dans le BDSM, les attentes qui sont les nôtres et la valeur et les moyens qu’on leur accorde, autant d’éléments inhérents aux BDSMistes eux-mêmes.
D’autres psychologues sociaux ont une approche très différente.
Différence entre l’engagement interne et externe :
- Dans un engagement interne, l’engagement dépend de ce que sont les BDSMistes. Au bout du compte, ce sont eux qui s’engagent (ou qui sont engagés) en fonction de leurs propres attitudes, comportements, désirs ou attentes.
- Dans un engagement externe, c’est la situation qui engage, ou n’engage pas, la personne dans ses actes.
L’opposition entre ces deux approches est plus simple à comprendre, si l’on rapproche l’idée d’engagement et celle d’importance de l’acte. Pour certains psychologues sociaux, l’importance de l’acte n’est autre que celle que lui confère l’individu qui l’a commis. Ce sont ses attitudes, comportements, désirs ou attentes qui comptent et qui lui donnent finalement sa signification.
L’engagement dans des actes importants est finalement assez proche de l’engagement militant. On milite pour les causes auxquelles on adhère et nul doute que l’engagement militant soit un bon reflet du niveau d’une philosophie de vie BDSM.
Dans l’engagement de type externe, c’est dans la situation qu’il convient de chercher les indices permettant de se prononcer sur l’importance de l’acte réalisé. L’importance est définie du point de vue d’un observateur extérieur qui, de par sa position, ne sait rien des attitudes, comportements, désirs et attentes de l’acteur. N’en sachant rien, il devra s’abreuver à d’autres sources d’information. Par exemple, si l’on voit quelqu’un défendre une position, une position morale par exemple, sans y avoir été contraint le moins du monde, on en arrive à penser que cet acte revêt une certaine importance. Maintenant, si la même personne avait défendu semblable position sous la menace, ou par pure obligation, on aurait à coup sûr accordé moins d’importance à son acte. À nouveau, l’opposition interne/externe s’avère pertinente.
Tantôt l’individu s’engage en fonction de ses convictions dans des actes importants du point de vue de ses convictions, tantôt la situation engage la personne dans des actes dont l’importance peut être appréhendée en adoptant le point de vue d’un observateur. Engagement subjectif d’un côté, engagement objectif de l’autre.
De la façon dont on s’engagera, dépendra notre philosophie BDSM, notre art de vivre, les modalités et certainement la portée de nos interventions que l’on soit dans la domination, maîtrise, soumission ou esclavage. C’est-à-dire l’enjeu !
Comment générer de l’engagement ?
Pour un engagement interne, on voit bien que là, l’engagement dépend de l’individu lui-même, c’est-à-dire de ses convictions. Si une personne BDSM (Top (Dominant ou Maître) ou une bottom (soumise ou esclave)) est attirée par le BDSM mais qu’il n’a pas de relation BDSM (en couple BDSM) avec une autre personne BDSM (bottom ou Top) alors son engagement dans le BDSM dépendra grandement de son engagement interne.
Pour un engagement externe, c’est la situation qui engage, il faut se demander quelles sont ces conditions situationnelles qui feront d’un acte donné un acte engageant, c’est-à-dire un acte qui pourra être opposé à celui qui l’a réalisé par un quelconque attributeur (qu’il s’agisse de l’acteur lui-même ou d’un observateur). On peut les regrouper en deux grandes catégories. La première correspond à l’idée intuitive de “taille” de l’acte, la seconde regroupe les facteurs ayant trait aux raisons de l’acte.
La taille de l’acte
L’engagement augmente avec la taille de l’acte.
Plusieurs facteurs donneront de la substance à cette idée intuitive de taille de l’acte. Ils peuvent être regroupés en deux sous-catégories : la visibilité de l’acte et l’importance de l’acte.
La visibilité de l’acte
un acte est d’autant plus engageant qu’il est socialement visible.
Cette visibilité est fonction de quatre facteurs :
- Le caractère public (par opposition à anonyme) de l’acte ;
- Le caractère explicite (par opposition à ambigu) de l’acte ;
- L’irrévocabilité de l’acte ;
- La répétition de l’acte.
Ces quatre facteurs concourent à la visibilité sociale de l’acte et permettent donc de produire de l’engagement. Ils peuvent évidemment aller ensemble et on se doute que l’acte réalisé sera d’autant plus engageant que plusieurs de ces facteurs lui sont associés.
L’importance de l’acte
Un acte est d’autant plus engageant qu’il est important.
Deux facteurs montrent l’importance de l’acte :
- Les conséquences de l’acte
Mettre en avant les conséquences qu’un acte peut avoir pour celle qui l’a réalisé est donc plutôt classique et les maîtres chanteurs et les manipulateurs savent les avantages qu’ils peuvent en retirer.
Les conséquences de l’acte est certainement l’un des facteurs d’engagement les plus importants.
- Le coût de l’acte
L’engagement augmente avec le coût de l’acte. Plus il en coûtera à l’individu et plus il sera engagé dans son acte. Ne pas dépasser le coût maximum de l’acte, sinon cela sera une des raisons de son désengagement.
Les raisons de l’acte
Les raisons d’ordre externe désengagent.
Deux grands types de raisons d’ordre externe retiendront notre attention : les récompenses et les punitions.
- les récompenses désengagent
Si je prends l’exemple d’une personne bien rémunérée, elle sera moins engagée qu’une personne peu ou pas rémunérée du tout. Ce dernier cas est bien celui des bénévoles dont chacun s’accorde à reconnaître l’extrême dévouement. Les récompenses constituent d’un point de vue purement hédoniste des motifs de satisfaction. Là, on est sur un renforcement positif.
- Les punitions ou menaces désengagent
Les menaces, quant à elles, correspondent à la volonté d’éviter des renforcements négatifs. Rien d’étonnant alors à ce que les menaces aient exactement les mêmes effets que les récompenses : plus elles sont importantes, plus elles désengagent.
Les raisons d’ordre interne engagent
Les raisons d’ordre externe créent de la distance entre l’acteur et son acte. Les raisons d’ordre interne, lorsqu’il s’en trouve, réduisent cette distance.
La plupart du temps la personne qui se comporte est assez grande pour s’autodistribuer des attributions internes, y compris dans les situations extrêmes. C’est d’ailleurs dans ces situations que le caractère potentiellement pervers de l’internalité (caractéristique des personnes qui tendent à chercher en elles-mêmes la cause d’un événement agréable ou désagréable) va pouvoir apparaître.
En commentant un service rendu en disant par exemple : “Tu es vraiment quelqu’un de généreux, de bien”, on met ainsi en avant une explication interne. Ces quelques mots suffisent à démultiplier les effets de l’engagement induits par le comportement de service rendu. Cette façon de procéder n’est pas sans intérêt, les explications internes vont produire de l’engagement à peu de frais. Quelques mots bien pesés peuvent suffire. On voit bien là, le problème de la perversité de l’internalité, qui peut facilement conduire au sadisme du BDSMiste (que ce soit un Top (Dominant ou Maître) ou une bottom (soumise ou esclave)).
Le contexte de liberté
Pour qu’il puisse y avoir des raisons internes, il faut que l’acte soit réalisé par une personne libre, la soumission du sujet n’étant pas suffisante à expliquer son acte (sauf dans le cas de raisons internes d’ordres pathologiques).
Or, rien de plus facile que de créer un contexte de liberté. Il suffit d’assortir la requête faite à la personne soumise d’une phrase affirmant qu’elle est libre de faire ou de ne pas faire ce qu’on attend d’elle. On tient là, je pense, une des phrases les plus fascinantes du monde BDSM.
Nous avons là certainement le facteur d’engagement le plus puissant.
Je pense que le libre choix et libre arbitre sont une condition nécessaire à l’engagement, qu’ils soient énoncés sous une forme explicite ou, plus subtilement, sous une forme implicite.
Selon Descartes, un acte n’est libre que s’il résulte d’un choix de notre volonté. L’exercice de la volonté qui consiste à faire ou non quelque chose, c’est le libre arbitre.
Dans le playing, l’erreur étant de croire que les soumises déclarées libres se comportent comme si elles étaient effectivement libres et qu’elles refusaient de se soumettre. Au contraire, leur libre choix et libre arbitre leur permettent justement de s’engager dans leur soumission !
Conclusion
Pour obtenir l’engagement d’une soumise dans une relation ou dans un acte, il faudrait :
- la déclarer libre ;
- mettre en relief les conséquences de son acte ;
- choisir un acte de coût élevé (rechercher le coût maximum de l’acte qui sera accepté) ;
- rendre l’acte le plus visible possible :
- lui donner un caractère public ;
- souligner le caractère explicite de sa signification ;
- faire en sorte que tout retour en arrière soit impossible ;
- dans le cas d’un acte, ne pas hésiter à faire réaliser cet acte plusieurs fois ;
- dans le cas d’une décision, à faire réitérer la décision prise ;
- éviter toute justification d’ordre externe (pas plus de promesses, de récompenses, que de menaces, de punitions) ;
- avancer une explication interne.
Pour qu’il y ait un engagement de la personne soumise dans un acte BDSM, il faut, certes, l’existence d’un lien entre la personne soumise et son acte, et surtout que cet acte puisse être considéré comme ayant un sens BDSM. Idem pour l’engagement de la personne soumise dans la relation BDSM.
Enfin, il faut aussi que l’engagement de la personne soumise dans un acte BDSM soit identifié comme un engagement BDSM par la communauté BDSM.
Source : Jean-Léon Beauvois et Robert-Vincent Joule
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