Correction, punition et sanction (3ème et dernière partie)
Suite de l’article sur la correction, punition et sanction (2ème partie)
La punition est ce qui attend celui qui transgresse la règle posée. Elle donne son poids à l’interdit, avec l’idée que la peur de la punition entraînera le respect de la règle ou de l’interdiction. Pourtant, la transgression de la règle ou de l’interdit n’est en aucun cas une contestation de l’interdit. Elle en est la consécration, ou la mise à l’épreuve. De telle sorte qu’en un sens, on peut parler d’une complémentarité de l’interdit et de sa transgression. Ce n’est qu’au moment de sa transgression que l’interdit se vérifie comme tel. Si j’interdis à une soumise de faire quelque chose ou de toucher quelque chose, l’une des raisons pour lesquelles elle désire immédiatement le faire, c’est que cet interdit est créateur de valeur (sentiment d’existence). C’est aussi le souci de l’accidentologie, c’est lorsque l’accident est arrivé, qu’on a la preuve que c’était dangereux. Puisque la transgression est inscrite dans l’interdit, la punition qui s’ensuit est alors justifiée.
On peut désolidariser les idées de justice et de punition. Pour cela, il nous faut procéder en deux temps : en montrant tout d’abord que l’on peut penser une théorie de la punition très cohérente sans la relier nécessairement à l’idée de justice, puis que l’on peut penser une théorie de la justice sans la relier nécessairement à l’idée de punition. Il peut y avoir punition sans justice, comme il peut y avoir justice sans punition.
La punition est un problème d’abord relatif à la question de l’autorité. La punition spectaculaire, le supplice, n’est pas là pour rétablir une quelconque justice. Sa violence n’est pas proportionnelle à l’acte commis. La violence de la punition n’est pas proportionnelle au tort mais à l’importance de l’autorité ébranlée par cet acte. Le but de la punition n’est pas de rétablir un équilibre, une égalité ou un ordre juste, mais de réactiver l’autorité de la personne dominante.
La punition est alors nécessaire, non pas pour rendre justice mais dans la constitution d’une relation d’autorité. Or, l’exercice de l’autorité et l’établissement d’un ordre juste sont deux questions qui ne se recouvrent pas tout à fait. Le grand problème de l’autorité est : comment amener des individus à obéir ? Lorsque nous exerçons une autorité, nous attendons des corps disciplinés. La punition sanctionne l’indiscipline plus que l’injustice. Et la peur de la punition rend les soumises obéissantes. Elle ne les rend pas justes. Il est possible que l’obéissance soit une condition nécessaire à l’établissement d’une relation BDSM juste (cela reste à voir).
Comme la relation BDSM est une relation hiérarchisée, il n’y a aucune notion d’égalité dans la relation. A partir de là, pourquoi la personne soumise devrait chercher à voir une quelconque justice ou injustice ?
Lorsqu’un Maître punit une soumise en pensant que cette punition aura des vertus éducatives, ce qu’il attend de la punition, c’est qu’elle rende la soumise obéissante. Elle ne la rend pas plus sage, ni plus vertueuse, ni plus juste. Cela pose autrement problème dans le cadre éducatif. Car si l’obéissance est une des finalités possibles du BDSM, elle n’est pas un des enjeux de l’éducation.
Éduquer une soumise ne consiste pas à la rendre obéissante. Éduquer une soumise consiste à lui donner les règles, protocoles de la relation BDSM, C’est le choix et la responsabilité de la soumise de suivre ou pas ces conduites et d’en assumer les effets et les conséquences.
Le Maître punit parce qu’il pense que la faute ne doit pas rester sans réponse, qu’elle doit être réparée. Et la punition, quelles que soient ses formes, dans ses imperfections mêmes, est cette tentative de réparer la faute. Avant même de savoir si la punition est un bon moyen de réparer la faute, cela suppose qu’il puisse y avoir réparation de la faute. Est-ce si évident ?
Si la faute est mal, la personne soumise a-t-elle des remords ? Dans un tel cas, les remords sont-ils la reconnaissance du mal ou seraient-ils plutôt la reconnaissance de l’impossibilité de réparer le mal ? Dans tous les cas, les remords sont de penser au mal comme à une réalité. Cela ne nous dit pas si la faute peut être réparée, voire effacée, pourtant, il y a de l’éternellement ineffaçable dans le mal.
Lorsqu’il y a eu faute, le mal fait ne peut être réparé, donc la faute ne peut pas elle-aussi être réparée. Il est donc inutile de penser que la punition puisse valoir comme réparation. On attend parfois de la punition qu’elle permette à la personne soumise de prendre conscience de sa faute, du mal qu’elle a accompli. Mais si elle comprend véritablement le mal et la faute, elle comprend aussi que ce mal ne peut être effacé, ni réparé. Prendre conscience du mal, c’est prendre conscience de son impossible réparation. C’est pourquoi cette conscience ne peut être qu’angoisse, angoisse métaphysique ou, si l’on veut, remords.
On peut voir deux possibilités de réponse à une faute commise par la personne soumise :
- La première serait celle du pardon. Face à la faute, puisque la personne soumise ne peut pas la réparer ou l’effacer, elle doit apprendre à vivre avec, l’accepter sans se résigner, dépasser sa souffrance sans l’oublier. C’est toute la difficulté qui est au cœur même du pardon. Le pardon, au-delà du don, consiste pour la personne soumise à donner ce qui lui semble impossible de donner.
Le pardon n’est pas non plus synonyme d’oubli. Il ne s’agit pas d’oublier. Au contraire, sans oublier, il s’agit de continuer à vivre, sans haine ni désir de vengeance, sans violence. C’est peut-être un idéal impossible à atteindre. Mais finalement, si la justice BDSM pouvait amener la personne soumise à demander pardon, sincèrement, et au Maître à pardonner, on peut estimer que justice serait rendue. Il serait alors inutile d’ajouter à cela la souffrance de la punition.
On peut comprendre par là que le pardon est tout sauf naturel, que cela doit donc s’apprendre. L’éducation BDSM est ici une partie de la réponse.
- La seconde serait une réconciliation. Le dommage a conduit la personne dominante et la personne soumise à s’opposer ; il faut alors œuvrer à recréer les conditions d’une relation BDSM commune, à rendre possible à nouveau la relation BDSM entre eux deux, par-delà les fautes passées, les différends et les oppositions.
Il ne s’agit pas de punir. Il ne s’agit pas non plus de pardonner. Mais d’échanger une amnistie pleine et entière en échange d’une confession publique. Il s’agit donc d’échanger cette réconciliation contre une parole de vérité, une part de vérité, juste assez de vérité pour rendre possible à nouveau la relation BDSM.
Vu la relation de cause à effet entre le délit et la peine, la peine est comprise comme une punition, un châtiment, autrement dit une mesure répressive. La répression doit être envisagée dans un sens utilitariste : proportionnée au dommage causé dans/à la relation.
La peine doit être utile à la sauvegarde de la relation. La soumise par la peine doit comprendre et retenir …