Mettre des mots sur leurs é-maux-tions
Note 1 : Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique, ils ont à la fois la valeur d’un féminin et d’un masculin.
Note 2 : Je tiens avant tout à m’excuser, car je risque de dire pas mal de bêtises. J’avance là dans un monde inconnu, ou peu de personnes se sont aventurées, et je mesure à quel point le chantier qui reste à faire, à découvrir est impressionnant. Je vous prie de lire cela comme une ébauche de réflexion que je souhaite partager avec vous. C’est un peu une exploration dans un monde connu et tout autant fort inconnu.
La philosophie bouddhiste évoque l’origine de la douleur dans la soif de plaisir, d’existence et de permanence.
Une soumise SM, prend-elle réellement du plaisir dans la douleur ou prend-elle du plaisir à se faire du mal ? Est-ce une vengeance sur son passé ? La douleur lui permet-elle d’expurger son passé car elle n’est pas en paix avec elle-même ? Peut-on dire que lorsqu’elle commence à se libérer de son passé, elle commence à faire la paix avec elle-même alors la souffrance apparaît ? Mais au-delà de son purgatoire si elle n’est pas soumise dans l’âme alors pourra-t-elle enfin aller vivre sa vie vanille ?
Trop souvent, l’illusion de contrôle, la soif de perfection de notre société, cachent un isolement social de plus en plus grand. Il est alors perturbant de réaliser que c’est souvent dans la douleur que les gens se rapprochent, se montrent de l’affection et du soutien, bien plus que dans l’expérience du plaisir qui est essentiellement égoïste et nécessite une certaine différenciation de soi.
Dans l’histoire de l’humanité, la douleur a toujours été une donnée fondatrice. Les individus se sont regroupés pour se défendre contre le danger. La douleur est synonyme de lien. C’est par elle que l’on s’initie. Des rites guerriers à la défloration ou l’accouchement, c’est par la souffrance que l’on devient un homme ou une femme. La douleur, plus immédiatement compréhensible, est sans doute plus fondamentale encore que le plaisir, plus difficile à appréhender.
La douleur est une donnée de la condition humaine, nul n’y échappe à un moment ou à un autre. Elle frappe provisoirement ou durablement selon les circonstances. Mais la plupart du temps elle est sans autre incidence qu’un malaise de quelques heures aussitôt oublié dès lors qu’elle s’est retirée. Elle renvoie toujours à un contexte personnel et social qui en module le ressenti. Impossible dans la vie courante d’échapper un jour ou l’autre au mal de dos, à une migraine, à un mal de ventre, une angine, une carie, une écorchure, une brûlure, un heurt contre une porte, une chute…
La douleur est la rançon de la dimension corporelle de l’existence.
Nos sociétés occidentales connaissent de longue date un dualisme entre le corps et l’âme (ou l’esprit). Il y aurait alors une douleur (physique) et une souffrance (psychique). On sépare traditionnellement la douleur, atteinte de la chair, et la souffrance, atteinte de la psyché.
La douleur n’est pas la traduction mathématique d’une lésion mais une signification, c’est-à-dire une souffrance, elle est ressentie selon une grille d’interprétation inhérente à l’individu. L’homme n’est pas son cerveau mais ce qu’il fait de sa pensée et de son existence à travers son histoire personnelle (Le Breton). La douleur n’est plus seulement sensation, mais aussi émotion laissant donc émerger la question du sens, et au-delà elle est perception, c’est-à-dire activité de déchiffrement sur soi et non de décalque d’une altération somatique (Le Breton, 2004).
Il n’y a pas de douleur “objective” attestée par l’examen médical et plus ou moins ressentie par les individus selon leurs filtres sociaux, culturels ou personnels, mais une douleur singulière perçue et marquée par l’alchimie de l’histoire individuelle et le degré de l’atteinte. Le sujet en souffrance est le seul à connaître l’étendue de sa peine, lui seul est en proie au supplice, la douleur ne se prouve pas, elle s’éprouve (Le Breton, 2004). Elle n’a aucune objectivité, mais une force d’impact propre à l’individu qui la ressent.
Entre la sensation et l’émotion, il y a bien entendu une perception, c’est-à-dire un mouvement de réflexivité et de sens attribué par celui qui la ressent, une affectivité en acte. Une douleur qui ne serait que de “corps” est une abstraction comme le serait une souffrance qui ne serait que “morale”. La douleur n’écrase pas le corps, elle écrase l’individu, elle brise l’écoulement de la vie quotidienne et altère la relation aux autres. Elle est souffrance. Si la douleur est un concept médical, souffrance est le concept du sujet qui la ressent (Le Breton).
La douleur implique la souffrance. Elle n’est pas cantonnée à un organe ou à une fonction, elle est aussi morale. La douleur (exemple : le mal de dent) n’est pas dans le corps (la dent), la douleur est dans la vie, elle déborde le corps. Elle est donc vécue comme une souffrance. Mais si la souffrance est inhérente à la douleur elle est plus ou moins intense selon les circonstances. Un jeu de variations existe de l’une à l’autre. La souffrance est fonction du sens que revêt la douleur, elle est en proportion de la somme de violence subie. C’est sur ce point-là que nous devons agir dans le BDSM ou dans les cordes, sur le sens que revêt la douleur.
La personne soumise souffre moins de sa douleur que du sens qu’elle possède pour elle.
Plus encore que de nos plaies, bien souvent nous souffrons de ne pouvoir comprendre le sens de notre épreuve. Rien de notre vie passée ne la justifie à nos yeux. C’est bien souvent au moment où la personne soumise acceptera la souffrance, qu’elle acceptera de cesser de chercher du sens, malgré la douleur qu’elle endure, qu’elle partira dans son voyage, dans sa transe, dans son subspace. Vouloir comprendre la douleur pour accepter sa souffrance ne fera qu’augmenter sa souffrance. Vouloir comprendre la douleur va pousser l’esprit à lutter contre sa souffrance, on ne gagne jamais à ce jeu-là, on perd tout le temps ! Plus forte sera la perte, plus forte sera la souffrance.
La lutte fera émerger une colère, car rien ne justifie que la personne soumise souffre, elle a obéit, elle a fait exactement ce que son Maître lui demandait… Cesser de chercher du sens, pour aller plutôt chercher la paix avec son âme, avec son esprit, avec son corps, c’est cette paix-là qui va faire de sa souffrance un plaisir ! Chercher une consolation, une accusation, une justification n’apportera aucune paix en soi. Il faut accepter que la douleur soit vie.
La souffrance d’une soumise tient moins à ses maux qu’à son incompréhension des épreuves qui la frappent et qui lui paraissent imméritées au regard de sa loyauté envers son Maître. Toute sa foi, sa confiance, son amour vacille face à l’arbitraire. Une des seules réponses des moments qu’elle obtiendra de la part de son Maître, mais sans lui donner les raisons des maux qu’il lui a infligés, c’est qu’ils n’étaient pas vains.
En tant que Maître quelles raisons données lorsqu’on fait mal, lorsqu’on inflige de la douleur et donc de la souffrance ? Répondre qu’elle est soumise, qu’elle est dans le BDSM, donc c’est normal, est-ce une réponse cela ? Répondre en disant qu’il fait cela pour son bien, ou parce qu’elle est maso, est-ce une réponse ?
Si le Maître n’arrive pas à trouver du sens dans ce qu’il fait subir, comment pourra-t-elle accepter dans le temps de vivre cela ? Il ne faut pas oublier que pour une personne soumise sa souffrance tient moins à sa douleur qu’à son incompréhension que son Maître lui envoie. Forcément que la douleur et la souffrance qui en suit va pousser la personne soumise dans le temps dans une rébellion, une sorte d’appel passionné au sens, mais plus le temps passe et plus sa confiance en son Maître va s’étioler.
On ne peut pas jouer sur la sensation, la sensation d’un impact de fouet est physique, elle est mathématique, elle se calcule… Par contre, c’est en travaillant la perception que l’on pourra changer l’émotion qui en résultera.
Il est donc important de ne pas commencer par le fouet avec les personnes novices, débutantes, mais avec de très très légers impacts, afin de travailler la communication, la connexion, afin d’arriver à prendre le contrôle, la maîtrise de la perception (mouvement de réflexivité et de sens attribué), afin de modifier l’émotion vécue.
Cette maîtrise de la perception passera par l’intention, et sans connexion l’intention sera parasitée. La personne Dominante pour acquérir la Maîtrise de sa soumise va devoir travailler sa communication, sa connexion, afin de transmettre son intention de la manière la plus pure possible.
Il est évident que s’il a une mauvaise intention, s’il ne pense qu’à lui, alors ce sera une recherche de jeu. Entre “jeu” et “je” il n’y a qu’une seule lettre qui les sépare. Ce qui est assez intéressant, c’est de noter que d’un point de vue étymologique le suffixe “u” sert à former des adjectifs signifiant “caractérisé par, possédant” : Je… Jeu.
La douleur peut rester contenue à l’intérieur des processus de protection mis en place par l’individu dans sa maladie ou les séquelles de son accident, ou dans son choix d’une activité qui le sollicite durement (sport, body art…), ou dans un traumatisme qu’il a subi dans son passé, ou dans le SM (tant qu’il garde le contrôle, la maîtrise). La souffrance alors est insignifiante. Certes l’individu a mal mais il est en position de contrôle face à sa douleur, il ne se laisse pas déborder, elle reste à sa mesure. Il n’en pâtit pas encore. La souffrance intervient dès lors que la douleur entame ses capacités de résistance, là où il perd le contrôle et éprouve le sentiment que son existence se défait.
Lorsque la personne soumise lâche prise, son mur de défense s’écroule…
Mais alors où se trouve le bonheur de la soumise dans cette relation BDSM ? Est-ce de l’hédonisme ou de l’eudémonisme ?
L’hédonisme est ce bonheur le plus tangible, cette joie que nous éprouvons lorsque nous menons des activités gratifiantes. Il s’agit du sentiment de plaisir et de la motivation destinée à éviter le mal-être : recherche du plaisir, perception basée sur un équilibre affectif, maintien de la satisfaction de la vie, persécution des désirs et des besoins, le bonheur à court terme, haute intensité.
L’Eudémonisme est un bonheur reposant sur le développement personnel. De nombreux comportements n’apportent pas de bonheur immédiat, impliquent même des efforts, et nous font éprouver à certains moments des émotions de valence négatives caractéristiques de ce type de motivation. Nous continuons malgré tout à les réaliser avec détermination, étant même satisfaits d’eux. Il en est ainsi parce que ces comportements nous apportent un développement personnel, lequel s’expérimente à travers le bonheur eudémonique.
Néanmoins je pense que l’hédonisme tout comme l’eudémonisme dans le BDSM restent difficilement quantifiables, mesurables, voire même évaluables…
Suite dans un prochain article : » Neurophysiologie de la douleur et du plaisir «
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